L’horloge d’appartement au moyen-âge

Planchon, La Nature N°1190 n— 21 mars 1896
Vendredi 18 décembre 2009 — Dernier ajout samedi 8 mars 2014

La date précise de l’origine de l’horloge d’appartement est assez obscure. Toutefois, nous pouvons constater, par les documents qui nous sont parvenus sur ce sujet, que l’on a employé l’horloge d’appartement en même temps que l’horloge de clocher. Ainsi on peut comparer l’horloge du pont de Caen, placée en 1514 et qui est une des premières connues, en tant qu’horloge de clocher, avec celle d’appartement signalée dans l’inventaire de Philippe le Bel, qui régna de 1285 à 1514. « Un Reloge d’Argent tout entièrement sans fer à deux contrepoids d’argent emplis de plomb qui fut du Roy Philippe le Bel. )

Pour étudier les formes des horloges datant des siècles passés, deux moyens nous sont offerts. D’abord les représentations et ensuite les pièces originales. Nous trouvons des représentations d’horloges dans des œuvres d’art de toutes sortes, en sculpture, en peinture, en gravure, même dans les tapisseries. Les dates de ces documents offrent de précieux renseignements pour la date des horloges elles-mêmes. Quand les pièces originales sont datées, l’étude en est facile, mais il n’en est pas toujours ainsi. C’est alors qu’il faut tenir compte de la persistance des traditions afin de ne pas tomber dans de grossières erreurs.

Nous ne possédons aucune description ni aucun document nous indiquant la forme des horloges au quatorzième siècle. Seuls, les inventaires qui nous sont parvenus nous en révèlent l’existence en indiquant les matières qui les composaient ainsi que leur poids et leur ornementation.

Les documents plus précis ne commencent qu’au siècle suivant. Si l’on est forcé de procéder par supposition relativement aux formes des horloges du quatorzième siècle, on est en droit de penser qu’elles ont été fort belles, car à cette époque où régnait le bon goût, les ouvriers orfèvres ou les forgerons habiles ne manquaient pas. Comme ces pièces n’étaient destinées qu’aux plus grands seigneurs, on devait nécessairement chercher à les orner le plus possible. Nous trouvons une preuve de leur luxe dans les matières qui les composaient, car l’or, l’argent et les pierres fines étaient employés dans leur construction.

Ainsi, dans l’inventaire des meubles et joyaux du Roi Charles V, commencé le 21 janvier 1579, il est dit : « Ung Reloge d’argent blanc semé sur ung pillier qui s’appelle Orlogium athas pesant 3 marcs, 3 onces, 5 estellins. » Jusqu’alors ce n’étaient que les rois ou les princes qui possédaient des horloges. Le premier particulier qui en eut une fut, dit-on [1] , un astronome nommé Waltherus qui, en 1484, s’en servait pour ses observations.

La sonnerie a. été employée dans les horloges d’appartement, très probablement dès son origine. Au quinzième siècle toutes les horloges en étaient à peu près pourvues. En 1420, Philippe le Bon avait « Ung petit Reloge quarré en argent doré et esmaillé des signes du Zodiaque avec un tymbre dessus pour sonner les heures ».

A partir du quinzième siècle des documents suffisamment nombreux vont nous permettre d’étudier les formes et décorations des horloges d’une façon certaine ; car dès lors nous pouvons mettre à contribution les deux sources de renseignement dont nous parlons plus haut.

Les primitives horloges n’avaient pas toujours de caisses renfermant le mouvement : souvent une simple ossature en fer soutenait le rouage et le cadran garnissant le devant (fig. 1 A). Celle que nous représentons ici fait partie de notre collection.

Vu la rusticité des rouages, une fermeture absolue ne s’imposait pas, car la poussière ne pouvait avoir aucune action sur eux. Puis les ouvriers qui avaient construit l’horloge devaient être assez désireux de laisser admirer leur travail. D’autres fois les dimensions de certaines roues étaient telles qu’elles dépassaient en dehors de la cage et empêchaient de renfermer le mouvement. Nous en trouvons les exemples dans l’horloge d’un manuscrit ancien de la Bibliothèque nationale, dans une vignette du tableau de la civilisation (l’horloger) datant de la fin du quinzième siècle, et encore dans un manuscrit de la même époque appartenant à la Bibliothèque de Rouen, « les Étiques d’Aristote ».

D’autres horloges avaient les panneaux composant la caisse qui renfermait le mouvement complètement ajourés : ces pièces sont remarquables par la richesse de leur ornementation ; telle est celle existant encore au Musée de la ville de Bourges (fig. 1 B) ou celle que nous avons détachée d’une fort belle tapisserie de Van Eyck (1395-1440) représentant l’histoire de la Vierge (fig. 2) et dans laquelle une femme allégorique dite la Tempérance tient une horloge dans ses mains.

A la fin du quinzième siècle nous voyons des horloges complètement closes : telle est celle que tient dans sa main la statue de la Tempérance qui orne l’un des angles du tombeau de François II à Nantes, sculpté par Michel-Colomb, qui vécut de 1431 à 1512 et dont nous avons détaché l’horloge que nous donnons ici (fig. 4). Nous venons de parler ci-dessus, de Tempérances avec horloges, il nous faut donner ici un autre exemple.

