Le phénomène de la pluie subit, dans chaque pays et pendant le cours d’une année, des variations diverses, plus ou moins régulières et périodiques, qu’une longue série d’observations met en évidence. Les courbes de la figure 1 représentent ces variations, considérées sous le double rapport de la fréquence et de la quantité, d’après les nombres mensuels moyens de jours de pluie et les quantités mensuelles moyennes de pluie, pour Clermont-Ferrand (22 ans), le sommet du Puy de Dôme (18 ans) et paris-Montsouris (24 ans). Nous donnons en outre les courbes de quantité, déduites de 27 années d’observations pour les stations anglaises de Greenwich, Rothamsted, Hitchin, Cardington et Stretham Ely.
A première vue on s’aperçoit que les variations en question ne sont pas absolument simples, et qu’elles sont loin d’être identiques dans toutes les stations. Les courbes de Clermont et de Paris montrent en effet une double variation en quantité ainsi qu’en fréquence ; celles du Puy de Dôme accusent une triple variation pour la fréquence et une oscillation quadruple pour la quantité. Pour le sommet du Puy de Dôme, le maximum absolu en quantité se trouve en mars ; il est en juin pour Clermont, en octobre pour Paris, Greenwich, Rothamsted et Hitchin. Il faut cependant remarquer que la courbe de Paris présente en juin un second maximum, qui diffère à peine du maximum principal d’octobre, et qui coïncide, en temps, avec celui de la courbe Clermont et avec un maximum relatif de la courbe Puy de Dôme. Toutes les stations ont leur minimum principal de pluie pendant la saison froide de janvier à mars, surtout en février et mars. Le Puy de Dôme seul n’offre, à cette époque de l’année, qu’un faible minimum relatif ; mais il a en outre, un autre minimum relatif très accentué en mai, et son minimum principal en août-septembre.
Un examen attentif des courbes fait reconnaître qu’elles sont, dans leur ensemble, en rapport avec la marche annuelle de la température, mais que l’action de cette dernière cède quelquefois le pas à des influences secondaires qui créent des irrégularités de valeur et de temps.
Ces irrégularités sont principalement dues aux changements qui surviennent, soit en surface, soit en hauteur, dans la situation générale de l’atmosphère. Une perturbation plus ou moins saisonnière dans la trajectoire ordinaire des grandes dépressions ou dans la position des aires de fortes pressions suffit pour que le rayonnement solaire produise, sous le rapport de la pluie, des effets divers, inégaux, et souvent contraires.
Nous n’insisterons pas sur ce sujet, et nous n’entrerons dans quelques détails qu’en ce qui concerne la variation annuelle de la pluie à Clermont-Ferrand. Cela suffira d’ailleurs pour nous permettre de signaler quelques résultats intéressants qui ont un certain caractère de généralité. Ils doivent convenir, d’après quelques comparaisons succinctes, à tous les pays modérément montagneux, lorsque la situation géographique .de ces pays leur permet d’échapper assez fréquemment à l’influence directe des grandes dépressions barométriques. Dans ces conditions, en effet, l’action du soleil est souvent énergique, relativement fréquente et régulière, de sorte que les courants ascendants acquièrent une intensité locale remarquable qui accentue à la fois et la variation diurne et la variation annuelle de la pluie.
Minima | Maxima | |
---|---|---|
Janvier. | 1,7mm en 1880 | 78,9mm en 1875 |
Février | 5,4mm en 1887 | 87,7mm en 1889 |
Mars | 7,4mm en 1884 | 124,9mm en 1876 |
Avril | 3,8mm en 1895 | 113mm en 1880 |
Mai | 22mm en 1876 | 133,5mm en 1877 |
Juin | 14,7mm en 1800 | 209,5mm en 1876 |
Juillet | 8,4mm en 1876 | 145mm en 1877 |
Août | 17,6mm en 1883 | 117,7mm en 1892 |
Septembre | 0,3mm en 1805 | 178,4mm en 1875 |
Octobre | 9mm en 1877 | 118,7mm en 1886 |
Novembre | 3,2mm en 1881 | 79,5mm en 1892 |
Décembre | 3,8mm en 1890 | 69,3mm en 1888 |
C’est pour ces raisons que, dans la figure 1, les courbes relatives à Clermont-Ferrand montrent un maximum très accusé en mai-juin pour la fréquence de la pluie, et un- autre plus prononcé encore, en juin, pour la quantité. Ce dernier maximum doit son exagération à une plus grande fréquence des pluies de toutes valeurs, mais surtout à celle des pluies abondantes. La figure 2 met le fait en évidence, de même qu’elle explique le maximum relatif qui existe en septembre, à une époque où la fréquence générale est presque à son minimum absolu. D’après la courbe Clermont (Q. de la figure 1), c’est donc durant la belle saison que les nuages versent le plus d’eau sur la terre, et pendant l’hiver qu’ils en donnent le moins. On croit cependant le contraire dans notre région, parce qu’on base communément son opinion, non pas sur une mesure exacte de la pluie, mais sur l’impression plus ou moins désagréable que celle pluie a produite.
