L’apogée et le déclin de l’armure

La Science Illustrée N° 634, 20 Janvier 1900
Samedi 21 février 2009

Nous avons vu quelles étaient les différentes parties de l’armure au début du XVe siècle. Elle va devenir d’abord plus résistante, plus close et plus légère, mais bientôt le perfectionnement des armes à feu obligera à l’alourdir à tel point que le soldat renoncera à la porter, préférant les risques d’une blessure à la fatigue et à la gêne terribles que le harnois de guerre lui imposait.

Vers la fin du XVe siècle, sous Charles VIII et Louis XII, le plastron de la cuirasse se bombe, sa dossière se prolonge souvent en un garde-rein qui défend le séant. Les épaulières se redressent à angle droit, plus sur l’épaule gauche, que sur la droite, formant autour du cou une sorte de collerette de fer, le garde-collet ou passe-qarde, destiné à protéger le cou. Les tassettes ou gardes des flancs, qui étaient auparavant d’une seule pièce, se composent de pièces articulées qui permettent la flexion du torse. Le soleret, qui s’allongeait en une pointe, se raccourcit à la mesure du pied et prend la forme carrée comme toutes les chaussures du temps.

« Le costume civil, dit M. Lacombe, dans son intéressante histoire des armures, influe toujours sur le costume militaire. Comme nouvelle preuve à l’appui de cette vérité, on trouve des armures creusées et tailladées à la manière des habits de drap ou de soie de cette époque.

Un trait qu’on doit exagérer bientôt commence sous François 1er à se marquer ; un arrêt partage le plastron de la cuirasse en deux versants, et se dessine vaguement en pointe à la hauteur de l’estomac.

Sous Henri II et surtout sous Henri III, à l’imitation de ces habits bizarres qu’on remarque d’abord dans les peintures du temps, la taille de la cuirasse s’allonge, et la pointe de l’arête descend plus bas vers la ceinture, en même temps qu’elle s’accuse bien davantage. »

Jusqu’au règne de François 1er, les harnais de guerre demeurèrent assez légers, une armure complète ne pesant guère plus de cinquante livres, poids qui, réparti sur tout le corps, n’a rien d’exagéré, mais les choses changent, dès le milieu du XVIe siècle. Pour résister aux armes à feu, de jour en jour plus redoutables, on façonna d’abord en biseau le plastron de la cuirasse, puis on se mit à lui ajouter des pièces de renfort tant et si bien qu’une cuirasse à l’épreuve du mousquet finit par peser soixante livres.

Sous Henri III, l’usage des grévières et des solerets commence à se perdre ; on porte des bottes en buffle qui montent jusqu’aux genoux. Les tassettes disparaissent et sont remplacées par de grands cuissards articulés allant des hanches aux genoux et imitant les culottes bouffantes du costume civil. Les passegarde partent en même temps et l’épaulière redevient unie.

Les canons d’avant-bras tendent à disparaître ; les gardes des gantelets, très longues, les remplacent. La cuirasse est de plus en plus courte, elle porte, sur le côté droit, un petit appendice, le faucre ou arrêt de la lance, visible sur notre gravure.

Jamais les armures ne furent plus lourdes ni plus solides qu’au XVIIe siècle. Elles résistaient fort bien aux balles, du moins les meilleures, mais leur poids considérable et leur prix ruineux les firent abandonner peu à peu. La fatigue qu’elles occasionnaient était insupportable. On ne s’armait plus qu’au moment de la bataille et bientôt, malgré les ordres sévères des chefs, on prenait prétexte de la surprise ou de la hâte pour ne plus s’armer du tout. Malgré les efforts de Louis XIII et de Richelieu la répugnance était générale et on préférait alors, comme aujourd’hui, la liberté d’action à la sécurité.

Vers 1660 toutes les pièces de l’armure sont tombées peu à peu ; il ne reste plus que la cuirasse qui disparaît pour l’infanterie quinze ans plus tard. Seul un régiment de cavalerie, dit de cuirassiers, continua la tradition sous Louis XIV.

Cependant aux sièges, dans les tranchées, on continua pendant quelque temps à porter l’armure complète. On voit dans les mémoires de l’époque que Louis XIV allait à la tranchée, comme tout le monde, avec l’armure et le pot en tête.

Aujourd’hui la cuirasse que portent quelques-uns de nos régiments de cavalerie est la seule survivance de l’armure si belle et si complète du moyen-âge.

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