L’iconographie chrétienne nous apprend qu’à partir du quinzième siècle la vertu cardinale la Tempérance est presque toujours symbolisée par une femme tenant le plus souvent une horloge dans une main comme nous venons de le dire, ou encore la portant sur la tête (fig. 3) ; de l’autre main elle tient ou un frein de cheval, ou une sorte de binocle ; rarement celle main reste inoccupée. Quelquefois encore le mors de cheval est placé sur la figure même de la femme. Avant le quinzième siècle cette même vertu est toujours représentée par une femme, mais avec des attributs différents.

Ainsi au Musée du Louvre il existe une statue en marbre de l’école Italienne du quatorzième siècle représentant une Tempérance tenant un bouquet de fleurs dans la main.

Nous ajouterons à ces détails, que pendant le dix-septième siècle l’horloge commence à disparaître. La femme conserve cependant le mors. Telle est la statue de la Tempérance du monument funéraire d’Henri de Longueville sculpté par F. Auguier, au Musée du Louvre. D’autre part la Bibliothèque nationale possède quelques gravures représentant des’ Tempérances sans horloges. Les attributs qu’elles tiennent sont des fleurs, le frein, le binocle ou le foliot d’horloge qui est le balancier primitif.

Nos recherches, dirigées dans ce sens, nous ont fait découvrir là une source de renseignements dont nous avons profité pour l’histoire que nous avons entreprise, des formes de l’horloge.

Dans la sculpture nous en avons trouvé : au tombeau de Louis XII à Saint-Denis, où la statue tient une horloge aux armes de France, au tombeau de Georges d’Amboise à Rouen (fig. 5), sculpté par Rolland le Roux (1516-1525), au jubé de Limoges construit de 1533 à 1535, dans la façade du chàteau d’Usson à Echebrune (1530-1550), à la cathédrale d’Amiens sur un tombeau, dans la chaire de l’église de Saint-Étienne-du-Mont, dans les tapisseries du palais de Madrid (1500 à 1508 (combats des Vices et des Vertus (fig. 6) par Jean de Maubeuge, provenant du château de Duerstede, propriété de Philippe de Bourgogne, évêque d’Utrecht, lesquelles représentent le chemin des Honneurs, le Vice, la Justice, la Foi.

L’Arithmétique a été symbolisée aussi par une femme tenant une horloge (fig. 7). Cet emblème se trouve au Musée du Louvre dans un plat d’étain faisant partie de la collection Sauvageot, et une autre dans la décoration d’une horloge horizontale, signée Lévy à Aix-la-Chapelle 1620, au Kensington de Londres. Au Musée du Louvre, collection His de la Salle, il y a un dessin de Paul Véronèse (1528-1588) représenntant une femme debout ayant sous ses pieds un homme. La Notice porte : « La Vertu terrassant le Vice » ; la femme tient l’horloge de ses deux mains.

Toutes ces horloges sont relativement petites ; elles ont de 0,40m à 0,50m de hauteur. Celles que nous avons trouvées dans les représentations de scènes diverses dans les peintures confirment le fait, d’après les proportions des personnages.

Les horloges étaient ordinairement accrochées simplement au mur ; on en plaçait cependant aussi sur support. Dans un manuscrit de la fin du quinzième siècle appartenant à un collectionneur de Paris, M. le marquis de Panisse, nous avons vu une miniature représentant le Jugement dernier, dans laquelle se trouve une horloge posée sur un support, ou console percée pour le passage des cordes soutenant les poids (fig. 8). Cette horloge, d’aspect assez lourd, est en fer, le rouage est visible sur le côté ; le cadran occupe toute la face ; il est composé d’un disque peint en rouge avec les 12 heures blanches ; le centre du disque est bleu avec une rosace d’or.

Il est donc établi par tout ce qui précède que, dès les quatorzième et quinzième siècles, l’horloge avait atteint son plus haut degré d’intérêt artistique et décoratif et qu’elle avait été faite dès lors en métaux les plus précieux, puis exécutée en fer de la plus merveilleuse façon ; qu’enfin le cuivre y était déjà employé, soit ciselé, soit repoussé.

Il est à remarquer que dans toutes les horloges de ces primitives époques on n’a pas cherché à dissimuler ou à dénaturer la destination de l’objet par une ornementation particulière. Le cadran y est grand et permet de bien voir l’heure, la cloche proportionnée à la cage et bien disposée pour que rien n’en atténue le son. C’est donc bien là une horloge. Du reste elle conservera jusqu’à nos jours, ces caractères généraux dont on s’est tant éloigné ensuite dans les pendules.

C’est pendant le quinzième siècle, sous le règne de Charles VII, que le ressort moteur fut inventé. Cela amena une profonde révolution dans la destination des horloges, car elles peuvent dès lors être portatives. Mais cela n’a pas eu d’influence sur leurs formes et l’horloge est toujours la même, qu’elle soit à poids ou à ressorts.

Il n’est pas venu à notre connaissance d’horloges originales à ressort du quinzième siècle, et tant qu’aux documents de représentation, ils ne sont pas à consulter, vu ce que nous avons dit déjà : que le ressort n’influençait pas sur les formes, et par conséquent on ne peut pas distinguer avec certitude dans un dessin les unes des autres. L’horloge à ressort a dû être très rare à l’époque, vu la difficulté de fabriquer le ressort, et comme ces pièces devaient moins bien marcher et coûter plus cher, il a fallu que la fabrication de cet organe fût perfectionnée pour que l’emploi en devînt plus fréquent, ce qui n’a eu lieu que dans le siècle suivant.

PLANCHON.

[1Bailly ; Astronomie moderne.

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