Le bassin des lacs de l’Afrique orientale

Keith Johnston, La Revue Scientifique de la France et de l’étranger — 20 Avril 1872
Mercredi 28 janvier 2015 — Dernier ajout samedi 18 mai 2019

I- DÉCOUVERTES RÉCENTES DE LIVINGSTONE.

En 1866, l’infatigable docteur Livingstone retourne en Afrique, déterminé à compléter nos connaissances si imparfaites encore sur la région des lacs du Nyassa au Tanganyika, et commence le voyage dont il n’est pas encore de retour.

En septembre 1866 on apprit en Angleterre que le voyageur avait pour la troisième fois atteint le fleuve Rovuma et était parvenu à le remonter jusqu’à 130 milles de son embouchure. Là, il rencontra un chef bienveillant et s’établit auprès de lui, avec l’intention de faire de sa résidence le point de départ de son expédition vers l’extrémité septentrionale du lac Nyassa et l’extrémité méridionale du lac Tanganyika. Puis un profond silence se fit et l’on ignora complétement ce qu’était devenu le voyageur, puis enfin quelques Johanna menteurs qui avaient abandonné Livingstone, apportèrent à la cote orientale la nouvelle qu’il avait été assassiné près de l’extrémité méridionale du lac. Le président de la Société royale de géographie ne voulut cependant pas croire à la véracité de ce bruit, sous les ordres de M. Young ; le résultat de l’expédition fut satisfaisant, la mort du docteur fut démentie.

Les lettres plus récentes de Livingstone nous apprennent qu’il contourna l’extrémité méridionale du lac Nyassa, où il semble avoir suivi presque exactement la vieille roule de Locerda et de Monteïro, sur la ligne de partage des eaux en Ire les tributaires du Zambèze et ceux du Nyassa.

Passant à environ 20 milles à l’ouest de Chinyanga, le point le plus extrême qu’il ait atteint dans son voyage de 1863, il entra dans la vallée du Loangwa ou Arangoa. Livingstone nous indique la plus grande partie de sa route dans sa lettre datée de juillet 1868. Il dit dans cette lettre : « En quittant la vallée du Loangwa, qui se jette dans le Zambèze à Zurnbo, nous gravîmes ce qui nous paraissait être une grande masse de montagnes, mais il se trouva que c’était seulement l’extrémité méridionale d’une région élevée, laquelle atteint une altitude de 3000 à 6000 pieds au-dessus du niveau de la mer. On peut estimer grossièrement que ce plateau couvre au sud du Tanganyika un espace de quelque 350 milles carrés. Ce terrain s’abaisse graduellement vers le nord et l’ouest, mais aucune de ses parties n’a moins de 3000 pieds d’altitude. Le pays d’Usango, situé à l’est de l’espace ci-dessus indiqué, est aussi un plateau élevé. Usango forme le côté oriental d’une grande vallée située à une assez grande altitude. Ce qu’on appelle les montagnes de Kone, au delà des montagnes de cuivre de Katanga, forme le côté occidental de celle vallée. »

Livingstone ajoute : « L’extrémité méridionale de la grande vallée comprise entre Usango et les montagnes de Kouo se trouve par 11° et 12° de latitude méridionale ; par 11° 6’ de latitude méridionale, en montant de la vallée d’Arangoa, nous nous trouvions tout à fait sur le plateau. » Il se trouvait sans doute dans cette région vers le mois de janvier 1867, ou environ au milieu de la saison des pluies. Il continue : « A mesure que nous avancions les ruisseaux devenaient plus nombreux. Quelques-uns de ces ruisseaux coulent vers l’est et se jettent dans le Loangwa ; les autres coulent vers le nord-ouest et vont se jeter dans le Chambèze. » Le Chambèze, avec toutes ses branches, côtoyant d’abord le côté oriental de la vallée, finit par couler au centre de celte grande l’allée élevée, « qui, dit Livingstone, est probablement la vallée du Nil. Le Chambèze est un fleuve intéressant, il forme trois lacs et change de nom trois fois dans un cours de 500 à 600 milles. Je le traversai par 10° 34’ de latitude méridionale ; je traversai aussi plusieurs de ses tributaires au nord et au sud ; ils sont aussi larges que l’Isis à Oxford, mais leur courant est plus rapide et ils contiennent des hippopotames. »

En février 1867, Livingstone arriva à un lieu nommé Bomba, sur le plateau, et fixa la position par 10° 10’ de latitude sud et 31 ° 50’ de longitude est. En s’avançant vers le nord en avril 1867, il découvrit le lac Liemba, lac profondément encaissé ; du coté nord du plateau la rive, presque perpendiculaire, a 2000 pieds de hauteur. « Ce lac est extrêmement beau ; les rives du haut jusqu’en bas sont couvertes d’arbres et d’une puissante végétation, et fourmillent d’éléphants, de buffles et d’antilopes ; les hippopotames, les crocodiles et d’innombrables poissons habitent les eaux. C’est un paradis naturel aussi parfait qu’aurait pu le désirer Xénophon. Sur deux îles rocheuses on voit des hommes qui cultivent la terre, élèvent des chèvres et pêchent du poisson. Les villages qui bordent la cote sont abrités par les palmiers à huile de l’ouest de l’Afrique. »

« Quatre cours d’eau considérables se jettent dans le Liemba, outre un grand nombre de ruisseaux de 12 à 15 pieds de largeur qui bondissent sur la craie rouge brillant ; tels sont les rocs qui constituent les bords du lac et forment de magnifiques cascades. Ce spectacle est si admirable que le plus stupide de mes hommes s’arrêta émerveillé. »

Livingstone n’indique pas la direction de ces quatre rivières qui se jettent dans le lac ; mais la position du lac est telle, qu’il faut en conclure qu’elles doivent prendre leur source dans le coté le plus élevé du plateau et entrer dans le lac par l’est.

« Le lac a 18 ou 20 milles de largeur et 35 ou 40 milles de longueur. Il s’étend vers le nord nord-ouest, prenant la forme d’un fleuve d’environ deux milles de largeur, pour aller rejoindre, dit-on, le lac Tanganyika. » Livingstone continue : « Je l’aurais pris pour un bras du Tauganyika, mais sa s surface est à 2800 pieds au-dessus du niveau de la mer, et Speke a trouvé que le lac Tanganyika n’est qu’à 1844 pieds au-dessus du niveau de la mer." Celle observation de Livingstone confirme l’opinion de M. Findlay, opinion exprimée dans un savant mémoire lu devant la Société de géographie en 1867. Après avoir calculé à nouveau les hauteurs thermométriques indiquées par le capitaine Speke, M. Findlay en vint à la conclusion que le lac Tanganyika est à une élévation de 2800 pieds au-dessus du niveau de la mer, et que, puisque son trop plein doit s’écouler quelque part, on trouverait probablement vers le nord le réservoir de ses eaux.

