Si nous essayons de jeter un coup d’œil d’ensemble sur l’époque quaternaire, nous demeurons frappés moins de la variété et des grandes dimensions des animaux terrestres, que des phénomènes physiques et climatériques qui ont marqué cette période. Une légitime curiosité nous invite à en rechercher les causes. C’est donc ici le lieu de nous occuper de l’important problème des anciens climats ; mais, auparavant, je crois utile de retracer, en peu de lignes, la marche de la température à toutes les époques géologiques.
D’abord incandescente, la Terre se refroidit par le rayonnement ; bientôt la planète naissante se recouvre d’une pellicule rocheuse qui augmente sans cesse en épaisseur et devient l’écorce solide ; les océans se constituent. Jusqu’à l’époque laurentienne, la température était trop élevée, et, sans doute aussi, l’atmosphère trop lourde et trop impure pour que la vie pût exister. A partir de l’époque silurienne, ou à peu près, le climat était uniformément tropical sur toute la planète, point excessif à l’équateur, nullement refroidi dans le voisinage des pôles. Cet état de choses persiste, sans le moindre changement, jusque vers le milieu de l’époque crétacée : tout au plus ose-t-on indiquer des moments de sécheresse et d’humidité relatives. Il est cependant infiniment probable que l’atmosphère s’est épurée de plus en plus et que la végétation de l’époque houillère a contribué à la débarrasser d’une énorme quantité d’acide carbonique. Vers la fin de l’époque crétacée, commencent à se manifester les premiers signes d’inégalité dans les climats et de refroidissement dans le nord des continents. Ces signes se marquent davantage pendant la période suivante. A l’époque éocène, la température des environs de Paris n’était plus que juxta-tropicale ; à la fin de l’époque tertiaire, elle différait à peine de ce qu’elle est aujourd’hui. Le refroidissement avait commencé par les régions circumpolaires, et désormais les lignes isothermes se dessinent à la surface du globe. Bientôt se produisent les phénomènes qui rendent tout à fait remarquable et exceptionnelle la période quaternaire : de véritables déluges inondent et ravagent les terres fermes, les glaciers des pôles et ceux des montagnes prennent une énorme extension, et, après de nombreuses oscillations, la température finit par demeurer stationnaire, et les temps actuels commencent. Il y a donc, en somme, une première période d’un refroidissement continu, à laquelle succède une longue période d’une chaleur égale et uniforme, suivie d’une troisième période de refroidissement lent et régulier ; puis se manifestent les oscillations de la période glaciaire, laquelle fait place à l’état de choses actuel.
Le premier refroidissement s’explique d’une manière naturelle par le rayonnement de la planète, désormais isolée dans l’espace et ne trouvant plus d’aliment en elle-même pour entretenir sa chaleur originelle ; mais la période de stabilité qui lui succède est loin d’avoir donné lieu à des hypothèses aussi satisfaisantes.
Avant toute discussion, il y a un point sur lequel je dois beaucoup insister : c’est que les phénomènes astronomiques extraordinaires ne peuvent être invoqués. Abandonnée à elle-même, la terre a continué et continuera de décrire dans l’espace ses ellipses éternelles, uniquement modifiées par les causes perturbatrices signalées par les astronomes. Rien ne peut, en effet, justifier les théories contraires, les lois de la mécanique démontrant que le mouvement communiqué ne change jamais de nature et ne varie jamais. Je ne me préoccuperai donc point du déplacement de l’axe de rotation, non plus que de l’accélération ou du ralentissement du mouvement diurne et du mouvement annuel, et de phénomènes analogues qui ont été gratuitement imaginés. J’écarterai également les suppositions de chocs de comètes ou de gros bolides, de variation dans la température de l’espace que parcourt le système planétaire, d’augmentation ou de diminution passagère dans la chaleur et l’éclat du soleil, de réchauffement par un astre vagabond, de refroidissement par un essaim d’astéroïdes interposés entre la terre et le soleil, et autres conceptions de même ordre qui, sans être toutes improbables, ne se trouvent absolument justifiées par quoi que ce soit. En un mot, je ne m’occuperai pas des systèmes de pure imagination.
