Il y a quelque temps, M. Charles Rabot annonçait ici-même [1], le retour de la Mission scientifique austro-hongroise, établie à l’ile Jan-Mayen sous le 71° de latitude nord, depuis le mois de juillet 1882. Le détail des observations rédigées conformément au programme de la Conférence polaire internationale ne tardera pas à être publié. En attendant ce travail définitif, M. Chavanne a écrit d’après les notes du chef de l’expédition, le lieutenant de vaisseau E. von Wohlgemuth, une intéressante brochure dont nous extrayons ce qui va suivre [2].
Jan-Mayen occupe, comme l’on sait, une situation très isolée dans le vaste bassin de l’Atlantique nord compris entre le Spitzberg, la Norvège, les Feroër, l’Islande et le Groenland. C’est une terre volcanique sortie des profondeurs de l’Océan à une époque relativement récente. Ses côtes assez régulières n’offrent aucun abri où un bâtiment de quelque importance puisse mouiller longtemps en pleine sécurité.
Le débarquement du matériel de la Mission fut assez pénible et ne put s’effectuer qu’à raide d’embarcations tirant fort peu d’eau. Cependant, la seconde quinzaine de juillet suffit à installer sur le rivage nord-ouest, à 10,50m environ au-dessus du niveau de la mer, l’observatoire et le logement du personnel. Des constructions en bois, spacieuses et agencées avec soin avaient été apportées d’Autriche. On établit de plus à quelque distance, un magasin en pierre destiné à recevoir l’alcool et l’essence de pétrole que l’on avait apportée en quantité notable pour satisfaire aux besoins de l’éclairage durant la longue nuit polaire.
Dès le 1er août, les travaux scientifiques s’accomplirent avec une grande régularité. La plus haute température observée pendant la belle saison a été +9° en août ; la plus basse -30,6° en décembre. Le tableau suivant montre les températures moyennes ainsi que le minimum et le maximum de chaque mois, flans la colonne de droite sont inscrites les moyennes mensuelles de la température de l’eau à la surface de la mer.
Maxima | Minima | Moyenne du mois | ||
Température de l’atmosphère | Température de l’eau à la surface de la mer | |||
Juillet 1882 | +8,7 | -0,7 | +3,39 | +2,48 |
Août | +9,0 | -1,25 | +3,09 | +2,76 |
Septembre | + 7,8 | - 4,8 | +1,89 | +1,41 |
Octobre | +8,7 | -5,1 | +2,14 | +1,27 |
Novembre | +5,0 | -15,6 | +1,94 | +0,41 |
Décembre | +3,1 | -30,6 | -9,63 | -1,27 |
Janvier 1883 | +2,8 | -28,6 | +7,29 | -1,67 |
Février | +2,6 | -19,1 | + 4,44 | -1,51 |
Mars | +2,4 | -22,4 | +10,33 | -1,70 |
Avril | +4,3 | -12,8 | + 2,73 | -1,44 |
Mai | +3,2 | -13,95 | -3,96 | -1,38 |
Juin | +7,1 | -2,5 | +1,85 | +0,27 |
Au mois de mars, la fonte des glaces abaisse notablement la température de la mer. Elle fait également sentie son influence dans le sol à une certaine profondeur. La moyenne mensuelle la plus basse des températures observées à1,56m sous terre, correspond en effet à la même période ; elle est de - 2.
La pression barométrique a fourni comme moyenne des douze mois 754,64mm ; le minimum 722,81 a été observé en février ; le maximum 782,04, en mars 1883.
Relativement à l’état des glaces, il importe de rappeler que l’hiver de 1881-1882 fut très rigoureux. À la fin de mai, la limite de la banquise passait à 120 milles marins au sud-est de Jan-Mayen. Vers le 13 juillet seulement, les abords de l’île devinrent praticables pour les navires. Le 26, treize jours après le débarquement de l’expédition, la glace avait tout à fait disparu. Elle se reforma le 14 décembre ; à cette époque, le vent du nord poussait à la côte un nombre considérable de petits glaçons épais de 10 à 15 cm qui se soudaient les uns aux autres et garnissaient rapidement la surface de la mer. Toutefois la glace ne dut jamais s’étendre très loin au sud-est, car les courants atmosphériques qui soufflaient du large suivant cette direction amenaient un léger accroissement de température.
An commencement de mars, se manifestèrent les premiers indices de la débâcle. Elle était complète le 13 juin, cinq semaines environ plus tôt que l’année précédente.
Les aurores boréales furent aussi remarquables par l’intensité que par le nombre. Depuis le 5 septembre 1882, date de leur première apparition, jusqu’au 14 avril 1885, époque où elles cessèrent de se montrer, on put les observer 124 fois. L’épaisseur des nuages et les tourmentes de neige voilèrent fréquemment le phénomène qui ne fut aperçu à maintes reprises que durant quelques minutes. Toutefois, plusieurs aurores boréales illuminèrent le ciel pendant 16 et même 17 heures consécutives. On les vit briller en somme durant 634 heures. Ces observations sont complétées par des notes prises avec grand soin sur la forme, l’intensité lumineuse et la spectroscopie des aurores boréales. Leurs rapports avec les variations de l’aiguille aimantée fourniront également des résultats curieux sur lesquels nous ne pouvons nous appesantir ici.
Il en est de même des études relatives à la direction et à la violence, du vent, qui pour acquérir toute leur valeur doivent être rapprochées des résultats obtenus simultanément en Norvège et au Spitzberg.
En 12 mois, les savants autrichiens comptèrent 600 heures de pluie et 1050 heures de neige. Le brouillard figure au même relevé avec le chiffre considérable de 3468 heures ; c’est, de beaucoup, l’accident atmosphérique le plus fréquent à Jan-Mayen. Il interrompit les meilleures journées de la belle saison et s’opposa bien souvent aux excursions maritimes dans les parages immédiats de l’île. Ainsi, durant le mois d’août 1882, il n’y eut pas moins de 536 heures de brume.
Malgré ces conditions défavorables, la Mission accomplit avec succès divers travaux intéressants sur la géographie et l’histoire naturelle. La flore est extrêmement maigre et les animaux terrestres sont faiblement représentés par le renard polaire et quelques oiseaux. Il n’en est pas de même pour la faune marine. De nombreux dragages, exécutés jusqu’à la profondeur de 300m, ont fourni une remarquable collection d’invertébrés où les zoologistes trouveront sans aucun doute des formes nouvelles.
Pendant tout l’hivernage, l’état sanitaire fut excellent. Le personne ! de l’expédition, composé de six savants et de sept matelots n’offrit à aucun moment le moindre symptôme de scorbut. Ce résultat satisfaisant doit être attribué à la bonne organisation du travail et à un exercice régulièrement pris autant qu’à la stricte observance des règles de l’hygiène.
Nous ne saurions toutefois terminer cette notice sans dire quelle part considérable revient au comte Wilczek dans le succès définitif. Ce généreux et ardent promoteur des explorations circumpolaires avait largement pourvu aux besoins scientifiques de l’observatoire de Jan-Mayen. Une réelle sollicitude pour les membres de la Mission doubla sa munificence ; il assura donc à ceux-ci un logement confortable et une nourriture abondante, rendant ainsi moins dangereux et moins rude, l’exil prolongé de ses vaillants compatriotes
Jules de Guerne