Livingstone continue : « J’essayai d’explorer celle partie étroite du Liemba, mais j’en fus empêché par une guerre qui venait d’éclater entre le chef d’Itawa et une troupe de marchands d’ivoire de Zanzibar. Je partis donc, pensant m’avancer à 150 milles vers le sud, puis tourner à l’ouest pour éviter la région où l’on se battait, et aller explorer le coté occidental du Tanganyika ; mais, après 80 milles de marche, je rencontrai une troupe d’Arabes auxquels je montrai une lettre du sultan de Zanzibar, lettre que je dois à l’entremise de son excellence Sir Bartle Frère, ancien gouverneur de Bombay ; les Arabes me donnèrent immédiatement des provisions, des étoffes et des verroteries… Dès que la paix fut rétablie, j’allai rendre visite à Nisama, le chef d’Itawa, et, après avoir quitté les Arabes, me dirigeai vers le lac Moero, que j’atteignis le 8 septembre 1867. Dans sa partie septentrionale le lac Moero a de 20 à 33 milles de largeur. Plus au sud il a une largeur d’au moins 60 milles ; il a 50 milles de longueur. Des chaînes de montagnes boisées le bordent de Chaque coté, mais à l’endroit où il est le plus large les montagnes occidentales s’éloignent tellement qu’elles disparaissent. »

Le lac Moero tient le milieu dans les trois lacs que forme le Chambèze. Ce fleuve se jette dans le lac Bangweolo, à la pointe de la vallée ; en en sortant il prend le nom de Luapula. Le Luapula coule vers le nord, arrose la ville du Cazembe, et 12 milles plus loin entre dans le lac Moero. En suivant le coté oriental de ce dernier lac, Livingstone arrive au Cazembe. Cette ville se trouve sur le bord nord-est du petit lac Mofwe qui a de 1 à 3 milles de largeur et près de 4 milles de longueur. On remarque dans ce lac plusieurs îles basses couvertes de roseaux ; il contient du poisson en abondance, une espèce de perche. Il ne communique ni avec le Luapula ni avec le Moero.

« Je restai quarante jours à Cazembe, dit Livingstone, et aurais pu me rendre alors au lac Bangweolo qui est plus grand que les deux autres lacs, mais la saison des pluies avait commencé et on me dit que ce lac était très malsain ; je me dirigeai donc vers le nord pour me rendre à Ujiji, où j’ai des marchandises et où j’espérais trouver des lettres, car je suis séparé du monde depuis plus de deux ans. Mais quand je fus arrivé à treize jours de marche du Tanganyika, l’abondance des eaux que j’avais devant moi me força de m’arrêter. Une troupe d’indigènes qui traversait, me dit que le pays était inondé, qu’on avait de l’eau jusqu’à la ceinture et qu’il était difficile de trouver où s’établir pour la nuit. Cette inondation dure jusqu’en mai ou juin. Enfin, fatigué d’être inactif, je retournai à Cazembe. »

Dans ce voyage infructueux vers Ujiji, Livingstone semble avoir eu l’intention de gagner le côté occidental du Tanganyika par la route que le capitaine Speke indique comme venant de Warruwa (évidemment le Rua de Livingstone) et conduisant au gué qu’il avait traversé en sortant d’Ujiji. Ce fut probablement pendant ce même voyage que Livingstone visita le cours inférieur du Luapula. Il dit : « Ce fleuve, en sortant du lac Moero par son extrémité septentrionale, à travers un défilé dans les montagnes de Rua, prend le nom de Lualaba. Il coule alors vers le nord nord-ouest et forme le lac d’Ulenge, dans la région située à l’ouest du Tanganyika. Je n’ai vu le Lualaba qu’à l’endroit où il sort du lac Moero et au moment où il sort du défilé dans les montagnes de Rua. »

Livingstone semble avoir rebroussé chemin quand il s’est trouvé en face du pays plat inondé au delà de ce point. « Pour donner une idée, écrit-il, de l’inondation qui, sur une petite échelle, représente ce qui se passe plus bas dans la vallée du Nil, qu’il me suffise de dire que j’avais à traverser deux petits ruisseaux, qui se jettent dans la partie septentrionale du lac Moero. L’un, le Luo, avait inondé une plaine sur les bords du Moero de telle façon que l’eau montait tantôt aux genoux tantôt à la hauteur de la poitrine. Le sol était une boue noire recouverte d’herbes plus hautes que nous. Nous devions suivre un sentier où les pas des passagers avaient creusé de profondes ornières. Nous plongions de temps en temps dans un trou, (nos pieds s’enfonçaient dans la boue jusqu’au-dessus de la cheville et en faisaient sortir des milliers de bulles d’air qui, en atteignant la surface de l’eau, répandaient une odeur épouvantable). »

De retour à Cazembe vers février ou mars 1868, Livingstone semble avoir de nouveau quitté celte ville au commencement de la bonne saison, se dirigeant vers le sud pour se rendre au lac Bangweolo d’où est datée sa lettre de juillet 1868.

Le grand voyageur écrit de nouveau en mai 1869 et date sa lettre d’Ujiji, sur le lac Tanganyika. Il paraît avoir gagné cette ville par le côté oriental du Tanganyika et non par la rive occidentale comme il l’avait essayé d’abord, car il dit dans la lettre que nous venons d’indiquer : « Le but que je me suis proposé est de relier les sources que j’ai découvertes à 500 ou 700 milles au sud des pays explorés par Speke et Baker avec les sources du Nil. Le volume d’eau qui, de la latitude 12° S., se dirige vers le nord est si considérable que je pense avoir travaillé à découvrir les sources du Congo aussi bien que celles du Nil. II me faut encore parcourir la ligne orientale d’écoulement des eaux jusqu’au point où Baker s’est arrêté. Le Tanganyika et le Nyige Chowambe (de Baker ?) ne forment qu’une seule nappe d’eau] et l’extrémité s’en trouve à 300 milles plus au sud qu’Ujiji, La ligne occidentale et la ligne centrale d’écoulement des eaux convergent vers un lac inconnu situé à l’ouest ou au sud-ouest de l’endroit où je suis. Ce lac se déverse-t-il dans le Nil ou dans le Congo, c’est là ce que j’ai à reconnaître. » D’après ce qui précède il semblerait que Livingstone avait fait une excursion au nord d’Ujiji, soit par terre, soit sur le lac, pour reconnaître l’union du Tanganyika et de I’Albert-Nyanza.