Les valeurs extrêmes des quantités mensuelles de pluie offrent un intérêt spécial au point de vue agricole. Pour la période de 22 ans que nous avons considérée, elles sont exposées dans le tableau ci-contre.
Ce tableau permet de constater que pour un mois quelconque la quantité d’eau fournie par l’atmosphère peut varier, suivant les années, dans des proportions énormes. Le mois de septembre 1875, par exemple, a donné 600 fois plus d’eau que le mois de septembre 1895. — C’est le mois de mai qui présente les variations les plus faibles, et cependant, en mai 1877 ; il y a encore 6 fois plus de pluie qu’en mai 1876.
Les mois qui ont fourni le moins d’eau pluviale peuvent servir dans une certaine mesure à déterminer les périodes de sécheresse ; mais celles-ci sont bien mieux caractérisées quand on ne s’astreint pas il suivre les divisions du calendrier et que l’on considère un intervalle de temps quelconque pouvant s’étendre sur plusieurs mois. On trouve ainsi trois sécheresses particulièrement remarquables :
- Celle du 10 décembre 1879 au 1er février 1880, qui a duré deux mois et demi sans que la terre reçoive plus de 8 millimètres d’eau météoriques par petites quantités ;
- Celle du 16 mars au 28 avril 1893, dont la durée a été de 42 jours, avec un défaut d’eau pluviale presque complet, cal’ le pluviomètre n’en a accusé que 0,1mm le 19 avril et 0,2mm le 22 ;
- Celle du 25 août au 1er octobre 1895, qui comprend 56 jours durant lesquels le manque de pluie a encore été presque absolu, puisqu’il n’est tombé que 0,1mm d’eau le 10 août et 0,2mm le 11 août [1].
L’importance d’une sécheresse varie d’ailleurs suivant qu’on la considère au point de vue. météorologique ou sous le rapport agricole. Pendant l’hiver, en effet, l’agriculture a peu besoin d’eau pluviale, tandis qu’il lui en faut périodiquement à d’assez courts intervalles pendant les trois autres saisons de l’année, pour que la végétation des plantes culturales puisse s’effectuer dans des conditions rémunératrices pour les cultivateurs. C’est pour cela que la sécheresse de l’hiver 1879 -1880 n’a guère intéressé que les météorologistes, tandis que celle de l’automne de 1895, et surtout celle du printemps de 1895 resteront longtemps gravées dans la mémoire des agriculteurs.
Il faut encore remarquer que la couche d’eau pluviale tombée en 1895, c’est-à-dire pendant l’année de la plus néfaste sécheresse, s’est élevée à 563 millimètres, et qu’elle a été supérieure à celle des années 1877, 1881, 1883, 1890, 1894, qui n’ont pas laissé de mauvais souvenirs. Bien plus, l’année 1895, malgré sa grande sécheresse de l’automne, passerait même pour une année pluvieuse si l’on s’en rapportait uniquement au total des pluies qu’elle a fournies, puisque ce total a atteint 728 millimètres et dépasse ainsi de 90 millimètres celui qu’on était en droit d’espérer d’après 22 années d’observations. Cela prouve qu’en agriculture l’opportunité des pluies joue un rôle plus important que leur abondance ou leur rareté annuelle.
Jean-Raymond Plumandon, météorologiste à l’observatoire du Puy de Dôme.