Les chaises à porteurs

La Science Illustrée N° 666, 1er Septembre 1900
Dimanche 22 février 2009 — Dernier ajout mardi 6 février 2024

Rien n’est intéressant comme l’étude des moyens de transport. Chacun d’eux nous révèle en quelque sorte les mœurs, les habitudes et pour employer un mot à la mode, l’état d’âme des peuples qui l’ont imaginé à l’époque où il le fut.

L’un des plus anciens est bien certainement la chaise à porteurs. Inventée sans doute pour la commodité de quelque important personnage qu’immobilisait un accès de goutte ou une attaque de paralysie, la chaise à porteurs ne tarda pas à devenir d’un usage général à Rome pour les classes riches.

Son origine se perd dans la nuit des temps. En Orient, les trônes étaient munis d’anneaux dans lesquels on passait des barres pour les soutenir et les transporter avec leur précieux propriétaire.

Les Grecs connurent le phoreion, litière plutôt que chaise, qui était recouvert d’un baldaquin et pourvu d’un matelas et d’un oreiller ; on pouvait y lire ou y dormir à l’aise en fermant les rideaux. Quatre esclaves la portaient ; parfois quatre autres suivaient pour les remplacer de temps en temps.

Les litières que nous retrouvons à Rome et dans l’Europe occidentale jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, étaient des sortes de voitures sans roues portées par des mules que des conducteurs menaient par la bride.

La véritable chaise à porteurs semble avoir été employée pour la première fois par l’empereur Claude. C’est une sorte de fauteuil couvert de rideaux mobiles et parfois même pourvu en guise de fenêtres, de plaques de mica. Deux brancards permettaient de la porter.

L’usage s’en répandit bien vite. Les hommes s’en servaient aussi bien que les femmes, à la ville et à la campagne et la faisaient porter par leurs esclaves.

Bientôt la chaise à porteurs se démocratisa et il y eut à Rome, des stations où l’on pouvait louer, comme aujourd’hui, un fiacre, une chaise et des porteurs. Ceux-ci, revêtus d’une casaque spéciale, noire .ou rouge, formaient d’ailleurs un syndicat, c’est-à-dire une corporation. L’histoire ne nous dit pas s’ils s’étaient aimables avec le bourgeois, si leur nez était aussi rouge que celui de nos modernes automédons, ni si le pourboire était obligatoire.

Bien mieux, certaines de ces chaises - chaises percées en ce cas - étaient destinées à remplir le rôle de nos colonnes Rambuteau et de nos élégants chalets de nécessité.

Le moyen âge ne connut pas, semble-t-il, la chaise à porteurs ; les rois fainéants lui préféraient leurs chars à bœufs.

C’est dans les dernières années du XVIe siècle que réapparaît la chaise à porteurs. Elle est formée d’une caisse plus haute que large vitrée sur le devant et les côtés, dans laquelle le promeneur ou plutôt la promeneuse se tient assise.

Ce moyen de transport fut mis à la mode par Marguerite de Valois, première femme de Henri IV, et à l’exemple de cette princesse, les hautes classes de la société s’empressèrent de l’adopter.

Il se trouva même bientôt, comme à Rome, des industriels pour l’exploiter. Les premiers qui firent une entreprise de ce genre furent Jean Doucet, Regnault d’Ezanville et Pierre Petit, auquels Marie de Médecis, alors régente, donna en 1617, le privilège d’organiser, à Paris et dans les autres villes du royaume, un service de chaises à bras ou chaises à porteurs, « pour y faire porter des rues à autres ceux et celles qui voudroient s’y faire porter ».

Ces chaises étaient découvertes, ce qui sous notre climat plutôt inclément, en diminuait beaucoup l’utilité : aussi leur préféra-t-on les chaises couvertes aussitôt que celles-ci furent connues. Ces dernières furent emportées de Londres en 1619, par le marquis de Montbrun, bâtard du duc de Bellegarde, qui se faisait appeler seigneur de Souscarrière et qui, au dire de Tallemand des Réaux, était allé en Angleterre « pour se remplumer de quelque perte au jeu ». Ce seigneur se fit accorder, pour lui et une dame de Cavoie, un privilège exclusif d’exploitation. Un privilège semblable fut donné plus tard à une demoiselle d’Estampes, devenue ensuite vicomtesse de Bourdeilles.

L’invention des fiacres, en 1640, ne fit pas disparaître les chaises de louage ; elles continuèrent à être employées dans certaines classes de la société, jusqu’aux premières années de la Révolution. En 1669, un sieur Dupin en imagina une espèce qui étaient montée sur deux roues ; mais ces nouvelles chaises que l’on appelait brouettes, roulettes et vinaigrettes n’eurent pas beaucoup de succès.

Les chaises à porteurs appartenant aux riches particuliers étaient souvent de petites merveilles de goût, de véritables bijoux. Il ne fut pas toujours facile aux belles dames d’y entrer avec leurs volumineux atours ; quand vint la mode des paniers, notamment, c’était une opération encore plus délicate que de franchir une porte étroite avec une ample crinoline aux élégantes du second empire.

Au XVIIIe siècle, les plus grands artistes comme Boucher, peignirent des panneaux de chaises. Laques, vernis Martin, montures de bronze, armoiries et couronnes servirent à les orner. La décoration suit les styles.

A Trianon, à Cluny, on peut voir de charmantes chaises à porteurs des époques Louis XV et Louis XVI. Au musée centennal des moyens de transport à l’Exposition de 1900, il en est aussi de fort belles.

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