Le bouclier est certainement la pièce la plus ancienne de l’armure. Il vint tout naturellement à l’esprit des premiers combattants de se préserver du choc des traits, du tranchant de la hache par un abri portatif. Son invention n’a pas coûté beaucoup d’efforts aussi le trouve-t-on chez tous les peuples, même les plus arriérés. Il varie seulement de forme, de matière et de dimensions suivant les temps et les lieux. Théoriquement, le meilleur bouclier est une planche assez grande pour que le guerrier soit abrité complètement par elle ; mais dans la pratique, une telle arme défensive est peu maniable ; la surface en fut réduite ; sa mobilité plus grande devant suppléer à sa taille insuffisante et lui permettre de parer tous les coups.
Chez le même peuple d’ailleurs, on trouve souvent deux sortes de boucliers en usage à la fois ; un grand pour résister aux armes lourdes ; un plus petit pour les armes légères, comme l’épée.
Le bouclier des Égyptiens, en airain, était un véritable parapet portatif. Celui des Grecs ou aspis, primitivement rond, avait environ un mètre de diamètre. On le fit d’abord d’osier tressé, puis de bois sur lequel on clouait des peaux ou des plaques de métal. Le bouclier d’Ajax était formé de sept peaux superposées. A Sparte, la perte du bouclier rendait le soldat infâme : « qu’on te rapporte mort sur ton bouclier, plutôt que de te voir revenir sans lui », disait une mère Spartiate à son fils avant le combat. Suivant Hérodote, les Cariens furent les premiers qui eurent l’idée d’orner leurs boucliers de peintures et de les garnir intérieurement de courroies pour les porter.
Les Romains employèrent d’abord le clypeus, grand bouclier rond ; plus tard, pour la grosse infanterie, ils adoptèrent le scutum, bouclier oblong, en bois, garni de plaques de bronze, de 1m,20 de hauteur environ ; les soldats étaient exercés à former avec leurs boucliers rapprochés une muraille crènelée à travers laquelle ils ne passaient que le bras armé du javelot. Quant à la cavalerie, elle conserva le bouclier rond, mais en lui donnant de très petites dimensions.
Le bouclier des Gaulois et des Francs était long et étroit, généralement octogone. Il était si grand qu’il pouvait au besoin servir de canot. Les Francs élevaient leurs chefs sur le pavois pour leur donner l’investiture.
Au IXe siècle, les Normands introduisirent dans tous les pays qu’ils visitèrent un bouclier long, arrondi par le haut, pointu par le bas, la targe, qui fut porté jusqu’à la fin du XVe siècle par les hommes de pied. Elle était ordinairement formée d’une charpente de tilleul recouverte de cuir et, parfois, décorée de reliefs, de peintures et d’inscriptions ; le musée de Cluny en possède quelques exemplaires fort curieux.
A mesure que la chevalerie se barde de fer, la taille du bouclier diminue. Il devient l’écu, petit et pointu par le bas, puis bientôt la rondelle à poing, diminutif de la rondache, qui ne sert plus qu’à garantir la main des coups de dague et de rapière.
Après l’invention des armes à feu, le bouclier fut la partie de l’armure que l’on abandonna la première ; cependant l’usage de la rondache était encore assez général au XVIe siècle. C’est au siège de Saint-Jean d’Angely, en 1621, que l’on se servit pour la dernière fois du bouclier en France.
On songe cependant à y revenir aujourd’hui. Le perfectionnement considérable des armes à feu amène, à la guerre, une telle hécatombe d’hommes, que de bons esprits se sont demandé s’il ne serait pas sage de munir l’infanterie d’un bouclier à l’épreuve de la balle.
Le lieutenant-colonel Goepp, des zouaves, a étudié un bouclier de 2 mètres de hauteur sur 1 mètre de large, formé de deux plaques en tôle d ’acier chromé de 3 millimètres séparées l’une de l’autre par un intervalle de 5 millimètres. Il ne peut être percé à 40 mètres par une balle de fusil Lebel. Il pèse 20 kilos, c’est beaucoup ; aussi n’est-il pas question de le faire porter longtemps par un soldat. Chaque régiment serait muni de 300 boucliers, nombre suffisant pour couvrir le front et les flancs de trois bataillons en masse. Des voitures les transporteraient jusqu’au lieu du combat, des hommes désignés les porteraient alors et formeraient, en marchant serrés les uns contre les autres, une demi-redoute mobile.
Un bouclier analogue, construit par le capitaine Von Holstein, vient d’être adopté par l’armée danoise.
Qui sait, le bouclier a peut-être encore un bel avenir !