Tout d’abord se présente l’idée de la chaleur centrale encore sensible à l’extérieur et contribuant à élever la température de l’air. Quoique plusieurs géologues l’aient rejetée, cette hypothèse doit être prise en sérieuse considération. Il est impossible de se refuser à admettre que le feu intérieur, dont l’influence au dehors compte encore pour un trentième de degré environ, n’ait produit autrefois des effets plus sensibles. N’oublions pas que, dans les régions équatoriales, l’augmentation de la chaleur interne commence à partir d’une profondeur de 2 ou 3 décimètres. Quelques milliers de siècles auparavant, cette chaleur arrivait jusqu’à la surface du sol, et, en remontant dans les ages, elle s’étendait de plus en plus de part et d’autre de l’équateur et augmentait proportionnellement en intensité. Cependant cette hypothèse est absolument inconciliable avec l’état actuel des choses, et notamment avec l’existence d’un soleil doué de la même chaleur qu’aujourd’hui. En effet, comme l’inclinaison de l’axe terrestre sur le plan de l’écliptique n’a jamais varié que d’une quantité insignifiante, l’équateur a reçu en tout temps beaucoup plus de chaleur solaire que les pôles, et le rapport entre l’échauffement équatorial et l’échauffement polaire n’a jamais pu changer. Puisque la température moyenne des régions équatoriales oscille aujourd’hui entre 27 et 31 degrés, ce n’est point exagérer que de la porter à 30 degrés à l’époque silurienne ou à l’époque jurassique. Comme la chaleur était uniforme sur tout le globe, les contrées polaires à la latitude du Spitzberg, par exemple, avaient également une moyenne de 30 degrés, ou à peu près. Mais aujourd’hui cette moyenne n’est plus que de - 8,6°. Mettons -8° en nombre rond. Pour rétablir l’ancien état de choses au Spitzberg, il faudrait donc augmenter de 38 degrés sa température actuelle. Mais si l’on impute au feu central cette augmentation, ou, en d’autres termes, si la chaleur interne du globe élevait de 38 degrés la température extérieure à l’époque silurienne, les régions équatoriales, que nous supposons échauffées par le soleil au moins autant qu’aujourd’hui, recevaient en outre de cet astre 30 degrés de chaleur. Leur température moyenne s’élevait donc à 68 degrés ou à peu près, ce qui aurait rendu toute vie impossible. Or, comme ces contrées nourrissaient, pendant la période paléozoïque et la presque totalité de la période secondaire, les mêmes animaux et les mêmes végétaux que les régions circumpolaires, on est forcé d’admettre que leur température moyenne n’excédait pas sensiblement celle qui existe de nos jours entre les tropiques. Il en résulte que si le soleil avait alors possédé sa chaleur actuelle, le feu central aurait rendu inhabitables les régions équatoriales, et que si l’influence de ce dernier avait cessé de se manifester au dehors, le soleil aurait produit les mêmes résultats, puisque, pour entretenir au Spitzberg une flore et une faune tropicales, il aurait dû porter à plus de 65 degrés la température moyenne de la zone torride. Comme on ne peut supprimer le soleil, force est donc de chercher une hypothèse expliquant soit l’affaiblissement, sinon l’annihilation de l’influence de cet astre, soit l’uniformité de son action à toutes les latitudes.
M. Blandet paraît entrer dans ce dernier ordre d’idées. Prenant pour point de départ le système de Laplace, il suppose que pendant tout le temps qu’a régné l’uniformité de température, le soleil, beaucoup moins condensé et presque nébuleux, occupait dans le ciel un espace considérable, 20 ou 30 degrés peut-être, et que les planètes inférieures, Mercure par exemple, faisaient encore partie de sa masse. Moins concentrée, puisqu’elle provenait d’une surface infiniment plus étendue, la chaleur solaire tombait moins obliquement sur les pôles terrestres et échauffait uniformément la planète, qui jouissait ainsi d’une température égale et modérément élevée. Je ne suis pas assez compétent pour oser discuter cette hypothèse au point de vue de la physique mathématique ; elle me paraît cependant inconciliable avec l’intervention, qui a eu lieu en tout temps, de certains phénomènes astronomiques dont il sera question ci-après, et je crois qu’on peut lui reprocher en outre d’offrir les inconvénients de tous les systèmes exclusifs, qui attribuent à une cause unique des résultats auxquels ont souvent part une infinité de facteurs, comme c’est certainement ici le cas.