On a depuis reçu des nouvelles qui prouvent que Livingstone était encore à Ujiji en juillet 1869. En janvier 1870 arriva de la cote occidentale du continent la nouvelle de la mort terrible du voyageur : il avait été, dit-on, mis en quartiers et brûlé. Mais c’est une nouvelle édition d’une vieille histoire qui date de juin 1868 et qui s’était passée, disait-on, sur les bords du Zambèze, et nous savons qu’à cette époque Livingstone était sain et sauf près des lacs Chambèze.

II. - LES SOURCES DU NIL.

Le point le plus intéressant dans les derniers voyages de Livingstone, ce qui leur donne une importance infiniment supérieure à tout ce qu’il avait découvert jusqu’alors, c’est que, sans aucun doute, il a visité les sources du Nil si longtemps cherchées. Il est vrai qu’il est difficile de décider lequel des nombreux bassins visités par le docteur est le véritable berceau du Nil : mais il n’en est pas moins certain que Livingstone a trouvé les véritables sources, que ses dernières explorations ont résolu celte question si longuement discutée, et qu’on n’a plus aujourd’hui qu’à choisir entre deux ou trois courants principaux.

Livingstone lui-même ne paraît jusqu’à présent se prononcer pour aucun, de telle sorte que la discussion est absolument ouverte. Les trois sources principales sont, d’abord, les ruisseaux qui se jettent dans le lac Liemba ; en second lieu, le Chambèze et sa chaîne de lacs ; tous prennent leur source près du bord oriental du grand plateau longitudinal qui règne en Afrique le long de l’océan Indien. Le troisième est la source récemment indiquée pour le Nil par le docteur Beke dans son mémoire Intitulé : Solution du problème du Nil (Athenœum, février 1870), c’est-à-dire le grand fleuve Casai ou Kassabi qui prend sa source plus près de l’océan Atlantique par 12° de latitude S. Quant aux premiers, les ruisseaux qui se jettent dans le lac Liemba, nous pouvons dire avec une certitude absolue. qu’ils sont tributaires du Nil, et il est plus que probable que ce sont les vraies sources de ce fleuve. Livingstone a trouvé que ces rivières se jettent dans le lac Liemba ; un prolongement ressemblant à une rivière unit le lac Liemba et le lac Tanganyika, ces deux lacs paraissant être au même niveau ; enfin le lac Tanganyika et le Nyige Chawambe, qui est évidemment [l’Albert-Nyanza, ne forment qu’un lac, et il n’est pas douteux que ce dernier lac soit un réservoir du Nil Blanc.

L’union avec le Nil de la seconde source supposée, le Chambèze, est moins apparente ; tout semble au contraire prouver que ce doit être la source de l’autre grand fleuve africain, le Congo. Si l’on arrive à prouver que le Chambèze rejoint le Nil, alors les rivières qui se jettent dans le lac Liemba deviennent de simples tributaires, car le cours du Chambèze est de beaucoup le plus long des deux. Cependant les tributaires du Liemba et le Chambèze prennent leur source à côté les uns des autres sur le plateau oriental. Le Chambèze coule dans la vallée centrale, traverse le lac Bangweolo, puis se dirige vers le nord il travers le lac Moero. Livingstone dit que le lac Moero commence 12 milles au-dessous de la position de la ville de Lunda, capitale du Cazembe (latitude 8° 40’ S., longitude 28° 20’ E.), dont la position peut-être indiquée assez correctement, grâce aux expéditions des anciens voyageurs portugais. Puisque Livingstone se dirigea vers le nord en quittant la ville du Cazembe, en côtoyant la rive orientale du Moero, quand il essaya d’atteindre Ujiji en 1867, la plus grande partie de ce lac doit se trouver à l’ouest du méridien de Lunda, ou environ 120 milIes à l’ouest de Tanganyika. Le docteur Livingstone a vu le fleuve à l’endroit où il sort du lac, il l’a revu à la sortie du défilé dans les montagnes de Rua, où, selon sa propre observation, il prend la direction du nord nord-ouest pour former le lac ou marais d’Ulenge à l’ouest du Tanganyika. Celte direction vers le nord-ouest emporte ce fleuve en dehors du bassin du Nil, et, le continent d’Afrique s’élevant graduellement vers l’est, il est probable que le fleuve continue à couler vers l’ouest.

En outre la vallée du Chambèze est sans doute une des grandes dépressions du plateau où Livingstone l’a traversée, de telle sorte qu’on peut en conclure que le lit de la rivière se trouve à une altitude de 3000 pieds, niveau inférieur que donne Livingstone aux ondulations du plateau, ou 200 pieds seulement au-dessus du niveau du lac Tanganyika. Le Chambèze doit avoir une descente fort rapide pour passer du plateau au lac Bangweolo dans la grande vallée ; il doit éprouver une seconde chute assez considérable du Bangweolo au lac Moero. Le pays de Cazembe, qui s’étend autour de la partie méridionale du Tanganyika, est un pays plat, et les rivières qui le traversent n’ont presque pas de courant. Si le Moero se trouvait situé à un niveau plus élevé que le Tanganyika, le fleuve qui en sort ne coulerait-il pas de préférence sur un pays plat an lieu de se diriger vers le nord et de se faire un chenal dans un défilé de montagnes ? En somme, il est prouvé que le fleuve traverse les montagnes ; n’y a-t-il pas lieu de supposer que le Moero est situé à un niveau inférieur à celui du Tanganyika, et, s’il en est ainsi, le fleuve qui en sort ne peut jamais aller rejoindre les lacs du Nil, car il lui faudrait remonter pour y arriver ; il doit donc avoir quelque autre épanchement.

