La tapisserie est une des branches importantes de l’art de tisser ; c’est la plus remplie de difficultés mais celle qui donne les résultats les plus surprenants entre des mains habiles. A l’aide de deux séries parallèles de fils s’entrecroisant, elle forme un tissu dont les couleurs représentent un modèle donné. La tapisserie se différencie aisément de la broderie ou dessin à l’aiguille sur une étoffe formant fond et de la tapisserie sur canevas, qui n’est qu’une broderie. Dans la tapisserie véritable, le dessin se forme en même temps que le tissu.
L’industrie des tapis est née en Orient à une époque immémoriale. Elle était déjà très florissante au temps de la guerre de Troie.
Les métiers à tapisserie étaient déjà fort perfectionnés si l’on en juge par les gravures, dessins et peintures qui nous ont été conservés et aussi par les échantillons : des tissus antiques qui sont parvenus jusqu’à nous. Nos métiers actuels n’en diffèrent pas tant qu’on pourrait le croire.
Un métier à tapisser se compose essentiellement, aujourd’hui comme autrefois, de deux rouleaux parallèles ou ensouples, très visibles sur notre gravure. Ils supportent les fils parallèles de la chaine. Des cordelettes ou lisses servent à pincer et à soulever de deux en deux les fils de la chaîne par un mécanisme de baguettes sous la dépendance de pédales appelées marches.
La trame se fait en lançant transversalement la navette chargée de laine colorée dans l’espace formé entre la nappe de fils stationnaires et la nappe de fils soulevés par les lisses. Deux passées successives de la navette, de sens contrariés, forment une duite. Un peigne d’ivoire à pour rôle de serrer les duites. La partie faite s’enroule à mesure sur l’une des ensouples.
On distingue deux sortes principales de métiers : la haute-lisse et la basse-lisse. Le mode de travail est le même, mais dans le premier métier la chaîne est verticale, tandis qu’elle est horizontale dans le second.
Voici d’ailleurs la description complète d’un métier de haute-lisse par un spécialiste bien connu, M. Lacordaire :
« Les métiers de tapisserie ont de 4 à 7 mètres de longueur ; ils se composent d’une paire de forts cylindres en bois de chêne ou de sapin, dits ensouples, disposés horizontalement dans le même plan vertical, à quelque distance (de 2m,50 à 3 mètres d’axe en axe) l’un de l’autre et supportés par de doubles montants en bois de chêne appelés cotrets ».
« Les ensouples sont munies, à chacune de leurs extrémités, d’une frette dentée en fer et d’un tourillon ; elle s’engagent par ces tourillons dans des coussinets en bois et y tournent librement quand cela est nécessaire. Ces coussinets sont mobiles dans l’intérieur des cotrets, au moyen de rainures dans lesquelles ils glissent. La chaîne du tissu des tapisseries et des tapis se fixe sur les ensouples dans une situation parfaitement verticale, tous les fils ou brins exactement à la même distance l’un de l’autre, et de plus avec une division de dix en dix, ou même tout à fait arbitraire, par un fil autrement coloré que les autres quand il s’agit de tapis, chaque fil de la chaîne a été préalablement arrêté sur une tringle de bois, dite le nerdillon, et ce dernier, logé dans une rainure creusée dans toute la longueur des ensouples ».
Quand on veut tendre la chaine, enrouler ou dérouler des parties de tapisserie, on fait tourner les ensouples au moyen de leviers de fer, ou même en bois qui s’engagent dans des trous pratiqués à cet effet, à chacune de leurs extrémités.
La portion de tissu fabriquée s’enroule sur l’ensouple inférieure, en amenant et développant de l’ensouple supérieure une nouvelle portion de chaîne et ainsi, partie par partie, jusqu’à ce que la pièce en cours de fabrication soit terminée. Le dernier degré de tension est donné par une vis de pression qui est logée dans les cotrets ; placée entre deux coussinets elle force et fait monter. Les ensouples sont maintenues par des déclics engagés dans les dents des frettes.
Les Égyptiens ont connu le métier de haute-lisse, comme le montrent certains bas-reliefs et la célèbre peinture de l’hypogée de Beni-Hassan. Les Grecs s’en servaient également et nous voyons, sur la peinture d’un vase, Pénélope assise devant un métier de haute-lisse dont les fils de chaîne sont maintenus verticaux à l’aide de petits poids suspendus à leurs extrémités. Sénèque mentionne aussi ces poids au Ie siècle de l’ère chrétienne.
Les fils étaient aussi tendus par une sorte de battant nommé jugum. Ovide décrivant en détail un métier à tisser, indique que la chaîne était attachée aux deux ensouples, qu’un roseau séparait les fils et qu’un peigne tassait les duites comme dans les machines actuelles.
Les anciens commençaient le travail par le haut tandis que nos modernes artisans procèdent en sens contraire.
La haute-lisse est particulièrement employée aux Gobelins, tandis qu’à Beauvais, à Aubusson, à Pelletin, la basse-lisse, plus expéditive, est le mode de travail en usage. Nous le décrirons dans un prochain article.