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Il suffit d’examiner le jet qui sort en bondissant d’une artère ouverte pour se rendre compte que le sang est contenu sous pression dans les vaisseaux. Cette pression puise son origine dans la force déployée par le ventricule gauche du cœur lorsqu’il se contracte pour chasser dans l’artère aorte le sang qui remplit sa cavité. Cette ondée sanguine, arrivée dans l’aorte qui se dilate pour la recevoir et se resserre ensuite sur elle sous l’effet de son élasticité pour revenir à son calibre primitif, trouve devant elle la résistance opposée par la masse du sang qui remplit tout l’arbre artériel ; cette masse, elle doit la pousser plus loin pour se faire de la place et la faire progresser à travers une série de vaisseaux d’un calibre de plus en plus rétréci, jusqu’au filtre serré que constituent les organes et les capillaires, où les passages sont si étroits qu’en certains d’entre eux les globules sanguins, malgré leurs dimensions microscopiques qui ne dépassent pas sept à huit millièmes de millimètre, ont peine à s’y glisser un à un !
C’est dire la force énorme d’inertie, d’abord, puis ’de résistance due au frottement de ce liquide visqueux qu’on appelle le sang sur les parois des vaisseaux qui le contiennent, que doit vaincre, pour progresser, cette ondée sanguine derrière laquelle le cœur en envoie d’autres sans relâche, au rythme de soixante-douze à la minute. C’est cette force de propulsion et de résistance que traduit la tension artérielle, « force, dit Gallavardin, crée par la contraction cardiaque, entretenue par la réaction élastique de la paroi vasculaire et réglée par la résistance des vaisseaux périphériques à l’écoulement du sang ».
Il y a deux sortes de tensions artérielles : une maxima et une minima
La pression artérielle résulte donc de deux éléments nettement différents. Le premier est constitué par la succession ininterrompue de coups de piston donnés par le cœur qui fonctionne comme une véritable pompe aspirante et foulante. Chaque coup de piston fait pénétrer dans les artères, 15 à 16 grammes de sang, tout au moins chez l’homme, et provoque une augmentation passagère de la tension artérielle qui se traduit au doigt par le durcissement des artères. perceptible dans le phénomène du pouls. A chaque contraction cardiaque correspond donc un battement, une élévation maxima et passagère de la pression sanguine : c’est ce qu’on appelle la tension variable ou maxima.
Mais, dans l’intervalle de ces coups de piston, le sang n’en reste pas moins soumis à une certaine pression, moins forte à la vérité, mais constante, et qui traduit d’une part la résistance opposée à l’écoulement du sang par les organes et les vaisseaux périphériques et d’autre part la compression exercée sur la masse liquide par les parois dilatées des artères qui tendent à revenir sur elles-mêmes en raison de leur élasticité et de leur contractilité. C’est en somme un peu ce qui se passe dans un tuyau d’arrosage en caoutchouc dont on obture partiellement l’extrémité avec une pomme d’arrosoir ou avec le doigt. Cette tension constante, qui dépend de l’état des organes, s’appelle tension minima, par opposition à la première.
De la comparaison de ces deux tensions on tire aujourd’hui en médecine des renseignements précieux sur l’énergie du cœur, sur l’état des artères et sur la perméabilité des organes profonds au passage du sang. C’est dire les services que ce procédé d’investigation rend journellement à la clinique. L’introduction de la mesure de la tension artérielle en médecine est une révolution d’une importance comparable à celle réalisée par l’emploi du thermomètre et, si l’on peut s’étonner d’une chose, c’est qu’on ne se soit pas avisé plus tôt de ion intérêt.
La mesure des deux tensions artérielles est une acquisition toute récente de la médecine moderne
Chose curieuse, en effet, alors que la découverte de la circulation du sang par Harvey remonte à 1628, ce n’est qu’un siècle plus tard que le pasteur anglais Stephen hales eut l’idée de mesurer la tension artérielle chez l’animal. Un autre siècle encore devait s’écouler avant qu’en 1855 Vierordt se soit avisé d’en faire l’application clinique à l’homme. Et encore n’est-ce que dans le dernier quart du XIVe siècle que les travaux de Basch à vienne, de Potain en France, introduisirent véritablement l’étude de la tension artérielle dans la pratique médicale. Cependant, même à cette époque relativement rapprochée, les appareils dont on disposait ne permettaient que de mesurer la tension maxima, sans donner aucune idée de ce. que pouvait être la tension minima, et ce n’est guère que depuis une quinzaine d’années que le médecin est en possession d’instruments capables de lui donner de façon pratique les deux tensions. Mais ce court laps de temps a suffi aux cliniciens de tous les pays pour récolter une ample moisson de faits et d’observations d’une importance capitale qui ont révolutionné toute une partie de la médecine et démodé les manuels et les traités écrits il y a seulement vingt ans.
