Il est difficile de donner de meilleures leçons d’ethnographie que celles qui ont lieu d’une façon toute pratique au Jardin d’acclimatation. L’intelligent directeur de cet établissement aussi attrayant qu’instructif, M. Geoffroy-Saint-Hilaire, a compris que l’étude de l’homme pouvait passionner le public avide d’instruction, et il a profité des occasions qui se sont produites pour faire connaître avec les animaux qu’ils chassent, des hommes de races tout à fait différentes des nôtres. Hier, nous lui devions la connaissance de Nubiens-Bedjas, aujourd’hui il offre à l’étude, des Esquimaux ; hier, c’étaient des Africains demi-nus qu’il nous présentait, aujourd’hui ce sont des Hyperboréens couverts de peaux, qu’il nous fait voir. Les gens du monde lui seront reconnaissants de ses efforts, les savants lui en sauront un gré infini.
Les Esquimaux qui, au nombre de quatre adultes et deux enfants (fig. 4), ont élu domicile en ce moment au Jardin d’acclimatation, sont originaires de Jacobshavn, petit poste danois situé sur la côte occidentale du Groenland, un peu au sud de l’île de Disco qui est comme le centre des possessions scandinaves dans ces régions polaires (fig. 3). Il y a là le mari et la femme, M. et Mme Okabak , un jeune homme du nom de Koyangi, un métis de Danois et d’Esquimau , Jokkik , et deux petites filles de quatre ans et d’un an appartenant au couple Okabak. Ces braves gens sont de petite taille, mais forts et trapus ; leurs larges faces rondes et cuivrées, percées de petits yeux noirs et vifs, respirent la douceur et la bonne humeur. Ils ne manquent pas d’ailleurs d’une certaine éducation, car ils savent lire et écrire ; l’un d’eux possède même et étudie une grammaire danoise et esquimale. Ils ont amené quelques jeunes ours blancs soigneusement enfermés dans une cage solide, plusieurs phoques qui prennent leurs ébats dans la grande pièce d’eau réservée jusqu’ici aux oiseaux aquatiques, et un certain nombre de ces chiens esquimaux qu’on attelle aux traîneaux au Groenland et dans l’extrême nord de l’Amérique. Déjà deux habitations d’hiver ont été construites sur la grande pelouse et pourvues du mobilier assez succinct des Groenlandais (fig. 4). Bref, nous allons avoir sous peu à Paris une réduction de ces hameaux qui constituent dans les régions boréales ce que nous connaissons de plus rudimentaire en fait d’agglomération humaine. Ils ont également apporté deux embarcations et une foule de vêtements, d’instuments de pêche, de petits objets (fig. 1 et 2), et jusqu’à des réductions de barques et d’habitations.
Ces individus, à l’exception de Jokkik, le métis, nous représentent parfaitement le type esquimau. Mais avant d’aller plus loin, il serait utile de définir ce que l’on entend par ce mot d’Esquimau. Les régions glacées du pôle nord sont habitées par plusieurs races absolument distinctes les unes des autres, bien qu’on les désigne parfois sous la dénomination commune de races hyperboréennes. Il est assez difficile de faire le départ de ces races, notamment de celles qui habitent les rives européennes et asiatiques de l’océan Glacial ; mais s’il en est une qui soit nettement déterminée, c’est à coup sûr la race esquimale, qui est à proprement parler américaine, et dont l’habitat s’étend depuis le détroit de Behring jusqu’au Groenland oriental ; une fraction de cette race est même établie sur la côte asiatique du détroit de Behring, c’est celle des Tchouktchis pêcheurs et marins, qu’il ne faut pas confondre avec les Tchouktchis pasteurs de l’intérieur des terres qui appartiennent à une l’ace peu connue, mais certainement tout à fait différente de la race esqnimale. En fait, les Esquimaux constituent une population à peu près exclusivement américaine. De leur origine on ne sait rien. Il ne semble pas toutefois qu’ils soient autochtones dans les contrées où nous les trouvons ; mais, viennent-ils d’Asie, comme on l’a prétendu, ou bien ont-ils été rejetés des régions moyennes de l’Amérique du Nord au delà du cercle polaire par des peuples plus énergiques ? C’est là un point qu’il est encore difficile d’élucider. La nature du langage qui est un important caractère ethnique n’est d’aucun secours dans cette question, car jusqu’à présent la langue bien connue des Esquimaux n’a pu être rattachée à aucune antre famille glottique de l’ancien ou du nouveau continent ; elle appartient à la classe si vaste des idiomes agglutinants, classe qui comprend le plus grand nombre des familles linguistiques de l’univers. Ses procédés d’agglutination, son mode de poly-synthétisme la rapprocheraient pourtant des systèmes glottiques de l’Amérique plutôt que de ceux de l’Asie, mais c’est là une simple hypothèse. Quoi qu’il en soit, la langue des Esquimaux est à peu de choses près la même au détroit de Behring, au Labrador et au Groenland ; on ne peut y discerner que des différences dialectales de mince importance : tous les Esquimaux se comprennent entre eux. Au point de vue physique, la race esquimale passe pour une race des plus pures, et elle l’est en effet : si quelques métis se présentent au Groenland où les colonies scandinaves ont exercé une certaine influence, au détroit de Behring, où les races sont notablement entremêlées et sur la limite qui sépare les Peaux-Bouges des Esquimaux, le gros de la population est très-homogène et présente tous les caractères des races pures.
