Il y a cinquante ans que les Jésuites ont repris à Zi-Ka Weï, près de Chang-Haï, les traditions scientifiques de leurs devanciers du seizième et du dix-septième siècles. A cette occasion, le Père Lejay vient de résumer dans une brochure très artistique, déjà signalée dans cette Revue [1], les résultats acquis par ce demi-siècle d’efforts (fig. 1 et 2). Il nous a paru intéressant de faire connaître plus en détail aux lecteurs de La Nature tout ce qui a été réalisé à l’Observatoire de météorologie, de physique du globe et d’astronomie de Zi-Ka-Weï, qui est devenu l’un des premiers observatoires du Monde et qui se développe chaque jour davantage.
La prévision des typhons
Parmi les plus belles réalisations de cet observatoire, il faut citer la concentration des renseignements météorologiques de l’Extrême-Orient. Des centaines de stations, formant un réseau tout à fait comparable aux réseaux météorologiques d’Europe, transmettent deux fois par jour leurs observations. Grâce à cette organisation, où les douanes chinoises tiennent la première place, grâce aussi aux nombreux messages transmis régulièrement par les navires du Pacifique, Zi-Ka-Weï publie deux fois par jour la carte du temps permettant de prévoir les variations souvent très rapides des conditions atmosphériques et notamment l’approche des typhons si redoutables des me de Chine (fig. 4). On ne se fait que difficilement une idée dans nos régions de la soudaineté et de la violence de ces tempêtes auxquelles peu de navires sont susceptibles de résister.
« Il faut avoir vu, écrit le Père Lejay, une de ces tempêtes s’abattre sur Chang-Haï. Des navires par dizaines, cargos et gros paquebots sont prêts à quitter le port. Le vent souffle avec violence et tourne rapidement ; on sent que le centre du cyclone est proche.
« Les commandants, inquiets, viennent demander conseil ; la carte affichée sur le quai de France n’en dit pas assez ; le téléphone surchargé ne suffit plus. Un Père se rend alors au sémaphore et y reste tant qu’il y a du danger, pour donner de vive voix des renseignements plus précis.
« Heureusement, aussi, les messages arrivent plus nombreux ; les navires encore en mer ont été alertés et se font un devoir d’envoyer des renseignements aussi complets que possible.
« Minute émouvante pour le Père chargé des prévisions, lorsque, sentant peser sur lui la responsabilité d’une flotte immense, et voyant sur sa carte le typhon toucher la côte, ou s’approcher trop près, il demande au « Maître du Port » le coup de canon traditionnel, le signal d’alarme qui annonce de sa grosse voix lugubre, au milieu des rafales, qu’il y a du danger même sur le fleuve, et que nul navire ne doit sortir.
« Si l’on songe que, depuis cinquante ans, Zi-Ka-Weï a ainsi prévu, signalé à l’avance et suivi plus de mille typhons, on peut conjecturer combien de navires, partis vers l’Indo-Chine, le long d’une côte inhospitalière, se seraient jetés au devant de la tempête, au milieu des îles rocheuses et auraient infailliblement péri. On peut dire que les avertissements transmis d’abord par les sémaphores et depuis quinze ans par le poste radiotélégraphique de la Concession française, ont sauvé des milliers de vies humaines, et c’est sans doute surtout pour avoir rendu les routes de Chang-Haï, si mal famées autrefois, aussi sûres que toute autre, que l’Observatoire s’est acquis la réputation dont il jouit auprès du personnel naviguant du monde entier ».
La climatologie
Cependant le service de la prévision du temps est loin de constituer la seule et même la principale activité de l’Observatoire de Zi-Ka-Weï. La science pure n’y a jamais été perdue de vue et les missionnaires qui y travaillent ont accumulé sur les phénomènes météorologiques d’Extrême-Orient, régime des pluies et des vents, variations de la température, trajectoire des typhons, etc…, des données extrêmement nombreuses qui, recueillies dans les publications de l’Observatoire, constituent sur le climat de ces régions une documentation unique.
Le service de l’heure
Au service de la prévision du temps a été adjoint un service de l’heure qui, depuis 1914, transmet aux marins par T.S.F. en même temps que les informations météorologiques, des signaux horaires analogues à ceux de la Tour-Eiffel (fig. 5 et 6).