On ausculte aujourd’hui le pouls comme le cœur ou le poumon
Sur quels principes reposent ces appareils ? Il serait long et compliqué de l’exposer ici, et les détails techniques dans lesquels il nous faudrait entrer paraîtraient oiseux à beaucoup de lecteurs. Nous n’en sommes plus au temps où Stephen hales abouchait l’artère d’une jument couchée sur le dos à un tube en verre placé verticalement et voyait à sa grande stupéfaction la colonne sanguine monter dans ce tube à 8 pieds 3 pouces au-dessus du corps de l’animal, c’est-à-dire à 2,50m de hauteur environ. S’il avait fallu en rester à ce procédé primitif, jamais nous n’aurions vu la méthode appliquée en clinique, et on ne voit pas très bien un médecin faisant subir cette petite opération à son malade sous prétexte de lui examiner le cœur ! Aujourd’hui, on se contente de placer autour du bras du patient un brassard pneumatique dans lequel on comprime de l ’air au moyen d’une pompe jusqu’à faire équilibre à la pression du sang dans l’artère qui traverse le segment de membre ainsi comprimé. On est averti du moment où cet équilibre est atteint pour l’une et l’autre des deux tensions recherchées par la différence d’amplitude des oscillations que subit l’aiguille d’un manomètre spécial en communication avec l’air du brassard et qui reçoit, par l’intermédiaire de ce dernier, l’impulsion du pouls. C’est ce qu’on appelle l’oscillométrie, dont le principe a été découvert par l’illustre physiologiste Marey, le père du cinématographe.
Une autre méthode, également très employée, et due il un médecin russe du nom de Kobottkoff, est basée sur l’auscultation du pouls au-dessous du point où il est comprimé par le brassard. Dans ce procédé, on commence par arrêter le cours du sang dans l’artère en comprimant de l’air jusqu’au-dessus de la tension artérielle maxima, ce que l’on reconnaît au fait que l’on ne perçoit plus de battements. Puis, on laisse l’air s’échapper lentement et, au moment précis où la pression dans le brassard tombe au niveau de la pression sanguine dans l’artère, on perçoit un premier choc, sonore et vibrant comme un coup de gong, produit par le coup de bélier de l’ondée sanguine arrivant se heurter contre la masse du sang arrêtée en dessous de l’obstacle. A cet instant, on lit le chiffre de la pression indiqué sur un manomètre fixé au brassard : c’est celui de la tension maxima. Si l’on continue à décomprimer, on perçoit des battements de plus en plus forts, puis décroissants, jusqu’au moment où le cours du sang se rétablit sans obstacle lorsque la pression de l’air dans le brassard tombe au-dessous de la tension artérielle minima. Tout bruit cesse alors de se faire entendre à l’auscultation du pouls, et une nouvelle lecture du manomètre, pratiquée à cet instant précis, donne le chiffre de la tension minima. L’opération tout entière demande deux à trois minutes à peine, moins de temps qu’il n’en faut ordinairement pour mesurer le degré de la fièvre au thermomètre.
La hauteur de la tension artérielle varie suivant les besoins de l’organisme
Nous voici donc en possession de ces deux éléments d’information : la tension maxima et la tension minima. Nous allons voir quelles conclusions nous pourrons tirer de leur hauteur relative.