Sans vouloir trancher la question de l’origine des Esquimaux, on peut dire cependant qu’ils s’étendaient autrefois bien plus au sud sur le continent américain et que leur venue au Groenland pourrait être relativement récente, au moins dans la partie où se trouvent les établissements scandinaves. On sait que le Groenland fut découvert par le viking ou roi de mer islandais Eric le Rouge, à la fin du dixième siècle, et que ses compagnons et lui y fondèrent des colonies qui devinrent très florissantes, au point qu’après la conversion de l’Islande au christianisme on créa des sièges épiscopaux au Groenland. Or, ces colons scandinaves n’eurent point de rapport d’abord avec des indigènes, et les chants traditionnels qui les concernent ne contiennent aucune mention qui puisse donner à entendre qu’il y eût des Esquimaux, au moins dans la partie méridionale du Groenland. Il pourrait se faire toutefois que quelques groupes de cette race eussent été installés dans des régions plus élevées en latitude, et que les Islandais les eussent connus peu à peu. En 1266, une expédition fut envoyée pour explorer le pays des Skrœlinger, comme les Scandinaves d’alors appelaient les indigènes du monde arctique et des régions voisines. Plus de cent ans après, en 1579, les établissements septentrionaux furent attaqués par les Esquimaux, les engagements devinrent meurtriers, et comme à partir de la moitié du quinzième siècle, le Groenland fut totalement oublié de l’Europe, comme les colons scandinaves y furent abandonnés à eux-mêmes, ils ne tardèrent pas à succomber sous les coups des petits chasseurs de phoque ou à être absorbés par eux. Parmi les légendes esquimales recueillies par M. Bink, ancien directeur danois des affaires groenlandaises [1], nous en trouvons plusieurs qui ont trait évidemment à ces événements. Il s’agit d’un Esquimau qui s’étant avancé dans son kayak jusqu’à Kakortok, établissement des anciens Kavdlunait (Scandinaves, Européens en esquimau), tua un de ceux-ci dans une sorte de joute (fig. 5) ; enhardi par l’impunité, il en assassina un autre l’été suivant, crime qui attira sur les siens la vengeance des Kavdlunait ; ceux-ci surprirent le hameau du meurtrier et en massacrèrent à coups de hache tous les habitants, à l’exception de deux frères qui s’enfuirent ; encore le plus jeune d’entre eux ne put-il échapper à la poursuite du chef des Kavdlunait, Oungortok. Seul le frère aîné, Kaisâpi demeura sain et sauf, et se réfugia chez d’autres Esquimaux avec l’aide desquels il prépara sa revanche. Kaïsâpi surprit donc un jour les Scandinaves, fit entourer leur habitation et y fit mettre le feu. Le chef Oungortok put cependant se sauver par la fenêtre, emportant sou fils dans ses bras ; mais poursuivi à outrance par Kaïsâpi, il ne lui échappa qu’en jetant l’enfant dans l’eau (fig. 6). La lutte entre le Scandinave et l’Esquimau continua encore quelque temps jusqu’à complète victoire de Kaïsâpi. C’est là un exemple des relations difficiles entre les deux populations, dont l’une finit par disparaître devant l’autre ; car lorsque John Davis redécouvrit le Groenland, il n’y trouva plus que des Esquimaux. Cette race s’étendit beaucoup plus au sud sur le continent américain. Des crânes trouvés dans une sépulture très-antique près de la chute du Niagara, présentent tous les caractères esquimaux. Les sagas islandaises qui parlent des voyages au Vinland qu’on croit être le Massachusetts actuel, peignent cc pays comme habité par des Skrœlinger, que les anciens marins scandinaves n’auraient certes pas confondus avec les belliqueux et farouches Peaux-Rouges. Nous devons donc en inférer qu’au onzième siècle, les Esquimaux disputaient encore le territoire des États-Unis et du Canada aux Algonquins, qui finirent pourtant par en avoir raison et par les rejeter dans le Labrador et sur les rives glacées de l’océan Polaire.
