La navigation sous-marine est à l’ordre du jour et on suit avec le plus grand intérêt les essais répétés des constructions nouvelles qui naviguent au-dessous de la surface des eaux. Les expériences réellement pratiques de navigation sous-marine remontent au commencement du siècle dernier : elles ont donné dès leur début des résultats surprenants.
Il y a eu juste cent ans, en mai 1801, les Parisiens purent voir, avec étonnement, évoluer sur la Seine, près des Invalides, une étrange embarcation de forme anormale qui non seulement naviguait à la surface, mais plongeait à un endroit pour reparaître plus loin soit en aval, soit en amont. Ce petit bateau était le premier sous-marin, le Nautilus, créé par l’ingénieur américain Fulton.
L’histoire de ce petit bateau, qui portait en germe tous les éléments qu’on a perfectionnés depuis pour arriver à nos sous-marins actuels, est bien curieuse, aussi nous a-t-il paru intéressant de la rappeler d’autant plus qu’elle est peu connue ; le nom de Fulton évoque d’ailleurs un des plus grands progrès industriels et économiques accomplis au commencement du siècle dernier : l’application de la machine à vapeur à là navigation [1].
Fulton, fils d’émigrés irlandais, naquit en Pennsylvanie en 1765 ; il s’adonna d’abord au dessin et à la peinture et, pour se perfectionner dans son art, passa en Angleterre ; mais bientôt s’étant lié avec des ingénieurs, il quitta ses pinceaux afin d’étudier la mécanique. Il se fit alors connaître par diverses inventions, et s’étant fait recevoir ingénieur civil en 1796 il s’occupa plus spécialement de travaux de canalisation et vint en France pour proposer un système de plans inclinés remplaçant les écluses, système dont il avait obtenu un brevet en Angleterre.
Arrivé à Paris, il se lia avec des savants de l’Institut et des ingénieurs civils et militaires et étendit considérablement le cercle de ses idées ; il publia diverses études et, en dehors de ses travaux mécaniques, exécuta le premier tableau panoramique qui ait été exposé en France et qui eut un grand succès.
Partisan des idées de la Révolution française, il se mit à chercher les moyens d’assurer la liberté des mers pour travailler ainsi au bonheur des peuples, et, pour cela, il voulait frapper la puissance maritime de l’Angleterre qui exerçait alors partout une véritable tyrannie. Cette considération lui suggéra la première idée de son système de « Navigation et d’Explosion sous-marine) mis en pratique par la création de deux engins, la torpille et le navire sous-marin, dont il voulut doter la France pour combattre l’Angleterre.
En 1797, il fit sur la Seine des expériences d’explosion sous l’eau produite par une espèce de bombe portée sur un petit bateau dirigeable, engin qu’il appelait Torpedo, destiné à faire sauter les vaisseaux ennemis : la direction une fois donnée, le mouvement de la torpille s’opérait au moyen d’un mécanisme d’horlogerie, et, à l’aide d’une longue corde, on faisait jouer une batterie de pistolet qui mettait le feu aux poudres au moment voulu.
Entre temps, il perfectionnait une sorte de bateau fermé, engin nouveau destiné à naviguer entre deux eaux pour aller surprendre et faire sauter les vaisseaux ennemis en croisière sur les côtes : cet engin devint le Nautilus, le premier sous-marin.
Fulton avait d’abord soumis les plans de son navire sous-marin au gouvernement français qui avait nommé une commission pour les examiner ; mais, malgré un rapport favorable, le ministre de la guerre s’était montré hostile à cette innovation. L’inventeur ne perdit pas courage, il construisit un petit modèle de son bateau et demanda aide et protection à Bonaparte. devenu consul ; celui-ci commit Volney, Laplace et Monge pour lui faire un rapport sur l’invention ; l’impression fut favorable, aussi une somme de 10 000 francs fut allouée à Fulton afin de poursuivre ses expériences.
En mai 1801, Fulton exécuta en Seine, dans son Nautilus, des expériences intéressantes de navigation sous-marine : il vogua à la surface, plongea et se maintint sous l’eau marchant avec ou contre le courant pendant trente minutes. Un seul homme accompagnait Fulton ; une chandelle éclairait l’intérieur de l’embarcation pendant la manœuvre qui se fit sans encombre. Cette expérience démontra la possibilité de vivre pendant une longue immersion et la facilité de se diriger dans une masse liquide.
Le Nautilus avait la forme d’un cigare, il était en bois recouvert de cuivre et cerclé de fer ; sur le dessus était un dôme muni de hublots lenticulaires, la quille était formée par une lourde barre métallique faisant contrepoids et équilibre ; à l’avant sur les joues étaient disposées les ancres ; à l’arrière étaient le propulseur et le gouvernail manœuvrés de l’intérieur.
La propulsion mécanique était donnée par le mouvement d’une manivelle actionnant une sorte de roue à aubes elliptiques située à l’arrière.
Sur le dessus du Nautilus était disposé un mât mobile pouvant se dresser et se rabattre sur la coque et susceptible de porter une voilure.
Le Nautilus avait 21 pieds 4 pouces, un peu plus de 7 mètres de longueur ; il naviguait à la surface à l’aide de sa voilure déployée et de son propulseur.
