Ils sont peut-être plus nombreux qu’on ne le pense ceux qui rêvent parfois de voyager en emportant, comme l’escargot, leur chez-soi arec eux et qui envient le sort du saltimbanque nomade arrêtant sa roulotte au coin de la route qui lui plaît. Malheureusement pour ces voyageurs désireux d’indépendance, la lenteur mérovingienne d’un tel mode de voyage s’accommode mal de notre vie moderne, car la traction animale n’est possible qu’à la condition d’une vitesse très faible et d’un poids mort, c’est-à-dire d’un confortable, assez réduits. Le développement de la traction automobile permet dès maintenant de réaliser les deux facteurs impossibles jusqu’ici : la vitesse et le confortable et c’est ce qui a amené les constructeurs à étudier quelques spécimens de roulottes automobiles dont nous désirons dire ici quelques mots.
Au salon du cycle de 1896 on remarquait une grande diligence (fig. 2) avec laquelle un richissime sportsman se proposait de parcourir la Russie méridionale. C’était une grande voiture à deux compartiments, dans laquelle on accédait par l’arrière ; elle était traînée par un avant-train moteur à vapeur de Dion-Bouton d’une puissance de 35 chevaux vapeur permettant une marche moyenne de 14km à l’heure avec un prix de revient d’environ 0,25fr par kilomètre.
Ce même système a été adopté pour la grande roulotte dont M. Jeantaud, le grand carrossier de l’automobile, a achevé il y a quelque temps la construction (fig. 5 et 4). Cette voiture a 8 mètres de longueur, soit 11,20m avec le tracteur, sa hauteur au-dessus du sol atteint 4 mètres et la largeur de caisse est de 2,50m. Son poids est d’environ 4000 kg sans le tracteur ; l’essieu d’arrière porte les deux tiers de ce poids. Le véhicule avec son tracteur pèse environ 7,5 tonnes.
On voit sur le plan et la coupe donnés dans l’article que la roulotte est di visée en trois compartiments principaux :
1° A l’arrière la cuisine avec. deux couchettes mobiles pour le personnel, une trappe dans le plancher donne accès aux compartiments réservés pour le charbon et les vins.
2° Un cabinet de toilette, salle de bain, water-closets.
3° A l’avant, un grand salon, salle à manger avec porte extérieure sur le côté, rune des parois est occupée par deux divans qui servent de lits comme cela se pratique sur certains bateaux ; cette pièce a 4m ,50 sur 2m,25 ; la nuit elle se transforme, au moyen de cloisons mobiles, en deux chambres à coucher desservies par un couloir latéral.
Sur le toit de la voiture sont ménagées trois banquettes qui permettent aux voyageurs d’admirer la nature ; derrière les banquettes un espace est réservé pour les bagages. A l’arrière se trouvent deux réservoirs alimentant la cuisine et la salle de bains d’eau froide et chaude, celle-ci est produite par un thermo-siphon qui passe dans le fourneau de cuisine. En dessous de la caisse sont les soutes il combustible et des cadres destinés à recevoir divers accessoires.
La construction de cette voiture a été spécialement étudiée et son aménagement intérieur en chêne et acajou vernis est des plus élégants. Ce véhicule n’attend plus, parait-il , que les beaux jours pour effectuer sa première sortie.
Un autre système de Roulotte automobile est également en projet de construction ; il a été étudié par la Société des voitures à vapeur Scotte, c’est à proprement parler un train puisqu’il se compose de deux voitures analogues comme aspect et dimensions aux véhicules-omnibus construits par cette Société (fig.1).
Comme l’indique le plan ci-dessus (fig. 5), dans la première voiture est disposée la partie mécanique (chaudière, machines et leurs accessoires) ; communiquant avec la plate-forme d’avant, une petite cabine à deux cadres superposés est réservée aux conducteurs, le réservoir d’eau d’alimentation est ménagé sous la couchette inférieure.
Dans la partie arrière de cette première voiture et sans communication avec l’avant se trouve la cuisine chauffée par la vapeur de la chaudière. La salle à manger est formée par les plates-formes des deux véhicules, convenablement articulées ; elle ne sert que lorsqu’il fait beau, des rideaux garantissent du soleil et du vent ; la table pliante et les sièges également pliants sont logés ordinairement sur l’un des côtés de la plate-forme.
La seconde voiture se compose d’un salon d’environ 4m sur 2m servant de salle à manger lorsqu’il pleut et qui se transforme pour la nuit au moyen d’une cloison mobile en deux chambres à coucher con tenant deux canapés-lits et un troisième lit pliant. Tout à fait à l’arrière du train de chaque côté d’une porte d’accès sont disposés un cabinet de toilette avec tub, un W.-C., ainsi que des armoires. Ces deux voitures sont aérées au moyen d’un lanterneau vitré, l’intérieur tapissé en Incrusta-Wallon a l’aspect des wagons sleeping-cars ; en dessous de la caisse sont suspendus des cadres portant les bagages, les provisions et les objets divers.
La longueur de chaque véhicule étant de 6 mètres, le train tout entier a 13 mètres de longueur, la largeur de la caisse est de 2 mètres et sa hauteur totale de 3,55m. Le poids de la première voiture avec le mécanisme, l’aménagement et l’approvisionnement en eau et combustible est de 5 tonnes et demie ; le second véhicule pèse 2 tonnes et demie en ordre de marche, soit un total de 8000 kilogrammes ; la vitesse moyenne prévue est de 14 à 16 kilomètres à l’heure.
Quant aux prix de tels véhicules, ils varient de 25 à 40000 francs selon le luxe de l’aménagement. C’est peut-être là une des raisons qui empêchera d’en vulgariser l’adoption, car peu de personnes sont disposées à acheter à ce prix le moyen d’économiser les frais d’hôtel et de chemin de fer !
Quoi qu’il en soit la maison à vapeur de Jules Verne est devenue une réalité, aussi avons-nous tenu à signaler les premières roulottes automobiles qui constituent une intéressante application du problème de la traction mécanique.
Lucien Périssé. Ingénieur des arts et manufactures
Voir également Roulotte automobile Renodier