Les Esquimaux sont de petite taille, la plupart des auteurs et des voyageurs s’accordent à le constater. Un anthropologiste anglais ; M. Sutherland, a trouvé pour 33 Esquimaux de plus de vingt ans la moyenne de 1,583m. Le voyageur Kotzebue ne leur donne en général guère que 5 pieds. Or, les trois Esquimaux adultes du Jardin d’acclimatation ne démentent point ces renseignements. Koyangi n’a que 1,427m, c’est le moindre de tous. Mme Okabak a 1,458m et son mari 1,560m. Il faut donc admettre que les individus de plus haute taille, 1,714m, 1,689m, 1,676m qui ont été signalés en divers endroits étaient des métis. Jokkik qui est mi-Danois mi-Esquimau a déjà 1,647m. Nous ne saurions mieux les décrire que M. le docteur Topinard, qui semble avoir eu en écrivant, des Esquimaux sous les yeux, tant le portrait qu’il en fait est exact, quand on le compare aux individus actuellement présents à Paris : « Ils sont, dit-il, gros, trapus, ils ont de larges épaules, de grosses têtes, de gros membres, mais des extrémités petites et bien faites. Leur face est aplatie jusqu’à s’excaver à l’endroit où s’insère le nez ; leurs joues sont pleines, leurs pommettes saillantes au plus haut degré ; leur nez large, petit et à peine proéminent ; leur ouverture palpébrale exiguë, leurs yeux noirs et enfoncés, leur bouche petite, ronde et à lèvre inférieure forte ; leurs dents régulières et usées de bonne heure jusqu’aux gencives, par l’habitude de s’en servir pour travailler les peaux. Leurs cheveux sont d’un noir de jais, longs, durs, peu abondants et à section transversale plus voisine de la forme arrondie que de l’elliptique. Leur barbe est presque nulle. » Ajoutons que le corps est à peu près glabre, et qu’ils n’ont pas de poils sous les aisselles par exemple. « Leur crâne, dolichocéphale pur, donne l’indice de 71,4 (Broca) ou de 71,8 (Virchow) ; il forme un parallélogramme allongé, dont les côtés tombent verticalement, et dont la crête sagittale est si marquée, que certains semblent physiologiquement scaphocéphales. Ce sont les plus leptorhiniens connus (42,2°). Leur prognathisme de 71,4° correspond au degré moyen observé dans toutes les races jaunes. La direction de leur plan occipital les rapproche des Chinois. Leurs os propres du nez sont les plus étroits constatés, leurs orbites sont ronds, leurs maxillaires massifs et leurs os malaires d’un volume et d’une configuration grossière qui suffisent à faire reconnaître un crâne esquimau entre tous les autres [2]. »
Si l’on ne savait que la moyenne de 5 individus est trop faible pour donner un indice assez général, on pourrait supposer que les Esquimaux sont moins dolichocéphales que l’on ne croit, l’indice moyen des individus du Jardin d’acclimatation étant de 76,1, et en retirant 2 unités pour tenir compte de l’épaisseur des téguments de 74,1. Mais, cet indice plus élevé est surtout dû à la moindre dolichocéphalie de la femme qui a un indice céphalique de 78,8, c’est-à-dire de 76,8 en réalité ; son mari eu revanche est très-dolichocéphale (72,9 ou mieux 70,9), et le jeune Koyangi a un indice de 76,6, et de 74,6 sans les téguments. Le métis Jokkik est très dolichocéphale (72,9 ou 70,9). Un autre caractère intéressant est la grande longueur des bras : la grande envergure, c’est-à-dire la distance d’une extrémité à l’autre des mains et des bras étendus en croix dépasse de 50mm la taille totale d’Okabak (1,610m de grande envergure pour 1,560m de taille). Chez Koyangi la différence en faveur de l’envergure est de 27mm (1,450m pour 1,427m), tandis que chez la femme, les bras sont moins longs (1,458m de taille pour 1,427m de grande envergure). Les deux petites filles sont trop jeunes pour que l’examen qu’on en a fait soit d’un intérêt bien grand. On a pu néanmoins constater leur précocité : l’aînée à déjà 20 dents et la cadette 16 ; cette dernière parle et marche mieux qu’un enfant de cet âge dans nos contrées. Chez les Esquimaux la durée de la vie n’est pas grande, surtout chez les hommes qui meurent souvent avant l’âge de 50 ans ; les femmes au contraire vivent plus vieilles et atteignent jusqu’à 70 et 80 ans. La nourriture de l’Esquimau est à peu près exclusivement animale ; la chose est d’ailleurs de toute nécessité sous le climat terrible du nord ; c’est la viande de phoque et le poisson qui concourent surtout à l’alimentation de cette race, dont le nom que nous lui donnons est emprunté à cette particularité : le mot Esquimau ou Eskimo provenant du nom d’Eskimantsik que les Abenakis, tribu de Peaux-Rouges Algonquins, donnaient par mépris à leurs voisins et ennemis du nord, et qui signifie « mangeurs de poisson cru ». Les Esquimaux se désignent eux-mêmes comme Innuit, dont le sens est simplement celui de « hommes ».