Pour plonger, Fulton carguait la voile, couchait le mât, comprimait de l’air dans la coque, puis, à l’aide d’une pompe, faisant pénétrer de l’eau dans-la cale, la descente s’opérait d’elle-même ; pour remonter il rejetait par refoulement l’eau de surcharge.
Ce premier bateau résolvait, comme on le voit par sa description, toutes les principales conditions exigées par la navigation sous-marine.
Sur un rapport favorable à ces premières expériences et à celles exécutées en rade du Havre, Fullton fut envoyé à Brest.
On raconte qu’en traversant de l’un de ces ports à l’autre, Fulton se plaisait à donner l’alarme aux forts de la côte, et à surprendre les canonniers en plongeant tout à coup pour reparaître quelques minutes après dans une autre direction.
Le 3 juin 1801 il fit des expériences dans le port de Brest, navigua dans différentes directions et resta entre deux eaux pendant plus d’une heure. Le 26 du même mois il fit voile hors du port, et, repliant rapidement le mât, il plongea dans la mer pour paraître et disparaître à son gré en tous sens ; à son retour en rade il attacha, en présence de l’amiral Villaret, un torpedo contre le flanc d’un vieux ponton qu’il fit sauter en l’air à une hauteur considérable. Le 7 août, ayant comprimé de l’air dans son bateau, il put évoluer pendant cinq heures sous l’eau ; quand le Nautilus reparut, son équipage n’avait aucunement souffert de ce long séjour au fond de la mer.
Ces expériences semblaient concluantes, mais on exigeait une démonstration plus éclatante de la puissance du nouvel engin. Fulton attendit longtemps le passage d’une frégate anglaise en croisière sur nos côtes pour courir sus à l’ennemi, elle ne vint pas et les pouvoirs publics se désintéressèrent bientôt et de l’inventeur et de ses engins. Fulton fit de nouveaux appels au gouvernement français, mais il fut abandonné. Pour Napoléon, Fulton n’était qu’un charlatan et un aventurier ; plus tard il eut à regretter ce jugement [2].
Fulton demandait pourtant peu de choses : le remboursement du prix de son bateau, 40000 francs, sur lequel on retiendrait la somme déjà avancée, 10000 francs et un brevet lui donnant la qualité de belligérant afin d’éviter en cas de prise d’être pendu, lui et son équipage.
II est curieux de remarquer que cette demande de brevet fut une des causes du refus de soutenir plus longtemps Fulton. Le ministre de la Guerre, l’amiral Pleville le Pelley, conclut qu’il était impossible de donner une patente de belligérant à qui employait de tels moyens pour l’attaque et la défense ; Caffarelli, préfet maritime de Brest, émit la même opinion, ajoutant que ce mode de combattre était la perte fatale et de ceux qui dirigeaient l’attaque aussi bien de ceux sur qui elle était conduite et que ce n’est pas là une mort vaillante.
L’invention de Fulton fut délaissée par la France. Le savant ingénieur n’en continua pas moins ses recherches mécaniques et le 9 août 1805 il faisait sur la Seine des expériences de navigation à vapeur en présence d’un grand nombre de personnes et de savants parmi lesquels Bougainville, Bossut, Carnot, Périer, délégués de l’Académie des sciences. Ces nouveaux travaux de Fulton n’eurent aucune suite en France. Il quitta notre pays en 1809 pour passer en Angleterre, puis en Amérique où il poursuivit ses études sur la navigation sous-marine et surtout sur la navigation à vapeur ; ces dernières furent couronnées d’un plein succès.
En Amérique, Fulton perfectionna le bateau sous-marin et la torpille et fit aux frais du gouvernement, dans le port de New-York, plusieurs expériences remarquables. Il était même parvenu à ajouter à son appareil un moyen de couper les câbles des bâtiments à l’ancre à l’aide d’un canon qu’il faisait partir sous l’eau ; le résultat de cet essai fut si intéressant qu’il mit en pratique l’idée de tirer sous l’eau des canons chargés à boulets et à bombes : il arriva à défoncer, à quelques mètres de distance, la carène d’un vieux vaisseau.
Nous donnons, d’après un ancien document des dessins de colombiades ou canons sous-marins.
Le 24 février 1815 Fulton mourait. La navigation sous-marine et la torpille furent, pendant un demi siècle, presque oubliées ; mais la navigation à vapeur prit peu à peu un grand développement.
En terminant, nous raconterons sur Napoléon et les premiers sous-marins une histoire bien originale que nous trouvons dans une étude de Cl. Evrard remontant à 1850. L’anglais Johnson, capitaine, selon d’autres smuggler (contrebandier), qui avait refait pour l’amirauté anglaise les expériences de Fulton, avait conçu le projet d’enlever Napoléon de Sainte-Hélène à raide d’un vaisseau sous-marin. Johnson se proposait de ménager sa route pour arriver, devant Sainte-Hélène, vers la fin du jour ; afin de mieux éviter les croiseurs, il aurait submergé son navire et gagné le rivage entre deux eaux. Là, il eût expédié un émissaire à l’empereur et attendu tout le temps nécessaire. Son intrépidité et son sang-froid étaient bien propres à assurer le succès de l’entreprise. Des sommes énormes lui étaient promises en cas de réussite complète ; en outre, on devait lui compter 40000 livres sterling dès que son navire serait prêt à partir. Mais le jour où l’on appliquait sur la carène un doublage en cuivre, on apprit que l’illustre captif n’existait plus.
T. Oblaski