Examinons actuellement le fleuve Kassabi, fleuve que le docteur Beke croit être la véritable source du Nil d’Égypte. Il nous semble qu’il serait encore plus difficile au Kassabi qu’au Chambèze de rejoindre le Nil. On a exploré la partie supérieure seule de ce fleuve. Le Kassabi prend sa source dans les montagnes de Mossamba, qui se trouvent sur les frontières d’Angola et du Benguela ; tout auprès se trouvent les sources du fleuve Quango, tributaire du Congo. On sait que le Kassabi coule vers le nord par 8° de latitude S. et se trouve alors à l’ouest de la capitale du Muata Yanvo.

Le docteur Livingstone traversa la partie supérieure du Kassabi dans son voyage du Chambèze à Loanda. Toutes les indications qu’il put se procurer des sujets du royaume de Muata Yanvo tendent à prouver que, quelle que soit la direction de ce fleuve dans son cours intermédiaire, le Kassabi dans sa partie inférieure se dirige vers l’ouest et va rejoindre le Quango. Le marchand Graca, qui, en 1846, pénétra jusqu’à la capitale du Muata Yanvo, dit que li le territoire de chef est borné par les grandes rivières Kassabi et Lurua (un tributaire du Kassabi). « Ces rivières, ajoute-t-il, se jettent dans la rivière de Sena (le Zambèze). » Nous savons aujourd’hui que la dernière partie de celle constatation est incorrecte ; mais en somme elle indique un tournant oriental dans la partie inférieure de la rivière qui borne le royaume d’Yanvo à l’ouest et au nord et qui semble couler vers le Zambèze. Le voyageur hongrois Ladislas Magyar a pénétré plus loin qu’aucun des trois voyageurs qui ont visité celle région, et son opinion semble d’accord avec ce que nous venons de dire. Selon lui, le Kassabi, après avoir formé les chutes de Muewe (par 11° latitude S. environ), incline un peu vers le nord ; mais un peu plus loin il se dirige vers l’est, et atteint une largeur de plusieurs milles à l’endroit où il touche le grand lac Moura ou Uhanja.

Or, si, selon la description ci-dessus donnée, nous faisons tourner le Kassabi vers l’est quand il se trouve par 8° S, nous voyons qu’il rencontre la position que les lettres de Livingsstone assignent à Ulenge, le lac ou marais dans lequel se jette le Chambèze, et d’où, nous dit-il dans des lettres subséquentes, elles ressortent sous le nom de Lufira, fleuve considérable, qui par ses nombreux affluents draine le coté occidental de la grande vallée.

Le Lufira ne serait-il donc pas un autre nom pour le Kasssabi dans la partie inférieure de son cours, et le lac Ulenge de Livingstone, dont les eaux s’écoulent par le Lufira, le lac Uhenja de Magyar que le Kassabi touche dans son cours inférieur ?

Nous avons expliqué comment, selon nous, le Chambèze et sa chaine de lacs ne pouvaient rejoindre le Nil ; les mêmes raisons s’appliquent au Kassabi, qui, comme nous venons de le voir, semble se joindre à ce fleuve dans le lac Ulenge,

Mais une question se présente : si ces rivières ne font pas partie du système du Nil, pur où s’écoulent-elles ? La réponse est facile, par le Congo.

Les missionnaires jésuites, qui, les premiers, ont visité l’embouchure du Congo, disent que « ce fleuve est si violent et si puissant, par la quantité de ses eaux et la rapidité de son courant, qu’il entre dans la mer sur la côte occidentale d’Afrique, en se faisant un libre passage (en dépit de l’Océan), et cela avec une telle force que pendant l’espace de vingt lieues en mer ses eaux ne se mêlent pas aux eaux de l’Océan qui les entourent de toutes parts. » Dans l’introduction de son expédition au Congo, Tuckey dit : « S’il est vrai que le Congo, comme on l’a calculé, jette dans l’Océan, même quand il est le plus bas, deux millions de pieds cubes d’eau par seconde, le Nil, l’Indus et le Gange ne sont que des ruisseaux auprès de lui, car le Gange, qui est le plus considérable des trois, ne jette à l’Océan qu’un cinquième environ de celle quantité d’eau, et cela seulement dans ses plus grandes crues. » Ce calcul est certainement très exagéré, et cependant Tuckey a trouvé que cet immense fleuve a une largeur de deux, trois et même quatre milles, tout en coulant avec une rapidité de deux à trois milles à l’heure (p. 342), et cela, non pas à son embouchure, mais à l’intérieur des terres au delà de la région montagneuse de la côte. Un fleuve aussi considérable doit avoir aussi un cours considérable et doit prendre sa source loin à l’intérieur du continent.

Or, si nous admettons que le Kassabi et tout son système vont rejoindre le Nil, où trouverons-nous pour le Congo un cours suffisamment long ? Tuckey dans ses notes, malheureusement peu complètes, exprime l’opinion que « la crue extrêmement tranquille du Congo prouve qu’il sort de quelque lac qui reçoit la plus grande partie de ses eaux de pays situés au nord de l’Équateur ». Puis il ajoute : « Je pense que le Congo doit sortlr de quelque grand lac ou d’une grande chaine de lacs situés considérablement au nord de l’Équateur. » II est évident que des lacs, seulement peuvent maintenir la quantité d’eau qui coule dans le Congo, et Tuckey pensait qu’on trouverait ces lacs au nord de l’Équateur, parce qu’il avait observé que la crue de ce fleuve commence dans les premiers jours de septembre. À l’époque de son voyage on savait peu ou presque rien par l’observation sur les époques des saisons pluvieuses dans l’Afrique centrale. Depuis lors, le voyageur Burton nous a dit (dans le récit de son expédition au Tanganyika, Journal de la Société de géographie, vol. XXIX) que, sous la latitude du Tanganyika, la saison des pluie commence à la fin d’août, et dure jusqu’en mai ; d’autre part, Livingstone dit dans sa dernière lettre qu’il ne se rendit pas au lac Bangweolo de la capitale du Cazembe, où il était arrivé vers le milieu de septembre, parce que la saison des pluies avait commencé. Le lac Ulenge se trouve placé dans ces latitudes, de telle sorte qu’on peut parfaitement expliquer la crue du Congo dans les premiers jours de septembre sans qu’il soit nécessaire de placer sa source au nord de l’Équateur ; si les lacs d’où il sort se trouvaient au nord de l’Équateur, la crue du Congo arriverait beaucoup plus tôt, comme nous l’expliquerons plus loin, et, en somme, le district dans lequel se trouve le lac Ulenge semble être le seul du continent dont la saison des pluies concorde avec la crue du Congo.