Si, en effet, renonçant pour le moment aux grandes théories, nous essayons de dégager les inconnues du problème si compliqué des climats d’autrefois, nous trouvons, dans la composition de l’ancienne atmosphère et dans la distribution des terres et des mers quelques indications utiles, Comme les terres fermes ont sans cesse gagné en superficie, les eaux marines occupaient jadis beaucoup plus d’espace sur le globe et contribuaient, dans une certaine mesure, à entretenir un climat marin, c’est-à-dire uniforme. L’atmosphère était certainement plus étendue, plus lourde, plus humide, plus riche en acide carbonique que de nos jours ; elle s’opposait donc beaucoup plus énergiquement à la perte de la chaleur obscure, tout en se laissant traverser par la chaleur lumineuse du soleil. A ce propos, je rappellerai que M. Tyndall estime que quelques centièmes d’acide carbonique dans l’air empêchent presque absolument le rayonnement de la chaleur obscure, sans mettre obstacle à la chaleur lumineuse. La terre se trouvait donc comme en serre-chaude, et l’énorme quantité de vapeur aqueuse atmosphérique entretenait dans les zones équatoriales, plus encore que de nos jours, ces épais rideaux de nuages qui modèrent l’ardeur du soleil vertical. Je suis loin de prétendre que là soient toutes les causes de l’égalité de température d’autrefois, mais je pense que toutes les théories sont obligées de tenir compte de l’ancienne composition de l’atmosphère.
En combinant le système de M. BIandet avec l’hypothèse du réchauffement par le feu central, et en prenant en considération les aperçus qui précèdent, on arrive presque à quel que chose de satisfaisant. Il suffit d’admettre que, pendant toute la période à température uniforme, la terre recevait du feu central la plus grande partie de sa chaleur externe, et que le soleil, encore un peu nébuleux, mais produisant déjà une lumière suffisante, ne l’échauffait que faiblement. Protégées par leurs nuages, les régions équatoriales ne pouvaient prendre de cet astre un excès de chaleur, et, d’un autre côté, la pression, l’acide carbonique et la vapeur aqueuse mettaient obstacle au refroidissement. L’influence solaire étant pour ainsi dire annihilée, restait seulement le feu central, qui exerçait également et uniformément son influence sur toutes les parties de la terre. Il est bien entendu que je ne donne cette théorie que pour ce qu’elle vaut, c’est-à-dire comme une pure hypothèse elle-même issue d’une autre hypothèse, puisqu’elle s’appuie sur la doctrine d’Herschel et de Laplace ; on pourrait aussi bien accepter toute autre supposition aboutissant aux mêmes fins, et qui ne s’écarterait pas trop des limites du probable.
La troisième période climatérique marquée par le refroidissement lent et régulier qui commence vers la fin de l’époque crétacée et se prolonge pendant toute la durée de l’époque tertiaire, s’explique assez naturellement au moyen de l’hypothèse que je viens d’exposer. On admettrait alors que la température a baissé et que les climats se sont peu à peu dessinés, parce que l’influence du feu central a cessé pendant cette période, que le soleil s’est condensé pour devenir notre unique source de chaleur et que l’atmosphère s’est épurée. A tout autre point de vue, et en supposant la terre refroidie et le soleil condensé depuis longtemps, on ne devine pas pourquoi la chaleur aurait diminué.
