Le gyroplane Bréguet

Lucien Fournier, La Nature N°1804 — 21 décembre 1907
Lundi 8 août 2011 — Dernier ajout vendredi 20 décembre 2019

Le Gyroplane sortant de son hangar

Au moment même où les aéroplanes commencent, de tous côtés, des séries d’expériences couronnées de succès, il est intéressant de rappeler que le problème du plus lourd que l’air peut être ’solutionné ds plusieurs autres manières. Les hélicoptères et les orthoptères n’ont pas encore dit leur dernier mot,et si les lois qui régissent ces derniers groupes d’appareils semblent plus ardues à trouver, ceux qui les cherchent n’en ont que plus de mérite.

Le Gyroplane tient à la fois de l’hélicoptère et de l’aéroplane puisqu’il est constitué par des hélices auxquelles il demande à la fois la sustentation et la propulsion aidées cependant par des plans horizontaux. Il est l’œuvre de M. Louis Bréguet et a été construit sous la direction de l’inventeur par MM. Charles Richet et Jacques Bréguet.

En principe, l’appareil se compose d’une sorte de bâti en forme de croix de Saint-André dont la partie centrale est occupée par un moteur de 50 chevaux. Un système giratoire est disposé à chaque extrémité des quatre bras du bâti ; il est fait de huit ailes légèrement inclinées ; l’appareil comporte donc 32 ailes présentant une surface totale de 26 m2. En ordre de marche, il pèse 578 kg.

Étudiant de près la question du plus lourd que l’air, M. Louis Bréguet a eu l’impression que l’aéroplane automobile n’était capable de résoudre que d’une façon dangereuse le problème actuellement posé par un si grand nombre de chercheurs. Le mieux serait évidemment d’établir un appareil dans lequel la sustentation serait rendue indépendante de la vitesse de translation et de l’inclinaison, condition que ne peut remplir le planeur simple. D’autre part, l’hélicoptère satisfait aux deux conditions énoncées ; mais on est obligé de reconnaître que les qualités aérodynamiques des appareils appartenant à cette catégorie sont nettement inférieures à celles des aéroplanes tandis que leur construction conduit à des poids élevés.

Pour M. Louis Bréguet la solution rationnelle est intermédiaire : aussi les ailes de son appareil remplissent-elles l’office d’ailes planantes étudiées et construites comme de véritables aéroplanes biplans. La sustentation est alors obtenue par la réaction verticale sur l’air, de ces aéroplanes tournants, et, en orientant convenablement les axes de ces ailes, on réalise la propulsion. Pour cela, il est indispensable que les surfaces planantes soient souples, les incidences se réglant alors automatiquement quand la réaction aérienne équilibre les actions des joints élastiques des nervures sur lesquelles s’appuient les surfaces. De plus, en raison de la grande masse ct de la construction spéciale des parties tournantes, des effets gyroscopiques prennent naissance pendant la rotation et réagissent contre toute cause qui pourrait troubler l’équilibre de l’appareil et en ralentir l’effet.

Le Gyroplane prêt pour un essai

En plus de ces ailes mobiles, le Gyroplane est encore pourvu d’ailes fixes qui concourent à la sustentation pendant la marche mais dont la présence a pour but principal d’augmenter la stabilité. Passons maintenant à la description générale de l’appareil.