III. - ASPECT PHYSIQUE DE LA RÉGION LACUSTRE ET DES LACS.

Les grandes hauteurs du monde entourent l’océan Indien et l’océan Pacifique et tournent vers ces océans leurs pentes les plus abruptes ; la pente est douce vers l’océan Atlantique et l’océan Arctique. L’Afrique ne constitue aucune exception à cette règle, puisqu’elle présente à l’océan Indien la descente abrupte du plateau qui s’étend sur la cote orientale depuis la colonie du Cap jusqu’à l’Abyssinie au nord. Il est vrai que l’Afrique méridionale tout entière est un plateau, qui présente une élévation générale d’environ 3500 pieds, et que les extrémités de ce plateau s’élèvent abruptement sur les deux cotés : mais le côté oriental est le plus élevé des deux, et la loi de la pente générale vers l’Atlantique se maintient à la surface. La région des lacs occupe la partie centrale du plateau de l’Afrique méridionale. Dans cette région la ligne de descente jusqu’à la cote de l’océan Indien est indiquée d’une manière continue depuis le nord jusqu’au sud : d’abord par le prolongement méridional du versant du plateau abys synien, puis auprès de l’Équateur par la pointe sur laquelle s’élèvent les grands pics de Kenia et de Kilima-Ndjaro ; plus au sud par les montagnes de Hubeho par lesquelles Burton et Speke montèrent sur le plateau ; et enfin par les montagnes de N’jesa qui entourent le lac Nyassa. Plus au sud les cataractes du fleuve Shiré, cataractes qui ont 35 milles d’étendue, indiquent l’endroit où ce fleuve dépasse le rebord du plateau ; le Zambèze traverse aussi ce rebord dans les défilés de Lupala. Au pied de celte pente abrupte la cote descend doucement vers la mer, coupée qu’elle est de grandes plaines et de quelques chaînes de collines.

De hautes et larges vallées, qui contiennent les lacs et les fleuves, creusent la surface élevée du plateau de l’Afrique méridionale. La plus septentrionale de ces dépressions dans le district des lacs, est celle du grand lac dont parle le marchand d’ivoire Piaggia, qui pénétra jusqu’à 60 milles de sa rive septentrionale. Ce lac parait être situé dans une haute vallée sur le bord septentrional du plateau de l’Afrique méridionale, ou plutôt à l’extrémité des basses terres et enfermé par les pentes du plateau vers le sud ; et la chaîne:de montagnes que le voyageur apercevait au sud-ouest, au delà du lac, n’est peut-être que l’extrémité septentrionale abrupte du plateau méridional.

L’immense dépression où se trouve le lac Victoria est bornée à l’ouest par le prolongement du plateau abyssinien, qui va rejoindre le plateau méridional. Cette vallée parait renfermer aussi le bassin du Bahari N’go, qu’on croît être un vaste marais salin, ou peut-être une sorte de déversoir du lac Victoria ; la pente de ce plateau s’incline vers le nord-ouest, vers l’angle des basses terres septentrionales, l’angle formé par le côté intérieur du plateau abyssinien s’étendant dans la direction du nord au sud, et le bord septentrional du plateau méridional, qui s’étend dans la direction de l’est à l’ouest.

Entre ces deux dépressions septentrionales se trouve l’allée du Nil plus profonde et plus étroite que toutes les autres ; elle contient le Tanganyika et le lac Albert. On peut dire que le commencement de celle dépression se trouve au lac Liemba, enfoncé de 2000 pieds dans le bord du plateau au bord du lac Nyassa ; puis la vallée s’élargit à l’extrémité sud du Tanganyika, mais se rétrécit de nouveau dans la partie septentrionale de ce lac, et ne devient un peu plus large qu’à l’endroit où le lac Albert s’enfonce entre le bord du plateau, appelé les montagnes Bleues, et la partie du même plateau qui sépare cette dépression de la dépression plus élevée du Yictoria-Nyanza. Au sud-ouest du Tanganyika, la vallée étroite du Nil supérieur paraît communiquer avec la vallée qui contient le Chambèze et ses lacs, vallée découverte par Livingstone, dam les basses terres qui forment le pays de Cazembe.

Celte vallée des lacs Bangweolo et Moero semble presque entièrement entourée de tous les autres côtés : par le haut plateau d’Usaugo à l’est ; par une partie plus étroite du même plateau, appelée les montagnes de Muchinga, au sud ; et, en outre, par les montagnes de Kone, et une partie plus large du plateau, le pays des cuivres de Katanga, à l’ouest. La seule autre ouverture dans celte vallée est apparemment le défilé dans les montagnes de Hua, à travers lequel le fleuve s’échappe pour aller se jeter dans le lac d’Ulenge. A l’ouest est une autre dépression beaucoup plus considérable, l’immense plaine élevée qui forme le royaume du grand Muata Yanvo, arrosée par le fleuve Kassabi et s’étendant entre les montagnes de Mossamba, où le fleuve prend sa source, et le plateau de Katanga, qui sépare la vallée du Yanvo de celle de Cazembe.

La vallée du Zambèze ferme la région des lacs au sud. Le Zambèze est le fleuve exceptionnel de l’Afrique, puisqu’il traverse le côté le plus élevé du plateau pour aller se jeter dans l’océan Indien. Les sources du fleuve, cependant, semblent se trouver du côté intérieur du plateau, sortant des pentes occidentales des montagnes de Kone, et coulant d’abord au sud-ouest. L’immense bassin de ce fleuve (environ 563000 milles carrés) est comparable à celui du Volga, et ferait plus de cent bassins tels que celui de la Tamise.

À l’ouest, la ligne de partage des eaux de la vallée du Zambèze au lac Dilolo est apparemment fort peu élevée au-dessus de la plaine du royaume du Muata Yanvo ; mais à mesure que la vallée descend vers l’est, son côté septentrional parait s’élever jusqu’à la chaîne des montagnes de Kone et de Muchinga, et la vallée devient plus profonde et plus étroite à l’endroit où le fleuve traverse le bord élevé du plateau pour atteindre la cote.

