Sans être absolument rares en France, les aurores boréales visibles à notre latitude méritent de retenir notre attention, et il est intéressant de les enregistrer.
L’un de ces beaux phénomènes s’est manifesté dans la soirée du 26 mars dernier, à Donville (Manche) d’où je l’ai observé (juste la même latitude que Paris). Mon attention fut attirée ce soir-là vers 8 heures par une clarté insolite venant du Nord, vers lequel je n’étais d’ailleurs pas tourné ; je sortais d’une pièce assez éclairée pourtant, et si je donne ce détail, c’est pour montrer jusqu’à quel point un reflet venait manifestement de celte région.
Le ciel couchant étant alors encombré de nuées opaques il semblait vraiment qu’un assez fort crépuscule illuminât la voûte céleste au Nord, alors presque sereine.
En effet, un arc lumineux, surbaissé de quelques 45° d’étendue, se montrait franchement, devant lequel des bandes nuageuses se projetaient vivement en noir ; mais cet arc était surmonté de deux rayons verticaux moins évidents comme clarté, s’élevant à une hauteur d’environ 20°. Puis ils disparurent presque brusquement, bientôt remplacés par d’autres, se situant d’ailleurs de façon quelconque, toujours en jets verticaux. Comme toujours le sommet de l’arc auroral se trouvait au Nord magnétique.
Les rayons verticaux étaient pour la plupart assez faibles et certains ne se voyaient vraiment — mais alors donnant l’apparence d’une sorte de peigne redressé — qu’à l’aide du procédé de la vision oblique. Pour la plupart de courte durée, ils ne montraient pas ces sortes de pulsations, d’ondulations qui semblent agiter la lueur comme sous l’influence d’un souffle puissant, particularités très fréquentes dans les aurores, pareilles à un mouvement de translation dans le lieu des plaques lumineuses ; fait que j’avais également constaté pendant les quelques phénomènes que j’ai eu l’occasion d’observer dans les mêmes conditions.
L’aurore du 26 mars m’a paru essentiellement calme, et ses seules transformations provenaient d’extinctions sur place et de réapparitions voisines. Certains des plus hauts rayons, et des plus lumineux en même temps, ont manifesté pour un instant une nuance rougeâtre, vers leur sommet, les parties basses et l’arc lui-même ayant une tonalité jaune verdâtre très pâle. D’une manière comme d’une autre ces colorations étaient débiles, et ce fait se trouve en parfaite conformité avec ce que rapporte M. J. Westman, le savant météorologiste suédois dans son beau travail sur ces phénomènes intéressants : « Les aurores immobiles présentent généralement, dit-il, une couleur jaune pâle faiblement nuancée de vert. .. c’est surtout, lorsque la lumière présente des mouvements vifs que l’on constate une grande richesse de couleurs, et l’on peut dire qu’en règle générale plus les mouvements de lumière sont rapides plus les couleurs sont abondantes et changent vite [1]. »
Vers 9 heures du soir l’aurore s’atténuait beaucoup, et n’a pas tardé a disparaître. Le dessin que j’en donne ici, et qui, je me hâte de l’ajouter, a dû être forcé dans ses contrastes pour supporter une bonne reproduction, représente l’aspect caractéristique du phénomène.
D’après la Gazette astronomique d’Anvers, cette aurore a été observée également en Hollande, à Westernieland, mais elle semble n’avoir commencé que plus tard à 9 heures. Là, on a noté les pulsations lumineuses dans les rayons, et un déplacement de l’arc a eu lieu vers l’Ouest. Enfin, les instruments magnétiques de I’Observatoire du Parc Saint-Maur, ont enregistré une perturbation du 26 mars au soir jusqu’au 28 à minuit.
Je noterai également, en vue de la correspondance de ces sortes de phénomènes avec ceux de la surface solaire, fait remarqué nombre de fois, que dans le cas actuel l’astre du jour ne montrait aucune tache de quelque importance.
Lucien Rudaux