Le châssis principal A, fait en tubes d’acier, est une cage verticale rectangulaire occupée par le moteur et dans laquelle prend place le pilote. Ces tubes sont entretoisés en fil d’acier qui rendent la cage absolument indéformable. La croix de Saint-André est constituée par quatre solides fermes D, en tubes d’acier entretoisées verticalement par d’autres tubes et maintenues rigoureusement en place par une série de fils d’acier E disposés comme l’indique notre figure. Les plans mobiles sont fixés à chacune des extrémités de ces quatre bras ; ils tournent en sens inverse deux à deux afin d’équilibrer les réactions aérodynamiques et les efforts mécaniques. Le système tournant est également formé de deux tubes d’acier superposés dans les mêmes conditions que les bras D. Chacun de ces assemblages, mobile autour de l’axe que supporte l’extrémité du bras, forme la carcasse principale de deux surfaces rectangulaires superposées, une série de nervures en tôles embouties montées sur le tube principal : constituant les génératrices. Ces nervures sont mobiles sur le tube radial et les liens élastiques qui les relient à ce tube permettent un certain déplacement, de sorte que les plans sont doués d’une grande souplesse et le réglage des incidences se fait automatiquement lorsque la réaction sur l’air équilibre la somme des couples dus à la pesanteur des surfaces et à l’élasticité des liens.

Chacun des axes autour desquels tournent les plans est entouré d’une couronne dentée J engrenant avec un pignon conique K que commande le moteur par l’intermédiaire d’arbres à la cardan et de trains d’engrenages coniques M. Enfin la couronne dentée est rendue solidaire des ailes par une série de rayons en fils d’acier qui servent à l’entraînement. Ces couronnes reposent sur une série de galets de roulement portés par une boite circulaire fixée au bâti et dont le principal rôle est d’empêcher le plan de la couronne de se déplacer par rapport à celui de la boite et d’assurer ainsi un égrènement toujours parfait des deux roues coniques.

Afin de réaliser une stabilité parfaite, l’appareil a été pourvu de plans verticaux et de deux plans horizontaux tout à fait semblables aux grands plans des aéroplanes cellulaires et qui sont placés au-dessus du centre de gravité de l’ensemble. Les deux grandes ailes de chaque plan horizontal forment un léger angle avec l’horizontale à partir de leur point d’attache avec le bâti central et cela afin d’augmenter la stabilité latérale. Ces plans, qui concourent d’abord à la stabilité du gyroplane, servent en outre à la sustentation, et, en cas d’arrêt du moteur, ils permettraient un atterrissage normal en évitant la chute. Le tissu employé dans la construction de ces plans est le même que celui des ailes des hélices ; il est encore fixé sur des nervures appartenant à un tube central unique par l’intermédiaire de joints élastiques ; chaque surface est donc mobile sur son tube support et peut ainsi prendre une certaine inclinaison suivant les effets de la réaction de l’air.

A l’avant et à l’arrière de l’appareil sont placés des gouvernails horizontaux P qui permettent le déplacement dans toutes les directions et en même temps de corriger les défauts d’équilibre. Enfin une hélice verticale, disposée au-dessus du moteur, concourt, avec les systèmes de plans tournants convenablement orientés à réaliser la translation du système. Mais cette hélice n’est pas indispensable et dans son nouvel appareil, actuellement en construction, M. Bréguet la supprimera.

Ajoutons, afin de faire mieux comprendre le mécanisme de la propulsion, que les axes des systèmes tournants, solidaires de l’appareil, sont lé10èrement inclinés vers l’avant. La réaction de l’air sur les ailes tournantes donnera donc une composante horizontale qui aura pour effet de communiquer à l’appareil une certaine vitesse de translation dans le sens où celte composante agit. Pour augmenter ou réduire la vitesse de translation, on modifiera au moyen des gouvernails l’inclinaison de tout l’appareil ; et par suite la valeur de la composante horizontale.

L’appareil repose sur quatre roues munies de pneumatiques : chacune d’elles est montée à l’extrémité des arbres par l’intermédiaire d’un amortisseur pneumatique d’une facture spéciale. La roue est supportée par un bras articulé fixé en un point du bâti, et, dans le sens vertical, elle peut effectuer une course de 1 mètre environ. Lorsqu’elle arrive au contact du sol, au moment de l’atterrissage, le bras articulé transmet son mouvement, au moyen d’une double bielle, à une tige verticale terminée par un piston coulissant à l’intérieur d’un corps de pompe fixé à l’un des montants du bâti. La montée du piston comprime de l’air dans ce corps de pompe et l’atterrissage s’effectue très doucement.

