« On raconte, dit Pline l’Ancien, que des marchands de nitre ayant abordé sur le littoral de la Phénicie se mirent à préparer leur repas. Comme ils manquaient de pierres pour soutenir leur marmite sur le feu, ils employèrent à cet effet des morceaux de nitre pris dans la cargaison de leurs vaisseaux. Ce nitre s’étant mélangé au sable répandu sur le sol, les marchands virent sous l’action du feu couler des ruisseaux limpides d’une sorte de liqueur inconnue. Telle est l’origine du verre. »
La science moderne a fait justice de cette légende et n’a pas eu de peine à montrer qu’un foyer aussi peu intense ne pouvait produire une chaleur de 1000 à 1500 degrés nécessaire pour la production du verre. Ce qui est vrai, c’est que le littoral de la Phénicie fournissait, dès la plus haute antiquité, un sable très renommé pour la fabrication du verre.
Qui a découvert ce produit ? On l’ignore et le récit de Pline ne nous l’apprend pas, Ce qui est certain, c’est que sa fabrication se perd dans la nuit des temps ; les Égyptiens, les Hébreux connaissaient le verre, savaient l’orner et l’utilisaient dans une foule de circonstances.
Sur la verrerie égyptienne on possède des documents nombreux et certains.
Les murs de l’hypogée de Béni-Hassan portent des peintures qui datent de 35 siècles avant notre ère. Elles représentent des ouvriers verriers au travail, l’un est figuré attisant le four, l’autre soufflant un vase et armé d’une canne analogue à celle que manient les verriers de nos jours. Bien mieux, M. Flinden Petrie a découvert, en 1893, près du village moderne de Hadji-Kandil , un atelier de verrier datant du milieu du XVe siècle avant notre ère.
Le four est construit en briques et muni de deux portes opposées : l’une, orientée au nord, mesure un peu plus de 0,70m de haut sur 0,48m de large et fournissait une prise d’air considérable ; celle du sud, beaucoup plus petite, permettait au gaz, provenant de la combustion de s’échapper. Le foyer est encore recouvert d’une couche de cailloux quartzeux pareils à ceux que l’on rencontre à la lisière du désert d’Égypte ; beaucoup d’entre eux portant des traces de matières qui ont sans doute servi à colorer les pâtes de verre.
À côté, dans de petits creusets en terre cuite, sont entassées les substances utiles à la préparation du verre et à sa coloration. L’analyse chimique a montré leur composition. Les colorants étaient, comme aujourd’hui, des oxydes de cuivre, de fer, de manganèse, etc.
Toutes les pièces de verre égyptien des musées montrent la grande habileté des verriers de ces époques lointaines. « Les prêtres de l’Égypte, dit Boudet, dans sa Description de l’Égypte, sans cesse occupés d’expériences, ont fait, dans leurs laboratoires particuliers, du verre comparable au cristal de roche et, profitant de la propriété qu’ils ont reconnue aux oxydes des substances métalliques (qu’ils tiraient principalement de l’Inde, de se vitrifier sous des couleurs différentes, ils ont conçu et exécuté le projet d’imiter toutes les espèces de pierres précieuses colorées, transparentes ou opaques. Strabon et tous les historiens ne se réunissent-ils pas pour apprendre qu’on fabriquait de temps immémorial en Égypte, et par des procédés secrets, des verres très beaux, très transparents, des verres dont les couleurs étaient celles de l’hyacinthe, du saphir, du rubis, etc., que Sésostris avait fait couler ou sculpter en verre de couleur émeraude lino statue qu’on voyait encore à Constantinople sous le règne de Théodose ; qu’il existait au Ie siècle avant J.-C., dans le labyrinthe d’Égypte, un colosse en verre ; qu’on faisait enfin avec la scorie des métaux un verre noir qui ressemblait au jayet. »
Les Égyptiens fabriquaient de petits vases, des bouteilles parfois clissées de papyrus, des flacons en forme de fleurs de lotus, des ornements multicolores, des perles réunies ensuite en colliers et en bracelets pour les gens de la classe moyenne. Ils recouvraient de verre des objets en terre cuite ou en pierre. Ils savaient tailler le verre, y dessiner à la pointe des inscriptions hiéroglyphiques, incruster les pâtes de verre dans des cloisonnements métalliques.
Les verriers égyptiens furent les initiateurs des verriers grecs et romains.
Le verre semble tenir peu de place chez les Grecs, sans doute à cause de l’extraordinaire développement de la céramique. Il n’en est pas de même dans la Rome antique.
Le verre servait à faire des coupes, des fioles à parfum, des ampoules, des bouteilles pour mettre le vin, bouteilles comme les nôtres, bouchées de liège et cachetées de cire. Sous Néron les premières verreries s’installèrent à Rome, et, dès l’an 210, elles étaient si nombreuses qu’elles occupaient un quartier spécial de la ville. « On façonne le verre au tour, on le cisèle comme de l’argent, dit Pline l’Ancien. On imite avec lui toutes les pierres précieuses… On fabrique, par le moyen d’une teinture, de l’obsidienne pour divers ustensiles de table et un verre entièrement rouge et opaque qu’on appelle hemation, On fait aussi du verre blanc, du verre imitant l’hyacinthe, le saphir, de toutes les couleurs en un mot. Nulle substance n’est plus malléable, nulle ne se prête mieux aux couleurs, mais la plus estimée actuellement est le verre incolore et transparent parce qu’il ressemble le plus au cristal. »
On a cru pendant longtemps que les verriers antiques connaissaient une méthode pour iriser le verre. Les irisations que l’on observe souvent sur les verres romains provenant des fouilles, sont dues au séjour prolongé dans le sol ; séjour qui a amené une décomposition superficielle. Les procédés de l’irisation du verre n’ont été découverts qu’à notre époque.
Suivant certains auteurs latins, un artisan aurait découvert la fabrication d’un verre absolument malléable susceptible d’être frappé de bosses qu’on pouvait redresser au marteau. Cet habile ouvrier proposa à Tibère de lui fabriquer des vases en cette matière. L’empereur lui demanda si quelqu’un connaissait son secret et l’ouvrier ayant répondu qu’il ne l’avait communiqué à personne, Tibère — suivant une légende apocryphe — lui fit trancher la tête, disant que si un pareil secret était divulgué, les métaux précieux perdraient bientôt tout leur prix.
Parmi les pièces les plus célèbres, œuvres des verriers romains, il faut citer le vase de Naples, à grandes décorations de sujets en blanc formant relief sur une couche bleue et la bouteille d’Odemira, que reproduit notre gravure.
C’est une bouteille en vers gravé trouvée dans les ruines romaines d’Odemira, à vingt lieues environ dEvora en Portugal. Elle figure au musée de Lisbonne. Globulaire, d’un verre transparent incolore, elle mesure, à la panse, 10,5 cm de diamètre. Elle est décorée d’une vue de monuments.
Le fumeux vase de Portland, trouvé dans un tombeau près de Rome, et acquis pour 46800 francs par la duchesse de Portland, appartient au British Museum de Londres. C’est un verre à ceux couches superposées, la première, d’un bleu foncé, est enveloppée d’une couche de verre blanc opaque. La couche du dehors a été usée par un procédé mécanique de façon à mettre à nu la couche du fond.
G. Angerville