La domestication du zèbre

Gustave Regelsperger, La Nature, N°1669 - 20 Mai 1905
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout mardi 22 décembre 2009

Le lieutenant belge Nys, qui était parti pour le Congo en novembre 1902, avec la mission d’étudier le dressage des éléphants et des zèbres ( Voy. n°1110, du 8 septembre 1894, p. 250, et n° 1574, du 25 juillet 1903, p.115), a obtenu de très importants résultats en ce qui concerne ces derniers quadrupèdes. Ayant capturé quatre-vingt-dix zèbres à Sampwé, dans le Katanga, le 30 juillet 1904, il a pu en apprivoiser le plus grand nombre et il en a entrepris le dressage.

Après une battue énergique, ce troupeau fut, en une fois, enfermé dans un kraal, vaste de 18 à 20 hectares, qui avait été édifié à cette fin. Se sentant prisonniers, les zèbres se mirent à galoper éperdument pendant deux heures. Quand ils se furent calmés, ils commencèrent à brouter l’herbe du kraal. Comme il n’y avait pas d’eau dans cet espace, on se mit en devoir de leur en fournir ; ce ne fut pas une petite opération, car il fallut transporter journellement 2700 litres d’eau que l’on allait prendre à un kilomètre de là. Pour faire boire les animaux, ce fut une autre difficulté.

Comme ils n’osaient pas s’approcher des récipients de zinc qu’on leur offrait, on enterra les caisses en dissimulant leurs bords sous l’herbe ; mais ces délicats animaux s’en éloignèrent encore, saris doute à cause de l’odeur des nègres qui avaient touché les récipients.

Il en résulta des décès dans les premiers jours qui suivirent la capture : certains animaux s’obstinèrent à ne vouloir ni boire ni manger ; des juments pleines avortèrent ou mirent bas dans des conditions défavorables ; des poulains, incapables de manger de l’herbe, moururent de faim, leur mère n’ayant plus de lait ; quelques animaux, après avoir longtemps jeûné, se mirent à manger et à boire si gloutonnement, qu’ils en moururent.

Quand les survivants eurent repris leur calme, après une quinzaine de jours, on commença à en tenter la capture individuelle, ce qui devait aboutir à les enfermer dans des écuries, chacun dans un box différent. Ce ne fut pas du goût des zèbres qui se jetèrent comme des forcenés contre les parois de leur loge, se déchirant ainsi la peau du front et du chanfrein, si bien qu’il y eut encore cinq nouvelles victimes.

Des quatre-vingt-dix zèbres capturés, il n’en restait plus au lieutenant Nys que soixante, mais ils étaient bien vivants et étaient devenus très dociles.

On pouvait s’en approcher sans qu’ils essaient de ruer ou de mordre. L’officier belge avait bon espoir, vu la docilité qu’il avait déjà obtenue de ses zèbres, dans le succès du dressage qu’il allait tenter. On a pendant longtemps considéré le zèbre comme un animal indomptable qui ne serait susceptible d’aucune domestication, mais depuis que les explorateurs africains sont entrés en contact avec lui et en ont mieux étudié les moeurs et le caractère, cette nion s’est sensiblement modifiée.

Les premiers voyageurs qui ont parcouru l’Afrique centrale ont signalé le grand nombre de zèbres qui vivent dans certaines régions, en même temps qu’ils se sont plu à décrire les évolutions ra- pides de leurs troupes gracieuses, galopant à travers les plaines. Livingstone vante aussi l’intelligence de ces animaux sauvages.

Le major belge Cambier qui, en 1879, fonda la station de Karema, sur le bord du lac Tanganyika, était déjà parvenu à apprivoiser un jeune zèbre, dont la mère avait été tuée en chasse. Il l’avait nourri au moyen de farine délayée dans de l’eau tiède. Le petit animal le suivait comme un chien.

Quelques années après, le Dr. Paul Reichard, membre de l’expédition allemande qui, de 1881 à 188i, s’avança jusqu’au Katanga, dépeignait à son tour le zèbre comme susceptible de rendre les plus grands services en Afrique, surtout au point de vue des transports. « Le zèbre, disait-il, est sobre, courageux ; vif, résistant à la fatigue, et insensible à la chaleur comme au froid. » Le D’ Reichard avait vu Zanzibar un zèbre qui servait de monture à un Arabe et obéissait comme un cheval.

Le voyageur allemand von Uechtriz raconte qu’en 1893, un marchand de bêtes qu’il vit à Capetown, avait trente-quatre couaggas, espèce de zèbre de l’Afrique australe, qui avaient été pris au lasso dans l’espace de six mois et dont quelques-uns étaient si bien apprivoisés qu’ils s’approchaient pour se faire caresser quand leur gardien entrait dans leur enclos. En 1891, le même explorateur avait vu aussi au Namaqualand un commerçant qui se servait d’un couagga domestique et le montait, sellé comme un cheval. M. von Uechtriz signale, pour ces pays où tout Européen qui voyage ou s’occupe d’élevage a besoin d’une monture, un avantage à l’emploi du zèbre, c’est qu’il est réfractaire à une maladie qui, sur la côte, pendant la saison des pluies, fait disparaître plus de la moitié des chevaux. Un croisement d’étalons couaggas et de juments pourrait, d’après lui, donner d’excellents résultats.

Quelques personnes sont arrivées à atteler des zèbres et à obtenir d’eux une docilité parfaite. Certains propriétaires de cirques sont parvenus aussi à des résultats très concluants et ont pu faire évoluer les zèbres dans l’arène, aussi bien que des chevaux. M. Hagenbeck, le marchand bien connu d’animaux sauvages, à Hambourg, qui a eu beaucoup de zèbres dans son établissement, déclare qu’ils s’apprivoisent très rapidement. Il semble donc hors de doute que les nombreux zèbres qui peuplent toute la partie sud-est du continent africain pourront être employés un jour d’une façon pratique.

L’une des régions du Congo où les zèbres abondent le plus est certainement le Katanga, pays dans lequel le lieutenant Nys a dirigé ses recherches. Ces quadrupèdes vivent dans les plaines herbeuses du Katanga, sans paraître dépasser à l’ouest le Loualaba, tandis qu’à l’est on les trouve encore dans les savanes qui avoisinent le Tanganyika, ainsi que dans toute la région qui s’étend entre ce lac et la côte de l’Afrique orientale. On les rencontre souvent vivant fraternellement avec les antilopes.

Le major Cambier rapporte que, le long de fa rive orientale du Tanganyika, les troupeaux de zèbres atteignent parfois le chiffre de 80 à 100 individus. Au Katanga, le Dr Reichard a rencontré, dans une seule journée, jusqu’à dix troupeaux de 20 à 30 zèbres chacun. Le capitaine Lemaire, en 1899, a plusieurs fois aussi aperçu des hardes de zèbres dans le même pays. La mission remplie par le lieutenant Nys au Katanga aura certainement fait faire un grand pas à la question de la domestication du zèbre. Ces animaux pourront rendre en Afrique des services très appréciables, et notamment, leur emploi pourra dispenser de faire faire par les noirs le portage des charges et marchandises. Comme confirmation matérielle de tout ce qui précède, M. Martel nous communique la photographie ci-contre, montrant le dressage d’un zèbre, auquel il a assisté en septembre1903 à Gagri (Transcaucasie). Dans cette nouvelle station de la Riviera Asiatique ( [1]) , S. A. I. le prince d’Oldenburg a, en effet, tenté la domestication de plusieurs de ces animaux en vue de l’attelage et même de l’équitation.

[1Voy. n°1669, du 18 mars 1905, p248

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