Nikola Tesla, célèbre dans le monde entier comme électricien, étudie actuellement un nouveau type de turbine à vapeur. Les détails précis sur le rendement et les qualités mécaniques de cette machine manquent ; mais elle a, pour le moins, le mérite de l’originalité. La turbine à vapeur est, de par son principe même, un appareil d’une grande simplicité, M. Tesla a réussi à la simplifier davantage encore, et sa solution a, en outre, le mérite de fournir une turbine rigoureusement réversible, pouvant tourner à volonté et avec le même rendement dans un sens ou dans l’autre.
Voici, d’après Scientific American, les caractères essentiels de la nouvelle machine. Dans les divers types de turbines aujourd’hui en usage : de Laval, Parsons, Curtiss, Rateau, et autres, la vapeur d’eau abandonne son énergie aux ailettes motrices, par choc, par pression, ou par réaction. De toute façon, cette transformation s’accompagne d’un changement brusque dans la vitesse ou la direction de la vapeur ; il en résulte des chocs, et des vibrations dans la machine, en même temps que des remous dans la vapeur, tous phénomènes inutilement destructeurs d’énergie mécanique. M. Tesla, pour les éviter, cherche à rendre aussi graduels que possible les changements de vitesse et de direction du fluide : il fait appel à ses propriétés d’adhésivité et de viscosité : il utilise l’attraction qu’exerce la vapeur en mouvement sur les parois de disques très minces et très rapprochés les uns des autres. La vapeur, circulant entre ces disques, les entraîne avec elle et les fait participer à son mouvement. La turbine Tesla se compose donc d’un rotor fait de 25 disques épais, chacun, de 0,8 mm environ, en acier dur, bien trempé. Le rotor tout entier a 450 mm de diamètre et 80 mm d’épaisseur. Il est monté dans un carter pourvu à sa périphérie de deux ajutages B et B’ par où peut se faire l’admission de la vapeur : l’un pour la marche avant, l’autre pour la marche arrière. La sortie du fluide se fait en C, au centre du carter.
Le fluide pénètre par B, ajutage qui peut être divergent, droit, ou convergent. Lorsque la machine est au repos, la vapeur, circulant entre les disques se dirige tout d’abord vers la sortie, par le plus court chemin ; elle prend le trajet marqué en trait noir sur le croquis ci-contre(fig. 1). Mais les disques commencent à tourner ; la vapeur décrit des spirales dont le pas va en s’allongeant à mesure que la vitesse du rotor augmente.
Bref, au bout de quelques instants, les particules gazeuses décrivent un certain nombre de tours complets avant d’atteindre l’orifice de sortie ; et dans ce mouvement entre deux disques d’acier, elles perdent leur vitesse progressivement , sans heurt, sans à-coup, abandonnant ainsi au rotor leur énergie cinétique, dans les conditions théoriquement les plus favorables au bon rendement de l’appareil.
On doit reconnaître à la turbine Tesla le mérite d’une remarquable simplicité d’organes : dans toutes les turbines actuelles, le mouvement se produit par suite de l’action de la vapeur sur des ailettes dont la forme est calculée mathématiquement ; la construction de ces ailettes, leur implantation sur le rotor offrent de très sérieuses difficultés mécaniques. En outre, le mouvement du rotor ne peut se faire que dans un sens. Ici, rien de tel : des disques tous semblables entre eux ; aucune difficulté de la fabrication ni de montage. Si le rendement de machine aux essais se révèle satisfaisant, nul doute qu’elle ne provoque une nouvelle révolution dans l’industrie des moteurs à vapeur.
M. Tesla expérimente en ce moment une ma chine d’essai installée à la Edison Waterside Station de New-York. Sa puissance est de 200 chevaux ; cependant c’est un minuscule appareil, il mesure 0,60 m de haut, sur 0,90 m X 0,60 m de large et ne pèse qu’une centaine de kilogrammes.
Il faut dire, il est vrai, que la turbine Tesla est une turbine à grande vitesse : 9000 tours à la minute. C’est aux grandes vitesses que l’on utilise le mieux la matière. Malheureusement, il est difficile de trouver un usage pratique à de semblables vélocités ; quels sont les arbres de transmission, ou même les axes de dynamos ou d’alternateurs qui les supporteraient ? La turbine Tesla se heurtera donc, en pratique, au même obstacle qui a paralysé le développement de la turbine de Laval ; celle-ci est également un petit bijou de mécanique ; fournissant une grande force motrice, sous un volume extrêmement réduit ; mais elle n’a trouvé que des applications relativement restreintes et n’a jamais pu atteindre les puissances de turbines comme les Parsons, employées dans les grandes centrales électriques ou sur les plus modernes paquebots.
L’avenir de ce genre de machines est intimement lié à la solution du problème de réducteur de vitesse, problème très étudié en ce moment, comme le savent nos lecteurs, mais non définitivement résolu.
Quoi qu’il en soit, la turbine Tesla mérite de retenir l’attention pour la nouveauté et la belle simplicité des moyens mécaniques qu’elle met en œuvre.
Signalons aussi que les études actuelles de M. Tesla sur les machines motrices se rattachent à un programme de vaste envergure dont La Nature a déjà eu l’occasion de dire quelques mots (Voy. n° 2003). Il ne s’agirait de rien moins que de transmettre à grandes distances et sans fil la force motrice, produite en grand et à bon marché dans de gigantesques usines.
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