La joaillerie dans l’antiquité

La Science Illustrée N° 559, 13 Août 1898
Samedi 28 février 2009

Il est impossible de séparer nettement l’orfèvrerie dé la bijouterie et de la joaillerie. L’orfèvre est l’artisan qui met en œuvre l’or et les autres métaux précieux quelle que soit la destination du produit de sont travail ; le bijoutier fabrique les objets d’or et d’argent devant servir d’ornements personnels, particulièrement aux femmes ; le joailler emploie l’or et l’argent pour la monture des pierres précieuses ; il fabrique, lui aussi, des bijoux quand les caprices de la mode l’exigent.

Ayant l’intention d’étudier plus tard la bijouterie et l’orfèvrerie, nous voulons nous occuper tout spécialement dans une série d’articles des productions de l’art du joailler à travers les âges et des fluctuations qu’ils a subies.

Chez les Égyptiens, auxquels il faut toujours arriver en remontant le cours lointain des âges, nous trouvons déjà la joaillerie en grand honneur. Les femmes portaient des boucles d’oreilles de formes et de dimensions diverses, ornées de pierres précieuses ou d’incrustations de pâte de verre, suivant leur fortune. Les mêmes substances précieuses se retrouvaient sur les colliers et les bracelets.

Ninive et Babylone, sièges d’une éclatante civilisation, déployèrent une richesse et un luxe inouïs. Non seulement les gemmes brillaient au cou ou aux oreilles des femmes, mais encore sur les armes, dans les costumes et l’ameublement.

Chez les Hébreux même triomphe de l’incrustation des substances précieuses sur les bois et dans le meuble. De nombreuses raisons permettent de croire que les plus belles pièces incrustées, de même que les pendants d’oreilles, les bagues et les bracelets que portaient les Juives étaient l’œuvre d’artisans égyptiens ou phéniciens.

En Perse, dès la plus haute antiquité, nous trouvons la glyptique en faveur. Cet art, qui passe pour avoir été inventé en Égypte, comprend, comme on sait, deux modes opératoires distincts ; la gravure des pierres fines en relief, qui donne les camées, et le travail en creux, qui a reçu le nom d’intaille.

Les artistes persans pratiquaient surtout la gravure en creux sur les amulettes et les cachets. Le cabinet de la Bibliothèque nationale possède de nombreux échantillons de pierres sur lesquelles sont gravées des sujets se rapportant à la mythologie persane ou des figures d’animaux : lions, chameaux, griffons, cerfs, etc.

En Grèce, la joaillerie était appréciée dès l’époque d’Homère. Dans le chant XIV de l’Iliade, le poète nous apprend que Junon « met à ses oreilles habilement percées des boucles travaillées et ornées d’une triple pierre précieuse ».

Au VIIIe siècle avant. J.-C., un orfèvre de Samos, attaché à la cour du roi Crésus, ciselait pour ce prince une vigne d’or qui avait pour fruits des grappes de pierres précieuses. De tous les bijoux, les colliers étaient ceux dont l’usage était le plus répandu : leur variété était extrême.

La bijouterie étrusque a toujours fait l’admiration des artistes.

Les Toscans, ou Étrusques, que les Grecs nommaient Tyrrhéniens, précédèrent de plusieurs siècles les Latins dans la civilisation.

Pendants d’oreille, bracelets, bagues, colliers de cette époque sont toujours gracieux et élégants.

Les colliers sont souvent formés de pierres fines sur lesquelles sont gravés des scarabées, des sphinx ou un cerf attelé à un char.

L’émeraude y entre fréquemment, sans doute en raison des propriétés magiques qu’on lui attribuait. Des colliers contiennent une trentaine de ces belles pierres que les artistes étrusques savaient fort bien tailler. Le musée du Louvre possède quelques-uns de ces bijoux magnifiques ainsi que des diadèmes funéraires formés d’une plaque d’or estampée, enrichie de pierres précieuses ou ornée de gouttelettes d’émail vitrifié et une collection remarquable de bagues étrusques, dont le chaton, très saillant, atteint parfois deux centimètres de hauteur. Les sujets énumérés plus haut y sont représentés avec un filet de perles creusé en encadrement. Les pierres précieuses sont généralement trouées de part en part, en forme de coulants.

La joaillerie romaine ne diffère pas sensiblement de la joaillerie grecque ; ce qui s’explique aisément par ce fait que la Grèce vaincue envoya à Rome ses artistes, ses architectes, ses orfèvres. Les œuvres de cette période sont cependant trop alourdies, surchargées par la richesse de la matière. Les pierres précieuses atteignaient des prix incroyables et étaient répandues avec profusion dans le costume et sur les bijoux. Sénèque écrivait, au premier siècle de l’ère chrétienne : « Je vois des perles, non pas une pour chaque oreille ; les oreilles sont maintenant exercées à porter des poids plus lourds. Les perles sont réunies ; on les superpose par rangs ; la folie des femmes n’avait pas encore assez dompté la volonté des hommes ; c’est deux, c’est trois patrimoines qu’elles suspendent à leurs oreilles. »

Le talent des graveurs sur pierres fines fut apprécié à Rome comme en Grèce. Les bagues romaines sont remarquables par la beauté des intailles et des camées. Des têtes, des profils, des inscriptions figurent sur les chatons qui servaient souvent de cachets. Les pierres grecques gravées sont signées du nom de l’artiste, tandis que les pierres romaines portent celui de leur propriétaire.

Les gemmes n’étaient pas choisies indifféremment dans l’antiquité ; les nacres servaient à figurer les divinités infernales ou funestes, les améthystes étaient employées pour les Bacchus, les aigues-marines pour les divinités de la mer.

Nous parlerons, dans un prochain article, de la joaillerie à Byzance et dans l’Europe occidentale, au moyen âge.

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