Sur certaines des promenades charmantes d’une station de bains qui est aujourd’hui beaucoup moins fréquentée qu’elle ne l’était jadis, aux Eaux-Bonnes, on rencontre une série de petits kiosques montés sur pivots et que l’on oriente à son gré, pour que la baie qu’ils présentent soit toujours dirigée vers les rayons solaires, ou que l’on puisse tourner le dos aux vents particulièrement violents. Un ancien médecin de marine et un architecte parisien, MM. le Dr Pellegrin et E. Petit, ont eu l’idée d’adopter une combinaison analogue pour de vraies maisons, auxquelles ils ont donné le nom caractéristique de maisons tournesol, afin de bien montrer que ce qu’ils cherchent dans leurs constructions, c’est assurer aux habitants le bénéfice d’une insolation continue.
On sait maintenant à n’en plus douter que la lumière solaire est le grand assainissant par excellence, que son action microbicide est considérable, et que c’est elle en particulier qui permet aux eaux polluées des rivières d’arriver à se purifier après un certain parcours. Il est assez curieux de constater le rôle précieux de cet agent naturel précisément au moment où l’on découvre des substances antiseptiques de plus en plus nombreuses. On doit donc chercher à bénéficier le plus possible de cette lumière solaire, et si on le fait bien dans les sanatoria où l’on traite les tuberculeux, il serait rationnel de la mettre également à profit dans nos habitations, pour ceux-là mêmes qui sont bien portants. Autrefois nos pères, se fiant aux traditions, attachaient une grande importance à l’exposition d’une maison, mais ces préoccupations ont été abandonnées depuis lors, au moins par la plupart des gens. Aussi bien, il faut reconnaître que certaines nécessités obligent à se contenter de maisons qui ne sont point exposées au soleil. Et, en tout cas, les pièces d’une habitation qui recevraient le soleil du matin, le soleil levant, ne le recevraient plus quand il a monté, et il en est de même de pièces différemment exposées. C’est pour cela que nos deux inventeurs ont voulu donner la possibilité de faire arriver le soleil dans telle ou telle partie d’une maison à n’importe quelle heure de la journée, et tout cela en mettant la maison sur une plaque tournante qui permet de changer constamment son orientation, et qui est au besoin commandée par un appareil d’horlogerie assurant sa rotation régulière simultanément avec le déplacement du soleil.
Il va de soi que, même si son déplacement est commandé mécaniquement, une semblable construction doit être légère ; mais on possède aujourd’hui des matériaux de toute sorte qui satisfont aisément à ce désidératum. Les murailles seront avantageusement constituées de briques creuses, et l’isolement contre les variations de la température peut être assuré dans les meilleures conditions par des revêtements de liège, qui sont particulièrement légers ; le métal et le ciment armé complètent l’édifice dans de bonnes conditions. Toute la partie extérieure de la maison vient porter sur un chemin circulaire métallique double, par l’intermédiaire de billes de roulement qui réduisent considérablement les frottements : ces deux chemins sont naturellement concentriques, l’un repose sur le mur construit au pourtour de la cave dont est dotée l’habitation, tandis que le second est établi sur un autre mur, également en maçonnerie et suffisamment solide, qui forme la cage d’un escalier en colimaçon occupant le centre de la cave, et donnant accès du rez-de-chaussée dans cette cave. En réalité cet escalier est solidaire du plancher supérieur, et il repose sur le sol de la cave par des galets qui lui permettent de tourner en même temps que la maison. Comme de juste, un pivot central est disposé au centre de la cave, sous la maison, et c’est autour de lui que se déplace l’escalier. Dans l’axe même de rotation sont disposées les canalisations diverses devant apporter l’eau, le gaz ou l’électricité à l’intérieur de la maison, et tout cela n’entraîne pas des complications trop grandes. La rotation de la maison et, par conséquent, de la plate-forme qui la supporte, est assurée par des engrenages ayant prise sur une couronne dentée, qui se trouve fixée au pourtour de cette plate-forme et par en dessous la commande peut s’en faire à la main, si la maison n’est pas trop pesante, et il suffit généralement pour cela qu’elle ne dépasse pas deux étages, ou au contraire au moyen d’un petit moteur à pétrole ou à gaz. Les maisons tournantes La Nature 3 Septembre 1904
L’idée est assurément originale. Ce n’est pas à dire qu’elle soit toujours praticable, en ce sens notamment que l’orientation variable n’aurait aucun intérêt si la maison n’était pas entourée d’un espace libre laissant arriver les rayons du soleil aux diverses heures de la journée. Il va de soi, bien entendu, que cette disposition héliotropique est absolument indépendante du style moderne, assez peu heureux, que les inventeurs ont adopté pour le type de maison dont nous reproduisons une vue. C’est le principe qui en est intéressant, et qui pourra sans doute trouver à s’appliquer en maintes circonstances, et spécialement à des résidences pour malades.
D.B. ([probablement Daniel Bellet])