Le lac Nyassa, lac tributaire du Zambèze, se trouye dans une profonde dépression longitudinale près du bord du plateau, retenue seulement qu’elle est par la haute barrière des montagnes de N’jesa. L’étroite vallée de la rivière Shiré qui en sort, prolonge cette dépression jusqu’au Zambèze. Le lac Shirwa a une position semblable mais n’a pas d’écoulement, aussi ses eaux, contrairement aux eaux douces de tous les autres lacs, sont-elles saumâtres. Voici, autant qu’on a pu calculer leur étendue, la superficie approximative de chacun des onze grands lacs de celte région (en milles carrés) :

Victoria-Nyanza . . . . . . 29 900

Albert-Nyanza . . . . . . . 25 400

Lac de Piaggia. . . . . . . 11 000

Tanganyika. . . . . . . . . . 10 400

Nyassa . . . . . . . . . . . . . 8 600

Bahaci N’go . . . . . . . . . . 6 000

Bangweolo. . . . . . . . . . . 3 700

Moero. . . . . . . . . . . . . . . 2 000

lllenge. . . . . . . . . . . . . . . 1 000

Shirwa. . . . . . . . . . . . . . . 800

Liemba. . . . . . . . . . . . . . . 700

99 500

L’étendue totale des eaux dans cette région des lacs est donc de près de 100 000 milles carrés, superficie presque égale à celle des îles Britanniques. On pourra peut-être se faire une idée plus correcte de l’immense étendue de ces mers intérieures d’eau douce en observant qu’un passage direct à travers le lac Victoria (en admettant l’étendue qu’on lui croit aujourd’hui), correspond en longueur à un voyage, à travers lamer du Nord, de Hull à Rotterdam, ou de la pointe orientale d’Écosse, Peterhead, à la cote de Norwége.

Nous avons indiqué les fleuves les plus importants de la région des lacs en parlant des routes suivies par les voyageurs qui les ont découverts. Un des principaux obstacles à l’exploration de l’Afrique méridionale est la difficulté de se servir de ces fleuves pour pénétrer dans le continent. Les fleuves de la région des lacs, ou, pour parler plus généralement, tous les fleuves de l’Afrique orientale, ont leur embouchure barrée par les débris accumulés qu’ils charrient ; ces débris s’entassent en bancs sur la cote entre le courant descendant du fleuve et le mousson qui souffle vers la cote. Si l’on parvient à traverser celte barre de l’embouchure, on se trouve arrêté, même sur les plus grands fleuves, par les cataractes et les rapides qu’ils forment en passant sur le bord du plateau. Les vastes lacs de l’intérieur et les grandes rivières qui les relient l’un à l’autre, présentent cependant de grandes lignes navigables, qui, dans un état plus avancé de civilisation, seraient utilisées par le commerce, la ligne du bassin du Nil, dans le Tanganyika et le lac, Albert seuls, permettant un parcours non interrompu d’environ 900 milles anglais.

Piaggia, le voyageur qui s’est le plus approché du grand lac situé au nord-ouest de l’Albert-Nyanza ; parle d’une grande rivière appelée le Buri qui coule vers l’ouest à quelques jours de marche de Kifu (point le plus extrême où il eût pénétré) et qui sort de ce grand lac. Les frères Poucet (marchands d’ivoire français), qui ont longtemps trafiqué dans celte région, ont atteint la même rivière à quelque distance de la sortie supposée du lac ; ils expriment l’opinion que celte rivière relie les lacs équatoriaux au lac Tchad, au moyen de la rivière Shari. Ils se proposaient de le prouver par une expédition en bateau. La question : que devient cette grande rivière, qui à sa sortie du lac, est si large qu’on ne peut la traverser qu’en bateau est une question intéressante. Ce n’est certainement pas un tributaire du Nil, et les deux voies les plus probables qu’elle puisse suivre sont, soit celle du Shari vers le lac Tchad, soit celle de la rivière Benne vers le Niger. S’il est prouvé qu’elle se jette dans le lac Tchad, c’est une preuve frappante de l’immense évaporation qui doit exister dans la région de ce lac, puisqu’il n’a pas d’écoulement ; mais il est plus probable qu’elle se jette dans la rivière Benne, car à son confluent avec le Niger, le Chadda ou Benne, est la plus grande rivière des deux. Il serait possible aussi que le Buri se jette dans la rivière Ogowai, mais, si le lac dont parle Piaggia est, comme nous le supposons, sur le bord septentrional du plateau de l’Afrique méridionale, il semble naturel que la rivière se dirige vers les basses terres au nord, plutôt que de tourner à I’ouest le long de la pente septentrionale du plateau.

IV. - NATURE DE LA SURFACE DE LA RÉGION DES LACS. - SA GRANDE FERTILITÉ.

L’Afrique, le seul des continents qui ait une grande étendue de terre de chaque côté de l’équateur, présente une série de zones, dont chacune a une nature différente de surface, et ces zones correspondent intimement l’une avec l’autre de chaque côté de l’équateur. La superficie centrale de l’Afrique, au-dessous de l’équateur, dans la zone des longues saisons pluvieuses, ou des pluies presque constantes, est une région caractérisée par d’immenses forêts, et une végétation extrêmement luxuriante, comparable à celle des Selvas de l’Amazone dans l’Amérique méridionale, qui occupent la même position équatoriale sur le globe. Au nord et au sud de cette zone de forêts se trouve une région moins boisée, qui se confond graduellement avec les terres cultivées et les pâturages. À ces pâturages succèdent les deux grands déserts où il ne pleut presque jamais, le Sahara au nord et le Kalahari au sud. Au delà des déserts, aux extrémités du continent, les coteaux de la colonie du cap de Bonne-Espérance au sud, et le plateau de l’Algérie, la plaine du Tell, au nord, présentent une seconde zone de pays fertiles et cultivés.

La région des lacs s’étend depuis celte zone centrale de forêts, dans laquelle se forment les lacs équatoriaux, à travers la zone moins boisée, au sud, jusqu’à la vallée du Zambèze et celle surface de terrain est presque partout ornée de plus magnifiques essences forestières, de buissons luxuriants, de bouquets d’arbres entourés de riches plaines couvertes de gazons.