L’Esquimau est doux et peu belliqueux ; il est d’un naturel ouvert et amical, mais assez silencieux et peu gai ; sans être avare, il n’est pas donnant pour cela. Il fait preuve d’une grande adresse et d’une grande habileté mécanique, ainsi que le prouvent tous les objets de sa fabrication. Avant qu’il ait été à demi civilisé par les Danois au Groenland, il était comme sont aujourd’hui les autres Innuits de l’Amérique septentrionale, c’est-à-dire uniquement pêcheur et chasseur et dépourvu de toute connaissance métallurgique, L’Esquimau en est encore à l’âge de la pierre et de l’os. Ses armes, ses outils sont fabriqués à l’aide de ces matériaux, et ce n’est que par importation qu’il possède des couteaux, des instruments de fer et des fusils. Le véritable Esquimau ne connaissait que l’arc et la flèche, la lance et le javelot qui se confondaient pour lui avec diverses sortes de harpons. La pointe de ces armes est généralement en os, et comme elle pourrait se briser dans le corps de la victime atteinte, elle n’adhère que légèrement à la hampe et s’en détache avec facilité ; mais elle y reste liée par une corde ou une lanière et est toujours pourvue d’une vessie gonflée qui fait surnager le tout quand l’animal frappé s’enfonce sous l’eau.
Les vêtements diffèrent peu selon les sexes et sont généralement tous en peau. Ils consistent en vestons fourrés munis de capuchons, en culottes collantes en peau de phoque, imperméables et très chaudes et en bottes longues. Le tout est souvent orné et agrémenté de soutaches de peau de diverses couleurs qui prouvent le goût et le soin des femmes occupées à ce travail pendant la longue nuit de l’hiver, où l’on reste enfermé dans les maisons à demi souterraines. Les hommes portent les cheveux assez longs et flottants, seulement coupés à la hauteur des sourcils. Les femmes en font au contraire un chignon dressé au-dessus de la tête et assez original. Nous avons dit que le costume des hommes diffère peu de celui des femmes ; nous ferons pourtant remarquer qu’au Groenland les jeunes filles en tenue de fête portent de charmantes bottes de peau blanche souple et douce, et les femmes mariées des bottes rouges. Mais, si les Esquimaux et les Esquimales sont des plus habiles dans l’art de tanner, ils n’ont appris celui de la teinture que depuis leurs relations avec les Européens, et c’est du Danemark que nos Groenlandais tirent la teinture rouge ou jaune qu’ils appliquent à leurs cuirs.
Les Esquimaux à l’état naturel étaient uniquement chasseurs et pêcheurs, ce qui implique des habitudes errantes ; mais d’autre part, le climat rigoureux de leur pays les contraint à une vie sédentaire au moins pendant les mois d’hiver. En conséquence, ces peuples ont deux sortes d’habitations, pour l’été et pour la mauvaise saison. On peut en voir des spécimens sur la pelouse du Jardin d’acclimatation : il y a là 2 tentes et deux maisons d’hiver.
Les premières sont faites de 10 à 14 piliers et recouvertes de peau ; elles ont cette particularité qu’elles sont beaucoup plus hautes à l’entrée qu’au fond, et qu’elles ne sont pas coniques comme les tentes des autres peuples. Les maisons sont peu élevées au-dessus du sol dans lequel elles s’enfoncent à moitié. Les murs sont en pierres et en mottes de gazon ; le toit est soutenu par des piliers de bois et est composé de poutres recouvertes de terre et de gazon, si bien que du dehors l’édifice entier paraît être un petit tertre à pans coupés. Dans les régions les plus septentrionales, les indigènes emploient la pierre et les os de baleine en place du bois qui fait entièrement défaut. L’entrée est très-étroite et aboutit à un corridor qui descend en pente pour se relever ensuite par un coude assez appréciable. Il n’y a qu’une seule grande pièce dans la maison, où tout le monde se réunit pour dormir, manger et travailler.
