Amulettes et Talismans

G. Angerville, La Science Illustrée N° 718 – 31 août 1901
Dimanche 3 octobre 2010 — Dernier ajout lundi 4 octobre 2010

Bien qu’ordinairement considérés comme synonymes, ces deux mots ont un sens assez différent. Les objets qu’ils désignent ont, dans l’esprit des croyants, la propriété d’écarter les maléfices, les maladies, les accidents, mais tandis que l’amulette est forcément portée par la personne, il n’en est pas de même du talisman. Les pouvoirs de ce dernier sont d’ailleurs plus étendus ; il permet non seulement de se défendre mais d’attaquer les autres et peut, au besoin, produire des effets magiques.

Les amulettes sont vieilles comme l’humanité. Les plus anciennes sont les amulettes crâniennes de l’époque néolithique. Ce sont des rondelles d’os du crâne enlevées sur le vivant par trépanation, à l’aide d ’un instrument en silex, ou incisées et travaillées après la mort sur les individus opérés pendant la vie et guéris de leur trépanation. Les premières sont, au plus, grandes comme une pièce de cinq francs, les secondes ont jusqu’à 10 centimètres de diamètre.

Il est très probable que ces trépanations avaient lieu sur les fous, regardés par tous les peuples sauvages comme des amis des dieux ou sur les épileptiques atteints de ce mal vénéré de l’antiquité qui rappela le mal sacré. Les fragments crâniens de ceux qui avaient survécu à l’opération étaient conservés comme des reliques.

Dans l’antiquité, ce furent les Orientaux, Chaldéens, Égyptiens, Perses, Hébreux qui portèrent le plus grand nombre d’amulettes. Les Grecs et les Romains imitèrent leur exemple.

Sur leurs bracelets, les dames romaines glissaient des compositions magiques contre les sortilèges, ou inséraient des amulettes protectrices.

Les abraxas sont des amulettes consistant en des pierres sur lesquelles étaient gravés des caractères cabalistiques. Le mot abraxas s’y trouvait toujours inscrit en lettres grecques ; la valeur numérale des lettres qui le composent est, au total, 365, nombre sacré. Sur ces pierres sont figurés aussi des sujets fantastiques, hommes à tête de serpent, de coq, etc., génies, des signes astrologiques, certaines lettres, des inscriptions cabalistiques.

Malgré les défenses de. l’Église l’usage des amulettes est général, pendant le moyen âge, chez toutes les nations chrétiennes.

Ce sont presque toujours des pierres gravées ou des plaques de métal, rapportées, pour la plupart, des croisades. Non seulement les inscriptions avaient des vertus occultes mais encore la substance même de l’amulette. L’agate, la pierre d’aigle passaient pour favoriser les accouchements, l’améthyste préservait de l’ivresse ; le cristal de roche avertissait de la présence du poison ; le diamant dissipait les maladies de l’esprit ; les perles conservaient la vue ; le jade guérissait les coliques ; l’émeraude, les palpitations de cœur ; l’hyacinthe préservait de la peste, etc.

Jusqu’à la fin de la Renaissance, les talismans conservèrent leur crédit mystérieux. Les formules astrologiques qu’ils portaient se multiplièrent. Voici, d’après P. Lacroix, une de ces formules pour acquérir les honneurs et les grandeurs. « Faites graver l’image de Jupiter, qui est un homme ayant la tête d’un bélier, sur de l’étain ou sur une pierre blanche, aux jour et heure de Jupiter, quand il est en son domicile, comme au Sagittaire ou aux Poissons, ou dans son exaltation comme au Cancer, et qu’il soit libre de tout empêchement, principalement des mauvais regards de Saturne ou de Mars ; qu’il soit vite et non brûlé du Soleil, en un mot qu’il soit fortuné en tout. Portez cette image sur vous, étant faite comme dessus et avec toutes les conditions susdites, et vous verrez ce qui surpasse votre créance. »

Les métaux avaient, comme les pierres, leurs vertus occultes. Ils étaient dans un rapport parfait avec les : planètes ; il suffisait de porter sur soi un talisman composé de métaux fondus ensemble, jetés au moule et gravés sous certaines constellations, et en rapport avec elles, pour s’approprier toute la vertu et la protection de sa planète.

Les talismans et amulettes datant de l’antiquité et du moyen âge sont nombreux dans les collections ; notre Bibliothèque nationale en possède près d’une centaine en jaspe pour la plupart.

A l’époque actuelle l’usage des amulettes est général chez les Asiatiques ainsi que chez les peuples sauvages de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie.

Sans être général, il est encore plus répandu qu’on ne croit chez les peuples civilisés. Les Napolitains sont toujours munis d’une branche de corail qui les préserve du mauvais œil ; beaucoup de mères françaises passent au cou de leur enfant un collier d’ambre qui doit les préserver des convulsions. Les paysans du Morbihan portent toujours fidèlement le gougad-pateren, collier talisman composé de grains de diverses matières et de diverses couleurs, analogues à ceux exhumés d’anciens tombeaux. L’ambre jaune et les pierres polies y dominent.

Il s’agit là de paysans, de gens peu éclairés fidèles à des traditions absurdes. Mais que direz-vous de nos Parisiennes fin de siècle qui auraient honte de porter un scapulaire, mais qui portent en bracelet, en collier ou en médaillon, une petite roue de fortune, ou un petit cochon qui doit leur porter bonheur. Elles se moquent du buis chrétien que l’ouvrière met à la tête de son lit, mais n’abandonnent jamais leur petite branche de gui ou leur trèfle à quatre feuilles. Comme dirait Calino : « Ça porte bonheur aux personnes qui ont de la chance. »

G. ANGERVILLE,

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