On a effectué récemment, dans la baie de Kiel, les essais d’un curieux bateau qui emprunte au vent sa force motrice, mais au moyen d’organes ne ressemblant nullement aux voiles classiques. Le bateau à « roteurs », inventé par l’ingénieur allemand Flettner, porte à la place habituelle des mâts, deux grands cylindres en tôle, d’une vingtaine de mètres de hauteur et de 3 mètres de diamètre. Ces cylindres sont animés d’un mouvement de rotation à raison de 100 à 120 tours à la minute, sous l’action de moteurs électriques disposés dans la cale.
Lorsque le vent agit sur un tel cylindre, il produit un effet de prime abord déconcertant : il tend à le chasser dans une direction perpendiculaire à celle suivant laquelle. il souffle. C’est « l’effet Magnus », ainsi appelé du nom du physicien qui étudia ce phénomène il y a une soixantaine d’années. La théorie en est assez compliquée et un peu confuse. Nous dirons seulement que lorsqu’un courant d’air horizontal frappe un cylindre vertical tournant autour de son axe, il tend à le déplacer latéralement, avec une force qui varie suivant la vitesse de rotation, et qui est maximum lorsque la vitesse circonférentielle du cylindre est comprise entre trois et quatre fois celle du vent. Dans ces conditions, l’effort que subit le cylindre serait environ quinze fois plus grand que la poussée sur une voile ayant même hauteur et même largeur. On voit immédiatement le très grand avantage que ce système présenterait sur l’emploi des voiles ordinaires.
Une conséquence paradoxale du principe de Magnus est que le bateau a sa vitesse maximum quand il a le vent de travers, et qu’il ne peut fonctionner avec le vent arrière. Cette circonstance ne constitue d’ailleurs pas un inconvénient grave : le bateau suivrait droit sa route avec vent de travers et « tirerait des bordées » avec vent arrière, alors qu’il doit faire l’inverse avec les voiles ordinaires.
Outre le rendement élevé de la propulsion, le système Flettner a d’autres avantages. En employant deux cylindres, on peut faire évoluer très facilement le navire ; il suffit de réduire la vitesse de l’un des deux pour que l’effort variant en même temps, le bateau suive exactement la route voulue par rapport à la direction du vent. En faisant tourner les deux cylindres en sens contraires, les efforts sont inversés, et le bateau vire de bord. Toutes ces manœuvres se font au moyen de quelques manettes électriques, qui commandent la rotation des moteurs. On évite donc la manœuvre longue et dangereuse des voiles, laquelle nécessite un équipage très expérimenté. De plus, on peut utiliser au maximum la force du vent, tandis qu’avec les voiles ordinaires, à mesure que le vent augmente on doit diminuer la surface de toile/pour ne pas s’exposer à un accident grave dans le cas où le vent viendrait à s’accroître brusquement sans qu’on ait le temps de serrer les voiles. Un tel inconvénient n’est pas à craindre avec le bateau à roteurs, puisque l’on peut toujours annuler instantanément l’effet du vent en arrêtant les cylindres.
Les essais de Kiel ont, paraît-il, vérifié pratiquement ces divers avantages. Le bateau qui avait été équipé spécialement pour expérimenter le système, le Buckau, a manœuvré pendant un fort coup de vent de novembre, qui présentait les meilleures conditions pour une expérimentation probante. Les qualités manœuvrières furent excellentes, et le navire se déplaça à une vitesse très supérieure à celle des autres voiliers, et même des bateaux à vapeur. En changeant le sens de rotation de l’un des roteurs, on faisait virer de bord le bateau très rapidement, et sans qu’il perde de sa vitesse, quelle que soit la direction du vent.
Dans la chambre des machines du bateau se trouve un groupe moteur Diesel-dynamo, qui fournit le courant électrique aux moteurs, de 9 chevaux chacun, entraînant les cylindres. Le moteur Diesel peut, en temps de calme plat, entraîner une hélice ordinaire, permettant au navire de naviguer à faible vitesse.
La Compagnie Hanseatische Motorschiftahrt a décidé d’équiper un certain nombre de bateaux suivant ce système. Elle espère réaliser ainsi une économie de 50 % sur le prix d’exploitation des navires.
P. C.