La quatrième période climatérique est caractérisée par les alternances de froid et de chaud qui ont amené les pluies diluviennes et les glaces de l’époque quaternaire. Ici le problème se complique singulièrement. Si, en effet, on peut aisément concevoir, sauf à l’expliquer plus tard, un refroidissement lent et progressif, comment se rendre compte des oscillations extraordinaires de la température de l’époque ? Qu’elle soit tombée à l’état solide ou à l’état liquide, il faut expliquer l’origine de l’énorme quantité d’eau précipitée de l’atmosphère pour entretenir les anciens glaciers et pour creuser les vallées d’érosion. Ce n’est pas sérieusement qu’on pourrait soutenir aujourd’hui que les seuls auxiliaires des glaciers ont été la longueur du temps et l’intensité du refroidissement, et que les vallées d’érosion furent ouvertes par les eaux provenant de la fonte des neiges. Ces vallées sont antérieures aux glaciers qui les remplissent, et, d’un autre côté, on en voit commencer un nombre immense à des niveaux et dans des contrées où les glaciers n’ont jamais existé. A quelque point de vue que l’on se place, force est donc d’admettre que l’époque glaciaire a été marquée par des chutes d’eau d’une abondance et d’une continuité extraordinaires. Mais l’hypèthèse d’un refroidissement subit et prolongé expliquerait au plus la possibilité d’une première averse, Il ne faut pas oublier que, pendant l’époque tertiaire, la température avait baissé graduellement, au point que vers la fin de la période elle différait à peine de ce qu’elle est aujourd’hui. Dans de telles conditions, l’atmosphère ne pouvait plus renfermer une quantité extraordinaire de vapeur d’eau. Une fois précipitée à la suite d’un refroidissement que nous supposons aussi intense que l’on voudra, cette eau devait retourner à l’atmosphère afin de continuer à alimenter les pluies et les neiges incessantes de l’époque, ce qui indiquerait une élévation subite et considérable de température. Mais, pour creuser si profondément les vallées d’érosion, il a fallu bien des siècles, bien des averses, bien des débâcles. Par conséquent, les pluies diluviennes ont duré fort longtemps. Quelle que soit la quantité de vapeur d’eau que renfermât alors l’atmosphère, elle devait se trouver épuisée en peu de jours, en quelques semaines au plus, et il devient fort difficile de comprendre où des pluies aussi intenses et aussi prolongées pouvaient trouver leur aliment, car on est obligé d’imaginer des alternances de refroidissements et de réchauffements à courte échéance se reproduisant des centaines et des milliers de fois à l’époque quaternaire. L’hypothèse d’une grande augmentation dans l’inclinaison de l’axe terrestre sur l’écliptique se présente tout d’abord à l’esprit. Si notre globe s’est trouvé momentanément dans les conditions actuelles de la planète Vénus, on comprend que chacun de ses hémisphères ait été extraordinairement échauffé, puis refroidi dans le cours d’une année. Mais c’est là une hypothèse que rien ne peut justifier, et qui se trouve en opposition avec les lois de la mécanique céleste.
Je ne rapporterai que pour mémoire d’autres théories, qn’on pourrait qualifier de géologiques, et qui ne sont, à mon avis, que de pures hypothèses, quelquefois infiniment improbables. Telle est, par exemple, l’idée émise par un savant allemand de l’échauffement des régions boréales par les roches éruptives anciennes. Plusieurs auteurs, qui admettent un refroidissement glaciaire intense et prolongé, l’ont attribué à un exhaussement général des terres fermes. D’autres ont expliqué le retrait des glaciers de l’Europe par un réchaufîement provenant de l’émersion subite du désert du Sabara, à la suite de laquelle les vents brûlants de cette partie de l’Afrique ont pu exercer leur influence sur les contrées septentrionales. Mais ils ne disent pas comment ont disparu les glaciers des deux Amériques, On a également fait intervenir le gulf-stream et les courants marins ; mais le moyen d’en déterminer la direction, et mème d’en prouver l’existence, quand on ne sait pas exactement quelle était, à tous les instants du passé, la configuration précise des terres et des mers ?
