M. Hoffmeyer, le savant directeur de l’Institut météorologique danois, vient de publier un mémoire très intéressant où il examine la possibilité de prévoir le temps à plus longue échéance à l’aide d’un réseau télégraphique convenablement disposé.
Tout d’abord l’auteur rappelle que dans notre hémisphère en général, et en particulier sur les régions que nous avons été à même d’étudier plus complètement, les dépressions se meuvent de l’Ouest à l’Est. Ce fait, combiné avec la loi de rotation du vent de Buys-Ballot et quelques remarques empiriques variables avec les régions, a permis d’établir les services de prévision du temps en Europe. Ces services, comme on le sait, basent surtout leurs avis sur les observations des stations situées à l’Ouest, et qui reçoivent les premières l’atteinte des perturbations. Dans l’état actuel de la météorologie, la prévision se borne à une alerte convenablement interprétée.
Les essais d’avertissements tentés en Amérique par le New-York Herald semblent fondés sur une autre méthode : sur le prolongement de la trajectoire des dépressions et l’extension à l’Europe des caractères offerts par ces météores en Amérique. Un des côtés faibles de ce service, c’est qu’il est obligé de s’appuyer sur des présomptions théoriques, alors que jusqu’ici aucune règle scientifique ne permet de définir la marche et les caractères à venir d’une dépression, en prenant pour point de départ sa manière d’être pendant un certain temps.
Pour étudier la possibilité des avertissements à longue échéance, M. Hoffmeyer s’est livré à l’étude des trajectoires et de l’intensité des dépressions pendant une période de vingt et un mois (de septembre à novembre 1875 et de décembre 1874 à mars 1876), où ses cartes synoptiques étaient apppuyées sur des documents nombreux, afin d’éviter au tant que possible les incertitudes dans le tracé des isobares en mer.
Les 285 minima barométriques observés entre 10 degrés à l’Est et 60 degrés à l’Ouest de Greenwich peuvent être subdivisés de la manière suivante : A, 25, soit 8 %, font leur première apparition dans la baie de Baffin ou le détroit de Davis, provenant vraisemblablement, pour la plupart, des régions arctiques de l’Amérique. — B, 126, soit 44 %, arrivent en traversant les États-Unis de l’Amérique du Nord et le Canada (voir carte 1) — C, 25, soit 9 %, apparaissent entre Terre-Neuve et les Açores, et viennent probablement des régions tropicales de l’océan Atlantique. — D, 106, soit 57 %, se forment en plein Océan, par une segmentation des perturbations déjà existantes, et sont en conséquence désignés sous le nom de minima partiels ou secondaires. — E, 5, soit 2 %, semblent s’être produits au large.
Nous voyons donc que 61 % du nombre total des dépressions sur l’océan Atlantique viennent de l’Amérique, tandis que 59 %, soient D et E, se forment en pleine mer. Sur ces 61 %, 44 % seulement peuvent être observées aux États-Unis ou au Canada (les autres passant par l’Amérique arctique). Si maintenant nous cherchons combien de ces perturbations atteignent l’Europe, nous trouverons que la moitié environ, ou 145 sur 288. dépassent le 10e degré à l’Ouest du méridien de Greenwich, savoir : A ou 17 minima arctiques soit 12 % ; B ou 68 minima de l’Amérique du Nord soit 47 % ; C ou 9 minima intertropicaux, soit 5 % ; D ou 48 minima partiels, soit 55 % ; E ou 4 minima de formation spontanée, soit 5 %.
Il résulte de là que sur 100 dépressions qui atteignent l’Europe, 47 % seulement ont pu être observées en Amérique, d’où en supposant (ce qui n’est point), que toute dépression qui a passé sur les États-Unis ou le Canada affecte nos côtes, ces régions ne pourraient même pas nous prévenir de l’arrivée de la moitié de nos tempêtes.
Une autre difficulté se présente pour la prévision des tempêtes par les Américains, c’est que les caractères de ces phénomènes ne sont pas les mêmes aux États-Unis et en Europe.