Les systèmes tournants à la périphérie mesurent 8,05 m de diamètre et chacune des 32 ailes a 2,20 m de longueur, 0,37 m de largeur, et 1,50 m de rayon de courbure. La surface totale des quatre systèmes tournants est donc de 26 mètres carrés. Pour obtenir une force ascensionnelle totale de 600 à 620 kg, les hélices doivent tourner à raison de 88 tours par minute, résultat que l’on peut obtenir avec un moteur développant 44 chevaux. Le moteur qui équipe cet appareil est un moteur Antoinette de 50 chevaux.

En s’inspirant des travaux si approfondis du colonel Renard sur les appareils du genre hélicoptère, M. Bréguet a pu améliorer les qualités de ces appareils et prendre à leur principe tout ce qu’il contient de pratique, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir la sustentation indépendante de la translation et, par conséquent, compatible avec l’immobilité absolue. De plus, le gyroplane, en se déplaçant dans l’atmosphère, profitera des avantages que les plans fixes donnent à la sustentation et ses qualités deviendront celles des meilleurs aéroplanes. La combinaison de l’hélicoptère et de l’aéroplane a d’ailleurs été proposée dans une très intéressante étude du vicomte Decazes et réalisée par un appareil qu’il appelait helicoplane étudié en collaboration, croyons-nous, avec M. Georges Besançon. Le gyroplane est surtout caractérisé par sa construction spéciale entièrement en acier qui a permis d’obtenir une très grande légèreté.

Les premiers essais auxquels fut soumis le gyroplane eurent lieu le 24 août, et les résultats en furent communiqués à l’Académie des Sciences par MM. Lippmann et Garriel. Cependant ils avaient révélé quelques imperfections mécaniques appelant des modifications de détails dans la construction des embrayages.

Le 20 septembre eut lieu une nouvelle expérience. Dès la mise en route du moteur l’appareil quitta instantanément le sol et s’éleva franchement à 1.50 m de hauteur. Des hommes tenaient des cordes fixées aux quatre extrémités de l’appareil pour l’empêcher de s’élever au delà, et aussi afin d’éviter tout déplacement latéral intempestif. Au bout d’une minute, l’expérience prit fin, une avarie étant survenue à l’un des systèmes tournants. Cet incident porte déjà une conséquence intéressante, puisque, même avec trois systèmes sustentateurs seulement, l’appareil n’est pas tombé ; il est descendu doucement à terre sans aucune avarie. Le gyroplane, avec ses accessoires, pesait 492 kg sans compter 5 kg d’essence, 13 kg. d’eau de refroidissement et 68 kg représentant le poids du pilote. Le moteur, à 8 cylindres, pesait nu, environ 90 kg, mais avec ses réducteurs de vitesse, ses embrayages et tous ses accessoires en ordre de marche, le poids en était environ 200 kg, soit 4,45 kg par cheval utile.

Ce n’est donc pas à un allègement très notable du système moteur qu’est dû le succès du gyroplane, mais bien à sa construction très étudiée qui a permis l’emploi de systèmes tournants à grandes dimensions et de qualités aérodynamiques supérieures à tout ce qui a été fait jusqu’ici dans ce sens. Le gyroplane est en effet l’appareil qui, malgré sa faible surface (26 mètres carrés pour 578 kg), a, par cheval dépensé, soulevé le poids le plus élevé, plus de 13 kg, la charge par mètre carré de surface était de près de 25 kg par cheval.

Cette nouvelle solution du problème du plus lourd . que l’air est très intéressante. Gyroplanes et planeurs hélicoptères nous réservent sans doute bien des surprises ; l’avenir seul décidera quel est, de tous ces systèmes, celui qui parviendra à se rendre le plus utile.

Lucien Fournier

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