Pour la solution de ces problèmes si compliqués, dont je viens d’exposer les données principales, on a enfin invoqué les causes astronomiques ordinaires. Elles se présentent comme une dernière ressource dont nous userions d’autant plus volontiers que nous nous sentons naturellement porté à en admettre l’intervention. Il importe donc de savoir à quoi nous en tenir à cet égard.
En ce qui concerne la précession des équinoxes et la nutation, il est facile de se convaincre que ces deux phénomènes, considérés isolément, n’exercent qu’une influence presque inappréciable sur les climats, puisqu’ils se bornent à modifier la direction de l’axe terrestre, dont l’inclinaison demeure à peu près constante. Si les temps historiques sont trop courts pour que nous puissions apprécier les effets qu’on a attribués à la précession, et constater s’il y a ou non déluge périodique et déplacement du centre de gravité du globe tous les dix mille cinq cents ans, comme le veut M. Adhémar, au moins savons nous fort bien, par l’expérience, que l’influence du mouvement de nutation, lequel s’achève en un peu moins de dix-neuf ans, est complètement nulle. La précession des équinoxes a néanmoins contribué, si je ne me trompe, à augmenter la variété des phénomènes climatériques de l’époque quaternaire. D’ailleurs les hypothèses astronomiques qui spéculent sur l’alternance des périodes diluviennes dans les deux hémisphères, dont l’un traversait une époque glaciaire pendant que l’autre se trouvait extraordinairement échauffé, paraissent inadmissibles. Il est bien difficile, en effet, de ne pas regarder comme contemporains les dépôts diluviens des deux Amériques, où l’on a trouvé les mêmes mammifères, tels que Equus curvidens, Megatherium Cuvieri, Megalonyx Jeffersoni, etc. Si cette présomption vient à être confirmée, les glaces ont envahi à la fois les deux hémisphères, et l’on est autorisé à opposer une fin de non-recevoir absolue à toutes ces doctrines.
D’un autre coté, il semble que l’hypothèse des causes astronomiques doive ètre complètement éliminée, puisque leurs effets ne se sont point manifestés pendant les périodes de stabilité puis de refroidissement régulier qui séparent l’époque laurentienne de l’époque quaternaire. En effet, durant cette incalculable suite de siècles, on ne découvre aucun indice de refroidissement ou de réchauffement, et tout au plus ose t-on indiquer des moments de sècheresse et d’humidité relatives. Et comme il est impossible de supposer que les causes astronomiques n’aient commencé à agir qu’à partir des temps diluviens, il semble qu’on doive tenir pour suspectes les explications qui les prennent pour point de départ. Ce n’est que dans les cas où l’hypothèse imaginée par l’auteur ou toute autre analogue serait une réalité, c’est-à-dire en supposant que l’influence du soleil eùt été annihilée pendant la longue période de stabilité qui a précédé l’époque quaternaire, que l’on pourrait comprendre l’intervention presque subite de ces causes.
Il est vrai que l’une d’elles expliquerait suffisamment les phénomènes quaternaires ; je veux parler de l’excentricité de l’ellipse. Préalablement je dois déclarer que mon attention a été attirée sur ce point par M. Bourguignat, dont je ne connais d’ailleurs nullement le système, et avec qui je ne puis me rencontrer que fortuitement et à mon insu, si rencontre il y a. Voici ce que l’on pourrait dire.
