Alors que les études sur la corrosion se multiplient dans le monde entier, il devient naturel de songer aux effets que peut avoir la présence dans la bouche de deux métaux ou de deux alliages à des potentiels différents, comme il se produit souvent du fait des plombages dentaires successifs, ou d’appareils de prothèse, ou d’habitudes professionnelles. C’est justement ce que vient de faire connaître dans La Presse Médicale le Dr Touraine, médecin de l’Hôpital Saint-Louis. Cette notion, déjà entraperçue çà et là, n’est devenue claire qu’en ces tout derniers temps, quand l’attention a été attirée sur cette cause possible de stomatite et de leucoplasie buccale.
Dès 1932, Lain a mesuré les différences de potentiel et les intensités entre des pièces de prothèse hétérogènes. Si le voltage est très faible, quelques millivolts seulement, le débit peut être considérable entre un amalgame pour plombage et une pièce de dentier en alliage léger ; sur le vivant, dans la bouche normalement mouillée de salive, on a mesuré des courants allant jusqu’à Io° Il est évident que ces mesures ne peuvent être considérées comme absolues. Comme dans tous les autres phénomènes de corrosion, elles dépendent de la différence de potentiel des métaux en présence, les plus nobles comme l’or ou le platine activant la destruction des moins nobles comme l’aluminium, l’acier, le zinc, l’étain, le cuivre, elles dépendent aussi du milieu qui les mouille, la salive, de son pH, de son aération, et nul doute qu’on en arrivera bientôt à considérer les actions particulières des microbes buccaux.
Les pièces métalliques qui se placent dans la bouche sont des appareils de prothèse, des plombages, et les objets que certains professionnels tiennent ainsi. Les appareils : dentiers, couronnes, bridges, sont généralement en or, en argent, en aluminium, en alliages contenant du cuivre ou du nickel. Les plombages sont souvent des amalgames de divers métaux : platine, or, argent, cuivre, etc. On connaît l’habitude des tapissiers de mettre en bouche leurs e semences e en fer ; les tailleurs tiennent aux lèvres leurs épingles, quelques coiffeurs leurs épingles à cheveux ; les électriciens tâtent le courant en touchant les fils de cuivre du bout de la langue ; et tous les musiciens des cuivres appuient aux lèvres des embouchures de laiton.
Le plus souvent, rien ne se produit, mais parfois on a vu une véritable coloration métallique des muqueuses aux points de contact avec les métaux les moins nobles et l’on a signalé une sensation de goût métallique dans la bouche, plus rarement de brûlure ou de piqûre, une sensibilité anormale aux mets salés ou vinaigrés, des douleurs dentaires. On a pu expliquer certaines gingivites et quelques leucoplasies par une cause électrolytique et l’on vient même d’attribuer à celle-ci des épithéliomas buccaux.
Comme on ne s’était pas préoccupé jusqu’ici de l’électrolyse buccale, il n’est guère de personne adulte qui ne porte en sa bouche, sous forme de plombages ou de dentiers, des pièces métalliques hétérogènes, qui sont parfaitement supportées depuis longtemps. Il n’y a donc pas lieu de craindre e priori d’accidents d’origine corrosive. Mais maintenant que l’attention a été attirée sur leur possibilité, nul doute qu’il sera désirable à l’avenir de faire une plus large place aux ciments, émaux, porcelaines dans les plombages, au caoutchouc vulcanisé dans les dentiers, ou d’employer le même métal et le plus noble, l’or, pour toutes les pièces de prothèse. Et si quelque lésion buccale apparaît au contact d’un appareil déjà existant, on devra songer au méfait possible d’un couple métallique et enlever l’alliage le moins noble qu’on pourrait suspecter.