Zi-Ka-Weï a été choisi par l’Union Internationale Astronomique comme l’une des trois stations fondamentales des Longitudes du Globe destinées à servir de base à l’étude des variations possibles des Longitudes et par suite des déformations de la surface de la Terre (fig. 7). A cet effet, Zi-Ka-Weï a été doté d’instruments astronomiques et de récepteurs de T. S. F. en tout semblables à ceux de l’Observatoire de Paris (fig. 8). En 1926, par l’observation de plus de deux mille passages d’étoiles, par plus de 150 comparaisons de ses pendules avec celles des observatoires du monde entier, la position de la station a été déterminée avec toute la précision actuelle ment possible, c’est-à-dire à trois ou quatre mètres près.
L’astronomie
Au sommet de la colline rocheuse de Zo-Sé, à 25 kilomètres de Zi-Ka-Weï, l’Observatoire possède depuis 1900 une coupole qui abrite un équatorial composé de deux lunettes jumelées de sept mètres de longueur focale et de quarante centimètres d’ouverture destinées, l’une aux observations visuelles et l’autre aux inscriptions photographiques (fig. 11). Pour donner une idée de l’activité de cet Observatoire, mentionnons qu’on y a pris douze mille clichés du soleil destinés à l’étude des taches, dessiné sept mille protubérances, déterminé les positions de plus de quatorze mille étoiles, étudié douze cents étoiles doubles et des amas d’étoiles, calculé les perturbations produites par Jupiter sur les trajectoires d’une centaine de petites planètes, etc.
On y a également effectué depuis sa fondation d’importantes observations sur le magnétisme terrestre, d’abord à Zi-Ka-Weï, puis à Loh-Ka-Pang lorsque l’apparition des tramways électriques dans la banlieue de Chang-Haï eut rendu impossibles les enregistrements magnétiques à Zi-Ka-Weï (fig. 12).
La sismologie
L’Observatoire constitue en outre l’une des stations sismologiques les mieux équipées du monde entier, admirablement située pour l’étude des nombreux séismes qui prennent naissance dans l’Océan Pacifique et l’Extrême Orient. Il a publié de curieuses observations sur la production par les typhons de microséismes de forme particulière et d’intéressantes monographies sur les grands bouleversements qui ont dévasté depuis dix ans la Chine du Nord (fig. 13 et 14).
Développement de l’observatoire
Telle est, brièvement résumée, l’œuvre immense qui a été accomplie en cinquante ans à Zi-Ka-Weï. Cette œuvre est d’ailleurs en plein développement et, depuis que le Père Lejay a publié sa brochure, l’Observatoire s’est enrichi de nouveaux instruments lui permettant d’orienter son activité vers des voies nouvelles.
En 1929 une nouvelle coupole a été construite à Zo-Sé, section astronomique de Zi-Ka-Weï, destinée notamment à l’observation des étoiles variables du type des Céphéïdes, dont l’étude présente le plus grand intérêt pour le progrès de nos connaissances sur l’évolution stellaire. On achève également, à Zo-Sé, la construction d’un observatoire magnétique muni des instruments les plus modernes et d’un laboratoire de météorologie scientifique.
Le Père Lejay, revenu de Zi-Ka-Weï après les mesures de longitudes internationales, a poursuivi en France ses travaux sur la détermination de l’heure ; il a mis au point un procédé permettant d’enregistrer les oscillations d’uri pendule en le faisant agir à distance sur un petit poste émetteur radioélectrique sans qu’il soit besoin, comme on le fait d’ordinaire, de mettre en œuvre aucun contact électrique qui, si léger soit-il, en trouble forcément la marche. Il a établi un nouveau chronographe au moyen duquel on peut obtenir les durées au dix-millième de seconde, et achève avec Hohorg un nouvel instrument transportable permettant de faire des mesures de gravité en quelques minutes.
Toutes ces acquisitions vont mettre l’Observatoire de Zi-Ka-Weï au premier rang parmi les laboratoires de recherches astronomiques et géophysiques. Dès son retour en Chine, le Père Lejay compte poursuivre ses intéressantes études d’électricité atmosphérique et entreprendre des recherches relatives à l’influence des conditions atmosphériques sur la radiation solaire et la propagation des ondes radioélectriques. Le docteur Doh son, qui centralise à Oxford les mesures d’ozone dans la haute atmosphère, lui a également demandé dans ce domaine sa collaboration. La réalisation de ce vaste programme exige des ressources nouvelles. Il serait vraiment désirable que tous ceux qui aiment la science et ont le souci d’accroître dans le monde entier le renom de la France par le développement des œuvres de paix et d’humanité, s’intéressent à l’Observatoire de Zi-Ka-Weï et l’aident à se procurer les ressources matérielles qui lui sont nécessaires.