V. CLIMAT DE LA RÉGION DES LACS.

Plus que partout ailleurs dans celle région centrale de l’Afrique, la température, la pluie, les vents, se lient intimement l’un à l’autre, ou réagissent mutuellement les uns sur les autres. Quand celle surface passe sous le soleil, une colonne d’air chaud s’élève et les vapeurs se condensent dans celle colonne ; le résultat est une basse pression atmosphérique ; les vents chargés de l’humidité de l’océan se précipitent dans la colonne d’air qui s’élève, cette humidité se condense et retombe en torrents de pluie, ce qui abaisse la température et crée un nouveau vide dans lequel le vent se précipite avec une puissance toujours croissante. La superficie de basse pression atmosphérique, avec ses conséquences de vents et de pluies, tend toujours vers celle partie du continent qui se trouve verticalement placée sous les rayons du soleil ; ainsi s’expliquent par le mouvement du soleil entre les tropiques les saisons pluvieuses et sèches, froides et chaudes de celle région. Sur la côte les saisons sont plus définies ; les moussons continentaux et les moussons océaniques divisent l’année soit en une simple, soit en une double, saison pluvieuse et saison sèche ; mais sur le haut plateau intérieur où sont situés les lacs, les vents sont attirés de l’Océan dans la superficie mobile de basse pression pendant presque toute l’année, et c’est seulement quand les extrêmes limites de la zone tropicale se trouvent directement sous le soleil, qu’on y éprouve une plus haute pression barométrique, un courant extérieur des vents et, par conséquent, une période de sécheresse.

À la côte, sous l’équateur, dans la région explorée par le voyageur allemand Brenner, la température moyenne de l’année est de 85° 1 F. (moyenne de trois observations quotidiennes) ; la plus haute température observée (92° 8 F.) s’est présentée en janvier, et la plus basse (73° 4 F.) en mai. Dans cette région la saison des pluies commence avec le mousson du sud-est en avril et dure jusqu’à la fin de juin. La seconde saison des pluies, dont nous parlerons, qui a lieu pIus au sud en septembre et en octobre, est presque nulle à l’équateur. Ici, le mousson du nord-est, qui amène un ciel bleu sans nuages, commence à souffler en novembre et dure jusqu’en mars, et pendant celle saison il ne pleut jamais.

A l’île Zanzibar, six degrés au sud de l’équateur, la température moyenne de, l’année est environ 80° Fahr., s’élevant en janvier à 83° F. t s’abaissant en juillet à 77° F. ; là règne une double saison des pluies : une pluie violente en mars, avril et mai, quand la colonne de basse pression dépasse celle latitude dans sa marche vers le nord ; une plus faible en septembre et octobre quand passe la colonne de basse pression dans sa marche vers le sud ; à ces époques les moussons du nord-est, c’est-à-dire soufflant de l’Asie vers l’Afrique méridionale, sautent au sud-est, c’est-à-dire soufflent de l’Afrique vers le continent asiatique. Burton nous dit que, dans les basses terres, au dessous du rebord du plateau, vers Zungomero, la pluie est constante toute l’année, excepté pendant quinze jours au mois de janvier ; la plupart du temps le soleil brille à travers un nuage de brouillards, la chaleur est étouffante et l’atmosphère chargée d’électricité, ce qui donne lieu à de fréquents et de violents orages. Le climat de Zanzibar est douce également influencé par ces deux grandes masses de terres. Sur la côte de Mozambique, le continent africain seul influence les vents, et l’année est divisée à une saison pluvieuse et une saison sèche. D’avril en novembre les moussons du sud-est soufflent sur cette cote, et, soit parce que là la cote est très basse, soit parce qu’elle est abritée par l’Ile élevée de Madagascar, ce vent amène la saison sèche. De novembre en mars le mousson du nord-est, qui se trouve là il son extrême limite méridionale et qui a passé sur l’océan Indien, amène la saison des pluies.

Sur le plateau, à l’intérieur des terres, le climat et les saisons sont différents. La température moyenne annuelle du plateau, dans le voisinage du Victoria-Nyanaa, est selon Speke et Grant d’environ 68° Fahr. seulement : température qui n’est pas beaucoup plus élevée que celle des côtes méridionales de la Méditerranée, climat qui convient aux Européens, puisque dans un été chaud en Angleterre le thermomètre monte plus haut.

La chute des pluies dans cette haute région est aussi exceptionnellement petite pour un pays tropical, elle est d’environ quarante-neuf pouces seulement, ou moins considérable que dans bien des parties de l’Angleterre. On peut l’expliquer par le fait que celle partie de l’Afrique ne reçoit aucune pluie par les vents du nord, qui viennent par terre, el que les vents dominants de l’est perdent heaucoup de leur humidité sur les hautes pentes orieatales’du plateau avant d’atteindre celle région.

Le voyageur Burton indique un climat tout différent pour la vallée plus profonde du lac Tanganyika. Là, les pluies divisent l’année en deux parties inégales de huit et de quatre mois, c’est-à-dire la saison pluvieuse, qui commence avec violence à la fin d’août et dure jusqu’en mai, et la saison chaude el sèche qui complète l’année, Pendant le mousson pluvieux (1858) les vents dominants changeaient constamment de direction. Les orages les plus violents venaient du sud-est ou du sud-ouest du plateau d’Umyamwcsi, à l’ouest du lac. Sur ce plateau dit-il, il n’y a que deux saisons, un été et un hiver, et les pluies commencent au milieu de novembre. « Le vent qui amène la pluie dans cette partie de l’Afrique est le mousson fixe du sud-est, détourné en un mousson périodique du sud-ouest. » Plus au sud, dans le pays de Caazembe, la saison des pluies parait, d’après la lettre de Livingstone, commencer en septembre, et il ajoute que les inondations, dans le pays à l’ouest du Tanganyika, durent jusqu’en mai ou en juin. Dans la partie septentrionale de la vallée du Zambèze le voyageur Silva Porlo trouva que les pluies commençaient sur le fleuve Arangoa en février et elles cessèrent quand il se trouva sur la côte orientale du Nyassa en juin.

Sur le Zambèze, dans le district de Makololo, Livingstone observe que la pluie suit la marche du soleil, puisqu’elle tombe d’abord en octobre et en novembre quand le soleil passe sur cette zone en se dirigeant vers le Sud. Quand le tropique du Capricorne se trouve sous le soleil en décembre, il fait sec, et décembre et janvier sont les mois où la sécheeresse est la plus grande dans les pays situés entre le Zambèze et le Kalahari. Quand le soleil retourne vers le Nord, en février, mars et avril, c’est la saison des grandes pluies dans cette partie de la vallée du Zambèze.

