Tabac et caféier (expérimentation)

Jacques Barral, La Nature N°1505, 29 mars 1902
Samedi 25 avril 2009

Il ne suffit pas de souhaiter qu’un fait désirable soit une réalité ; il faut avant tout prouver, par l’expérience la plus minutieuse, l’absolue certitude de ce qu’on affirme. Dans mon article sur le tabac et le caféier [1] , j’ai déclaré que les cigarettes faites de feuilles de caféier étaient inoffensives ; le résultat des analyses chimiques que j’ai entreprises suffisait pour démontrer cette innocuité. Cependant, j’ai pensé qu’il serait bien, par des expériences à la portée de tout le monde, de prouver l’innocuité réelle des cigarettes de caféier.

Ceux qui fument ne produisent pas seulement sur eux-mêmes des sensations plus ou moi ;I1&, agréables, mais ils exhalent de la fumée qu’ils font respirer par les autres. J’en ai conclu qu’il fallait rechercher expérimentalement les effets de cette fumée.

Pour mes observations j’ai disposé une cloche en verre de 55 centimètres de diamètre sur la même hauteur, munie dans le bas de deux tubulures et d’une 3e tubulure au sommet. Par un caoutchouc une des tubulures du bas est reliée à une pipe, la 2e tubulure du bas sert à la rentrée de l’air, la tubulure du sommet est munie d’un tube en caoutchouc adapté à un soufflet à soupape.

Première expérience avec la fumée de tabac. - Sous la cloche en verre, j’enferme une cage contenant une dizaine d’oiseaux (serins et capucins) ; puis au moyen du soufflet à soupape, je fais pénétrer la fumée produite par la pipe bourrée de 2 grammes de tabac ; 5 minutes après l’introduction de la fumée de tabac, les oiseaux tombent asphyxiés, remis à l’air ils meurent en 44 minutes.

Deuxième expérience avec la fumée de caféier. Sous la cloche de verre, j’introduis la cage contenant de nouveau une dizaine de serins et capucins, puis je fais pénétrer la fumée produite par une pipe bourrée de 2 grammes de caféier ; 12 minutes après cette introduction les oiseaux tombent étourdis, remis à l’air ils ne meurent pas.

Troisième expérience avec la fumée de tabac. - Sous la cloche de verre, je mets un cobaye pesant ’555 grammes ; après l’introduction de la fumée de tabac, il tombe en convulsions au bout de 25 minutes, ramené à l’air il meurt en trente-une minutes.

Quatrième expérience avec la fumée de caféier. J’introduis sous la cloche de verre un cobaye pesant 541 grammes, après 25 minutes de séjour dans la fumée de caféier il éprouve des tremblements ; remis à l’air il ne meurt pas. Ces expériences démontrent que la fumée de tabac tue les oiseaux et les cobayes, tandis que dans les mêmes conditions avec la fumée de caféier les oiseaux et les cobayes ne meurent pas. Il est certain qu’en fumant la pipe, le cigare ou la cigarette on fait éprouver par la salive une certaine infusion au tabac, dont forcément on avale une partie. Il fallait se rendre compte des effets comparatifs des infusions de tabac et de caféier.

Pour faire mes observations, je me suis procuré deux petits aquariums d’une contenance de deux litres.

Cinquième expérience sur une infusion de tabac. J’ai fait infuser à froid, pendant 12 heures, 5 grammes de tabac dans un litre d’eau ; après filtration j’ai versé cette infusion de tabac dans un des aquariums, puis j’y ai mis des poissons (carpes et cyprins) pesant chacun de 10 à 40 grammes : ils y meurent en 15 minutes.

Sixième expérience sur une infusion de caféier. Dans les mêmes conditions j’ai fait infuser à froid, pendant 12 heures, 5 grammes de caféier dans un litre d’eau, j’ai versé cette infusion de caféier dans le deuxième aquarium, puis j’y ai mis des carpes et cyprins : ils y vivent pendant douze jours. De plus mes expériences ont porté sur divers tabacs et sur des cigares, notamment :

  • 1° Un bout de cigare de deux sous, pesant 1 gramme et d’une longueur de 2 centimètres, a été infusé à froid, pendant douze heures, dans un litre d’eau : les carpes et les tanches mises dans cette infusion y sont mortes en 51 minutes ;
  • 2° 5 grammes de scaferlati supérieur ont été infusés, pendant douze heures, dans un litre d’eau froide : les poissons mis dans cette infusion sont morts en 11 minutes ;
  • 3° 5 grammes de Maryland ont été infusés pendant douze heures dans un litre d’eau froide : les poissons mis dans cette infusion sont morts en trente minutes ;
  • 4° 5 grammes de Levant supérieur ont été infusés, pendant douze heures, dans un litre d’eau froide : les poissons mis dans cette infusion sont morts en vingt et cinq minutes ;
  • 5° 5 grammes de tabac.(Combarieu) privé de nicotine ont été infusés, pendant douze heures, dans un litre d’eau froide : les poissons mis dans cette infusion sont morts en 15 minutes ;
  • 6° 5 grammes de tabac ordinaire ont été infusés, pendant une heure seulement, dans un litre d’eau froide : les poissons mis dans cette infusion sont morts en 14 minutes ;
  • 7° 5 grammes de caféier ont été infusés, pendant vingt-quatre heures, dans un litre d’eau froide : les poissons mis dans cette infusion y vivent en parfaite santé pendant au moins douze jours.
1er tableau résumant les expériences sur leseffets des fumées du tabac et du caféier
1° Oiseaux soumis à l’action de la fumée de tabac meurent en.44 minutes
Cobayes soumis à l’action de la fumée de tabac meurent en 51 minutes
2° Oiseaux soumis à l’action de la fumée de caféier ne meurent pas
Cobayes soumis à l’action de la fumée de caféier ne meurent pas
2e- tableau résumant les expériences sur les infusions dans l’eau de tabac et de caféier
1° Poissons mis dans une infusion de tabac meurent en 11 minutes
2° Poissons mis dans une infusion de tabac (Combarieu) privé de nicotine, meurent en 15 minutes
3° Poissons mis dans une infusion de caféier vivent 12 jours.

Toutes ces expériences répétées de nombreuses fois peuvent être vérifiées par tout le monde, elles démontrent que le tabac des. fumeurs tue les oiseaux, les cobayes et les poissons, tandis qu’exposés à la fumée du caféier ils ne meurent pas. Ce qu’il fallait démontrer.

JACQUES BARRAL

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