Comme le globe terrestre ne perd aucun atome de matière et n’en reçoit du monde extérieur que par les chutes d’aérolithes, il est de la dernière évidence que les pluies diluviennes ont été produites par les eaux terrestres seulement. Par conséquent, ces eaux ont été vaporisées, puis condensées des milliers de fois. Chaque vaporisation suppose un réchauffement, chaque condensation un refroidissement, S’il est prouvé que l’excentricité de l’ellipse ait pu varier au point que la terre se soit trouvée beaucoup plus rapprochée du soleil à son périhélie et beaucoup plus éloignée à son aphélie, on a une explication aussi simple que naturelle de l’ensemble des phénomènes quaternaires. Chaque année, la grande chaleur du périhélie augmentait l’évaporation, et, par conséquent, l’alimentation des pluies, et le froid prolongé et rigoureux de l’aphélie précipitait à la surface du sol d’énormes quantités de neiges et d’eaux pluviales. Ainsi furent ouvertes les vallées d’érosion, ainsi purent s’étendre les anciens glaciers. Les effets de la précession des équinoxes et des perturbations, combinés avec ceux de l’excentricité, donnaient lieu, d’ailleurs, à un déplacement incessant des saisons, qui pouvait amener des complications suffisant à toutes les exigences, chaque hémisphère arrivant au périhélie ou à l’aphélie tantôt en hiver, tantôt en été, tantôt à un autre moment de l’année. Le retour à un état de choses moins extrême avait pour conséquence les instants de calme, dits de réchauffement, pendant lesquels les glaciers opéraient leur retrait ; puis il survenait une nouvelle période diluvienne quand les foyers de l’ellipse s’étaient suffisamment éloignés du centre. L’époque actuelle n’est qu’un de ces moments d’équilibre relatif de la température au périhélie et à l’aphélie ; elle sera infailliblement suivie d’une nouvelle période diluvienne et glaciaire. Si mon hypothèse est exacte, je n’ai pas besoin de dire que les écarts extrêmes de la température au périhélie et à l’aphélie n’ont jamais été excessifs, puisque la vie n’a cessé d’exister un seul instant. Il appartient d’ailleurs à l’astronomie et à la physique de nous apprendre à quel point sont fondées les conjectures que je viens d’exprimer, et d’indiquer le moment et la durée de toutes les périodes glaciaires passées et futures.
Je terminerai en résumant brièvement l’ensemble de mes hypothèses, sur la valeur desquelles je ne me fais pas illusion, mais que je serais heureux de voir discutées et contrôlées par des hommes compétents.
Abandonnée à elle-même dans les espaces célestes, la Terre incandescente se refroidit par le rayonnement et se revêtit bientôt d’une enveloppe solide. Un peu plus tard, l’eau put subsister à l’état liquide, puis apparurent les végétaux et les animaux. Mais le soleil, encore à demi nébuleux, n’échauffait que faiblement la jeune planète, qui recevait du feu central presque toute sa chaleur. La composition particulière de l’atmosphère, plus lourde, plus épaisse, plus riche en acide carbonique et en vapeur d’eau, contribuait beaucoup à maintenir, sur tout le globe, une température uniforme et élevée. L’influence de l’excentricité de l’ellipse ne pouvait alors se faire sentir que faiblement, puisque l’action du soleil se trouvait presque annihilée ; tout au plus faut-il attribuer aux causes astronomiques les alternances de sècheresse et d’humidité qu’on a cru remarquer à diverses époques géologiques. Vers la fin de la période crétacée commencent à se montrer les effets de la condensation incessante du soleil. En même temps la chaleur centrale cesse peu à peu de réagir à l’extérieur, et l’atmosphère achève de s’épurer. Alors se refroidissent les pôles terrestres, les isothermes se dessinent insensiblement et l’action des causes astronomiques devient prépondérante. La phase principale de la condensation solaire, la seule qui intéresse notre globe, se produit pendant la durée de la période tertiaire, à la fin de laquelle le soleil était arrivé à son état présent. Il faut également supposer que la terre était alors à peu près à sa distance actuelle du soleil au périhélie et à l’aphélie, puisque les effets de l’excentricité de l’ellipse ne se font sentir qu’à partir de l’époque quaternaire, dont ils expliquent les allures climatériques extraordinaires. Aujourd’hui notre planète se trouve dans une telle position, par rapport à l’astre central, que l’influence de l’excentricité de l’ellipse est presque insensible ; mais cette influence augmentera peu à peu, et à l’avenir le globe traversera une alternance de périodes diluviennes et de périodes ordinaires, tant que le soleil conservera sa chaleur et tant que subsisteront les mers et l’atmosphère. L’absorption probable de ces dernières fera définitivement passer notre planète à l’état de lune.