VI. POPULATION

Le district des lacs en Afrique est bien peuplé. Behm, dans son Résumé géographique annuel, estime la population de cette partie de l’Afrique orientale, qui se trouve située entre l’équateur, la ligne du lac Tanganyika, le pays de Cazembe et les colonies portugaises sur la côte, à 3 500 000 âmes, ce qui donne une population d’environ six personnes par mille carré ; mais cette estimation semble être inférieure à la vérité. Il est vrai que le commerce des esclaves doit beaucoup réduire el troubler ces populations, car on amène à la côte et l’on exporte annuellement plusieurs milliers d’esclaves ; d’un autre côté, les voyageurs qui ont parcouru ces régions indiquent tous une population considérable. Le capitaine Grant dit que la partie de la région des lacs qu’il a traversée est trop peuplée pour qu’il puisse y avoir de nombreux animaux sauvages. Selon Speke, de nombreuses tribus habitent les bords du Tanganyika, et Livingstone, en parlant de son voyage sur le lac Nyassa dit : « Jamais nous n’avions vu en Afrique rien qui ressemblât à la nombreuse population qui habite les rives du Nyassa, surtout la rive méridionale, Dans quelques parties les villages semblent se toucher. Sur le bord de presque toutes les baies, nous voyions une foule de nègres qui venaient contempler le spectacle, nouveau pour eux, d’un bateau à voiles. »

Les habitants de la région des lacs paraissent appartenir entièrement à la race nègre, mais au nord et au sud les races sont différentes.

Les Niam-Niams qui habitent le pays au nord du lac, dont parle Piaggia, et à l’ouest du lac Albert, avaient autrefois la réputation d’être « moitié hommes et moitié chiens, avec une queue en éventail », ainsi que celle de manger leurs semblables ; ce sont, d’après le voyageur Piagga qui les a visités, des hommes au corps puissant, régulier et beau, au front superbe, à la peau couleur de bronze, les cheveux longs, la barbe épaisse, barbares, il est vrai, dans leurs habitudes, mais non pas cannibales. On pense qu’ils ressemblent à la race intéressante des Fellatah, le peuple dominateur du Soudan occidental ; celle race est peut-être une race intermédiaire entre les Fellalah et les Gallas de l’Est.

Burton dépeint les peuples qu’il a rencontrés entre la cote orientale et la région des lacs : « Les Sawahili de la côte de Zanzibar proviennent de la fréquentation des marchands étrangers et des émigrants, Phéniciens, Juifs, Arabes et Persans avec les Indigènes africains. Les Balonda du royaume de Muata Yanvo, à l’ouest du lac Tanganyika, sont presque des nègres purs. Entre ces derniers et la race mêlée de la cote orientale, on trouve une dégradation assez régulière des races nègres de l’est à l’ouest ; races produites en partie par la longue fréquentation avec des habitants étrangers et en partie par le mélange avec les races non nègres de l’Afrique du nord. La grande route qui va de la cète à Ujiji traverse des peuplades comparativement tranquilles et pacifiques. « Le cannibalisme, dit Burton, est rare dans l’Afrique orienntale, et, quand il existe, est le résultat soit de la politique, soit de la nécessité. »

L’apparence de la grande masse de cette race nègre n’est pas désagréable. Ce sont des mulâtres grands et bien faits, un peu plus grands peut-être que les Européens ; on ne voit jamais ni géant ni nain. Les peuplades qui habitent les bords de la mer ont la peau rude, sale, d’un noir pille, comme de l’encre de Chine étendue de beaucoup d’eau. Sur le plateau oriental, le teint devient plus beau, et plus loin à l’intérieur apparaît la peau jaune, si renommée dans l’Afrique orientale. Depuis le plateau d’Unyamwesi jusqu’au Tanganyika, dans les parties basses où la chaleur et l’humidité sont excessives, la peau des habitants est noir de fumée, sans une seule teinte brune. Les races nègres paraissent s’étendre sur le versant extérieur du continent, jusque près de la vallée du Zambèze au sud.

Livingstone parle des peuplades nègres des rives du lac Nyassa ; Silva Porto dit que les peuples qu’il rencontra dans la partie septentrionale du bassin du Zambèze sont des nègres hospitaliers.

Le fleuve Zambèze forme presque la limite entre les races nègres de la région des lacs et les races cafres de l’Afrique méridionale.

Au sud du Zambèze, le royaume de Mosilikatze se compose des restes d’un grand nombre de tribus anciennement indépendantes, conquises par les Cafres Matebele qui s’avançaient vers le Nord ; et le royaume Makololo de Sekeletu, dans la vallée du Zambèze supérieur, fut fondé par un ancien chef, qui, de la source du fleuve Orange, conduisit vers le nord cette tribu cafre conquérante, et incorpora les tribus vaincues avec la sienne pour former son royaume.

Le royaume le plus important de l’Afrique méridionale est l’empire du Muata Yanvo, dont les sujets sont nègres. La domination de ce potentat semble s’étendre des montagnes de Mossamba, source du fleuve Kassibi à l’ouest, jusqu’à la ville de Shinte, sur le fleuve Leeba, et les montagnes de Muchinga au sud, et de là jusqu’à la partie méridionale du lac Tanganyika.

L’étendue septentrionale de ce royaume est jusqu’à présent inconnue. L’empire de Muata Yanvo comprend le royaume de Cazembe. Le chef du Cazembe est le vas sal du Muata et gouverne pour son souverain cette partie du royaume, séparée de la partie principale par le désert ou pays montagneux de Katanga. Le pays fertile et très peuplé, que nous savons être sous la domination de ce grand chef de l’Afrique centrale, est beaucoup plus grand qu’aucun des royaumes de l’Europe occidentale, et pourrait se comparer en étendue à la France et à l’Italie réunies.

Pour conclure, il n’y a qu’à admirer les immenses travaux du grand voyageur Livingstone, auquel le monde est redevable de presque tout ce qu’il sait sur le continent africain et dont les récents voyages ont donné un nouvel intérêt à cette partie du globe. La superficie de l’Afrique méridionale que Livingstone a déjà explorée, et non seulement explorée mais étudiée avec soin, a une étendue d’environ un million de milles carrés. Il est difficile de se faire une idée exacte de l’espace couvert par une semblable superficie ; on peut cependant se représenter l’ouvrage accompli en pensant que les superficies unies de tous les royaumes de l’Europe occidentale, la France, l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, comprendraient à peine l’étendue de pays que Livingstone a réellement ajoutée an monde connu.

KEITH JOHNSTON.

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