Or, comme ces habitations sont communes à plusieurs familles, on s’imagine quelle promiscuité il en résulte ; aussi dans les pays où la civilisation européenne n’a pas pénétré comme elle l’a fait au Groenland, la moralité des Esquimaux est-elle excessivement faible. Tout autour de la pièce règne un large banc de bois assez semblable à nos lits de camp, et qui est divisé en autant de portions qu’il y a de familles, chaque portion séparée des autres par un rideau assez court. Devant ce banc, brûlent autant de lampes qu’il y a de familles : ces lampes en obsidienne sont d’assez grand format et ressemblent à des écuelles allongées où la lumière est produite par une mèche baignant dans l’huile de phoque. Il n’y a chez les Esquimaux sauvages, pas d’autre moyen de chauffage que ces lampes, et comme la chambre est peu ou point aérée, on se fait une idée de la puanteur qui y règne : Dans les maisons bien montées, on a pratiqué dans le mur une petite chambre où l’on fait la cuisine et qui communique avec le corridor d’entrée. Au Groenland. sous l’influence danoise, ces maisons sont devenues plus confortables ; on y a introduit des poêles ; on y a-pratiqué des fenêtres, garnies, en guise de vitres, de peaux d’entrailles de poisson très-transparentes : un tuyau de cheminée entraîne au dehors la fumée et une partie de l’air vicié ; les parois sont revêtues de planches.
Habitant les bords de la mer et ne se nourrissant guère que d’animaux marins, les Esquimaux sont habiles à manœuvrer les embarcations. Ils en ont de deux sortes : le kayak et l’oumiak. On en peut voir deux spécimens sur la pièce d’eau du Jardin d’acclimatation, ainsi que des modèles réduits dans le petit musée ethnographique esquimau qui est exposé à la magnanerie. Le kayak est une pirogue étroite et effilée à l’arrière et à l’avant, non sans analogie avec nos périssoires ; il n’y a place que pour une personne — on en connaît cependant quelques-uns à deux places — Ce canot est formé de membrures de bois ou de baleine recouvertes de peaux cousues étroitement ensemble ; il est par sa légèreté pour ainsi dire insubmersible ; fermé partout, une ouverture ronde au milieu permet de s’asseoir au fond, et le marin attachant les bords de sa veste à ceux de cette ouverture ne fait plus qu’un avec son embarcation qu’il dirige à l’aide d’une double pagaie. Une grosse vessie pleine d’air attachée au-dessus du kayak l’empêche de jamais chavirer. Montés dans ce canot, les Esquimaux bravent les mers les plus furieuses et parcourent des distances énormes.
L’autre embarcation, l’oumiak est très-grande. Construite suivant le procédé employé pour le kayak, c’est-à-dire de membrures de bois couvertes de peaux cousues ou fixées par des dents de phoque en guise de clous, elle n’est pas fermée au-dessus, et peut contenir un certain nombre de personnes. Si le kayak est réservé aux hommes, l’oumiak est généralement manœuvré par les femmes ; on s’en sert pour les transports et pour les voyages le long de la côte, par le beau temps.
Il n’y a pour ainsi dire pas de gouvernement chez les Esquimaux. Chaque famille a son chef, et l’ensemble de ces chefs constitue le gouvernement de la maison. Parfois les chefs de famille de plusieurs maisons se réunissent dans une maison commune kakje, plus pour se divertir que pour autre chose. Il n’y a pas de tribunaux organisés : quand un crime ou un délit a été commis, Je coupable est jugé et condamné par la communauté. En résumé, c’est là une société à l’état tout à fait rudimentaire.
Avant de terminer, nous croyons devoir insister sur la dissemblance profonde qui existe entre l’Esquimau et le Lapon avec lequel on serait tenté de confondre le premier. Antropologiquement, l’Esquimau est dolichocéphale au plus haut degré et le Lapon n’est pas brachycéphale à un moindre degré. L’Esquimau proprement dit ignorait l’usage des métaux et le Lapon les connaissait depuis un temps immémorial. L’Esquimau est pêcheur et chasseur, il n’élève d’autres animaux que ses chiens ; le Lapon est surtout pasteur de rennes. Enfin, l’Esquimau parle une langue qui lui est propre, qui n’a de parenté connue avec aucune autre, tandis que le Lapon a pour idiome une branche de la langue finnoise qui appartient à la grande famille ouralo-altaïque, L’Esquimau et le Lapon n’ont rien de commun, sauf qu’ils vivent dans des latitudes extrêmement élevées, particularité qu’ils partagent du reste avec d’autres races bien différentes des leurs.
Girard de Rialle