On voit sur les cartes du Signal Service que les dépressions sont généralement précédées et suivies d’aires de hautes pressions. Ces aires émigrent de préférence vers l’Est, à l’instar des pressions faibles, tandis qu’au contraire, sur l’océan Atlantique et l’Europe, elles montrent une tendance marquée à se maintenir stationnaires dans les mêmes régions pendant un temps plus ou moins considérable. Ce fait a une grande importance, dit M. Hoffmeyer, parce que les hautes pressions ne paraissent pas exercer en Amérique une influence notable sur le cours des dépressions et qu’elles cèdent et se déplacent dans le sens de l’Est au fur et à mesure que les perturbations pénètrent en avant dans cette direction. « Les anticyclones dont le berceau est l’océan Atlantique ou l’Europe jouent au contraire un rôle beaucoup plus important, car ils s’opposent carrément au progrès des perturbations dans certains sens et les forcent à faire un détour plus ou moins grand pour parvenir à l’Est. » C’est pourquoi les dépressions gardent sur le continent américain une beaucoup plus grande individualité ; à partir de Terre-Neuve, les aires de hautes pressions disparaissent, et les minima, n’étant plus séparés que par des arêtes de forte pression, peuvent se confondre et se segmenter, comme cela arrive fréquemment en Europe.
Les minima secondaires ainsi formés affectent souvent nos côtes d’une manière assez grave ; on les rencontre sur l’Atlantique dans toutes les phases de leur existence « d’abord comme de légères protubérances des isobares qui entourent le minimum principal, puis affectant des dimensions plus considérables et présentant une forme plus arrondie, jusqu’à ce que finalement elles constituent un système d’isobares fermées et indépendantes, entourées de vents qui forment le cercle de rotation complet ».
M. Hoffmeyer ayant montré que la moitié seulement des dépressions qui atteignent nos côtes a traversé l’Amérique, et que la trajectoire des bourrasques est profondément modifiée par les conditions que le météore rencontre (voir carte 2), arrive aux conclusions suivantes :
« Dans le but de se prémunir autant que possible en Europe contre des surprises venant de l’océan Atlantique, on doit chercher à se procurer les éclaircissements nécessaires sur les conditions actuelles du temps sur cette mer, après quoi il faut combiner ces connaissances avec les renseignements reçus d’Amérique ou, en d’autres termes, on doit tâcher d’établir pour la part de l’océan Atlantique un service du temps régulier et basé sur l’état de choses actuellement existant. »
Pour atteindre ce but, il est nécessaire de mettre en communication télégraphique avec l’Europe les îles Féroé, l’Islande, le Groenland méridional ainsi que les Açores, et en même temps, les Bermudes avec l’Amérique du Nord. Cela fait, il sera possible, en réunissant les dépêches de ces stations, celles de l’Amérique et celles du service journalier de la prévision en Europe, de dresser une carte quotidienne indiquant les traits généraux du temps sur la surface totale de l’océan Atlantique septentrional.
Cette représentation graphique de l’état du temps servira, étant données les règles empiriques déduites de l’étude des phénomènes et de leur succession sur l’Atlantique, à formuler les prévisions plus longtemps à l’avance et avec grande chance de succès. M. Hoffmeyer prouve la vérité de cette assertion en montrant que la trajectoire des tempêtes passe généralement assez près d’un des groupes de stations pour révéler l’existence et l’intensité de la dépression.
Après cette analyse, l’auteur se livre à une sorte de synthèse. Pour cela, il a prié le Meteorological Office de lui communiquer la position de quatre navires ayant navigué sur l’Atlantique en 1878, puis, en se basant sur des cartes construites à l’aide des stations terrestres, il a défini jour par jour le temps éprouvé par les navires. Ce travail accompli, M. Hoffmeyer a demandé au Meteorological Office copie des notes météorologiques des quatre navires, et a placé le temps observé en regard du temps prévu, comme dans l’exemple ci-dessous.
Temps prévu. - January, 18-19. Bar. rising : wind varing from. S.W.to W. and N.W. strong. Temps observé. - Bar. first rising, then falling : wind from S.W., W. and N.W., strong to fresh.
L’ensemble des prévisions est bien vérifié et montre que le réseau de stations proposé suffit pour donner les caractères généraux du temps sur l’Atlantique.
M. Hoffmeyer insiste, en terminant, sur les résultats qui seraient obtenus, au point de vue de la prévision, et même dans l’intérêt de la navigation, par l’organisation de ce réseau.
L’auteur voit bien les difficultés qui pourront entraver la pose du câble télégraphique, parce qu’aucune des lignes à créer ne pourra être entretenue par des motifs commerciaux, mais la dépense nécessaire serait compensée par les avantages que l’Europe entière retirerait de la prévision presque certaine des perturbations de quelque importance.
Du reste, ce qui paraît difficile à réaliser aujourd’hui devient facile demain : c’est ce qui caractérise notre temps de progrès et permet de bien augurer du projet de M. le capitaine Hoffmeyer.
H. S.