Le chemin de fer électrique sousterrain de Londres

Wilfried de Fonvielle, La Science illustrée N°125 - 19 avril 1890
Vendredi 8 mai 2009 — Dernier ajout vendredi 10 novembre 2017

Depuis quelques années, on travaille activement à Londres à l’établissement d’une voie souterraine électrique, qui est appelée à faire une révolution dans l’art de construire les métropolitains. Nous devons donc la signaler d’une façon toute particulière à l’attention de nos lecteurs. Aussi avons-nous accompagné notre description sommaire de dessins faits d’après nature, permettant de comprendre d’une façon complète les détails essentiels de son organisation.

La voie que nous allons décrire est souterraine sur tout son parcours ; c’est une immense galerie de mine, beaucoup plus large, plus élégante que celle des pays noirs, mais n’ayant de communication avec le monde extérieur que par un certain nombre de puits verticaux. Jamais il n’y parvient un rayon de soleil ; mais elle est déjà admirablement éclairée par l’électricité, c’est-à-dire par la force qui produira la locomotion.

Cette voie modèle est creusée à 21 mètres du sol, au pied des puits, et elle est légèrement inclinée pour que les infiltrations soient plus faciles à recevoir et à expulser.

Sa profondeur est partout suffisante pour que dans son tracé on n’ait eu besoin de se préoccuper ni des prétentions des propriétaires des maisons, au- dessous desquelles on passe, ni de la place des égouts, des conduites de gaz, des conduites d’eau, ni même de cette grande conduite, que l’on nomme la Tamise et au-dessous de laquelle on passe sans difficulté.

Mais par surcroît de précautions, et pour ne pas créer dans ce sous-sol un trop grand vide, on a creusé simultanément deux voies parallèles, l’une pour l’aller et l’autre pour le retour. Le diamètre de chacune de ces voies est très faible, car on a allongé les voitures auxquelles on a donné une forme et des dimensions dont on peut juger dans notre figure ; on voit qu’elles sont semblables, sauf l’élégance, qui est plus fastueuse, à nos tramways. Le seul désagrément de ce système, est d’assujettir les voyageurs à descendre plus de cent marches, pour arriver au niveau des trains, et à en remonter cent autres, lorsqu’ils sont arrivés à destination. Pour parer à cet inconvénient, on a établi à chaque station des ascenseurs dans la cage desquels on n’a que la peine de se placer, soit pour descendre soit pour monter. La ventilation est produite à l’aide de machines soufflantes mises en mouvement par les moteurs à vapeur servant à la production de l’électricité, qui vivifie tout ce merveilleux système de grande communication accélérée.

Le courant moteur est envoyé d’un bout à l’autre de la ligne par un troisième rail surélevé, et placé au milieu des deux rails servant à la locomotion. Il est pris par une roue frottant sur ce rail, passe par la dynamo placée dans chaque voiture et retourne à la terre par les essieux des roues porteuses.

Chaque voiture possède son système dynamique particulier, de sorte qu’on n’a aucune manipulation il faire pour former les trains.

Une des voies parallèles étant consacrée à l’aller et l’autre au retour, on comprend que les coups de tampons seraient peu à craindre, même lorsque le mécanicien placé à l’avant ne verrait pas en temps utile le fanal d’arrière du train précédent. Mais cette circonstance n’est point à redouter. En effet, il n’y aura jamais de brouillard dans ces tunnels où règne une température uniforme pendant toute la durée de l’année, et où l’air introduit artificiellement par les machines soufflantes ne peut arriver saturé d’humidité.

La ligne souterraine part du Monument, colonne élevée en mémoire du grand incendie de Londres, sort de la Cité en traversant la Tamise, et se dirige sur Elephant and Castle, le centre le plus important de la circulation de la partie de la métropole située sur la rive droite. Cette section, dont la longueur est de 3 à 4 kilomètres, a été complètement terminée au mois de mars, et visitée par le lord-maire, qui a exprimé tonte sa satisfaction. Le train officiel a franchi cette distance en moins de 9 minutes, c’est-à-dire aussi vite qu’un piéton traverse le London Bridge, en marchant au pas ordinaire. Mais l’inauguration officielle n’aura lieu qu’au mois de mai, alors qu’on pourra livrer au public la seconde section d’Elephant and Castle à Stockwell.

La ligne aura alors une longueur totale de 7 à 8 kilomètres, que l’on compte parcourir avec une vitesse règlementaire de 36 kilomètres à l’heure. Celte voie nouvelle sera d’autant plus appréciée, qu’il y aura un tarif uniforme pour toute l’étendue de ce réseau nouveau dans son genre. Cette mesure administrative intelligente permettra, paraît-il, de dispenser de la prise des billets, le conducteur étant chargé de percevoir le prix des places pendant la durée du trajet. Il n’y aura aussi qu’une seule classe. C’est une simplification toute démocratique, qui n’est point suffisamment appréciée à Paris, et qui permet de transporter rapidement des masses en quelque sorte indéfinies de voyageurs, dans les jours de presse. N’est-il pas étonnant que l’exemple en soit donné dans la terre classique de l’aristocratie ?

Wilfrid de Fonvielle

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