Tout d’abord, il importe de savoir qu’il existe un mécanisme régulateur de la pression sanguine qui veille à maintenir celle-ci dans des limites compatibles avec un bon fonctionnement des organes. Cette régularisation se produit, naturellement, sous l’influence du système nerveux et par l’intermédiaire de l’augmentation ou de la diminution du calibre des artères, ce qu’on appelle en médecine la vasodilatation et la vasoconstriction. Fait remarquable : il est beaucoup plus facile d’agir sur la tension artérielle en excitant ou en paralysant le système nerveux qu’en injectant de l’eau salée dans les veines ou en soustrayant au sujet une quantité même importante de sang, contrairement à ce que l’on pourrait croire tout d’abord. Ainsi, l’homme peut perdre environ un litre de sang avant qu’il y ait abaissement sensible de la tension artérielle : les petits vaisseaux périphériques se contractent au fur et à mesure de l’hémorragie pour adapter la contenance des artères à la diminution de la masse sanguine, et la tension reste constante. De même, on peut injecter, même brusquement, dans les vaisseaux sanguins, une quantité très grande d’eau salée, jusqu’à la moitié de la masse totale du sang, sans augmenter notablement la pression.
Par contre, si l’on sectionne les nerfs splanchniques, ce qui amène une forte vasodilatation abdominale, un abaissement énorme de la tension artérielle se manifeste ; inversement, l’excitation de ces mêmes nerfs, en provoquant de la vasoconstriction dans les organes de la digestion, élève considérablement la pression vasculaire. Cette expérience donne la clef des phénomènes qui accompagnent la digestion chez beaucoup de personnes : l’ingestion des aliments, en excitant les nerfs splanchniques, provoque d’abord une élévation de la tension artérielle accompagnée de bien-être et d’excitation cérébrale ; puis, au bout d’une demi-heure à une heure, il se produit, au niveau de l’estomac et des organes de la digestion, un appel de sang et une vasodilatation qui s’accompagnent d’un abaissement corrélatif de la tension. Cette diminution de la pression sanguine a pour conséquence un certain degré d’anémie cérébrale qui se traduit chez certaines personnes par une sensation de froid, de fatigue ou par de la somnolence. Enfin, au bout d’un temps variable, une deuxième hypertension se produit, qui traduit le passage dans le sang des substances excitantes provenant de la digestion des aliments.
On détermine exactement le degré d’entraînement d’un athlète en lui mesurant la tension artérielle
Somme toute, le système nerveux veille à maintenir la pression sanguine au niveau voulu pour assurer l’irrigation des organes qui répond à leur activité et à leur état. Le plus bel exemple que nous en offre la physiologie nous a été fourni par l’étude que le professeur Pachon a faite de la tension artérielle dans l’exercice musculaire et dans l’entraînement.
On sait, en effet, que l’exercice musculaire possède une influence marquée sur la tension artérielle et a tendance à l’élever. Si le travail n’est ni excessif ni prolongé, l’hypertension d’effort se maintient pendant toute la durée de l’exercice, puis disparaît rapidement par le repos avec retour à la normale. Chez les individus âgés ou fatigués, ou si le travail imposé est excessif, cette hypertension a de la peine à se maintenir et fait bientôt place à de l’hypotension dès que le surmenage apparaît, traduisant ainsi la défaillance du cœur et son impuissance à suffire à la tâche qui lui est imposée.
Chez les athlètes, au contraire, et chez les individus soumis à un entraînement professionnel, on constate qu’au fur et à mesure de l’accoutumance à un travail déterminé, l’hypertension d’effort devient de moins en moins marquée. Certains athlètes en arrivent à exécuter des exercices extrêmement violents sans. faire varier sensiblement leur pression artérielle : on peut dire que leur entraînement est alors parfait. Cette stabilité de la tension artérielle est d’ailleurs plus ou moins grande suivant l’état du sujet, son degré de fatigue, les influences psychiques ou autres auxquelles il est soumis, si bien que Pachon a pu dresser des tableaux fonctionnels permettant de juger à tout instant, par la mesure de la tension artérielle, de l’état d’entraînement d’un sujet à un exercice déterminé. Des tableaux analogues rendent possibles aussi le choix et le dosage des exercices à imposer à un sujet dans l’éducation physique. Il y a là une méthode de mensuration précise et facile dont devront tenir compte dans l’avenir les entraîneurs d’athlètes et les professeurs de gymnastique médicale ou pédagogique.
Quant aux influences nerveuses, rien d’étonnant si, d’après ce que nous avons vu tout à l’heure, elles ont un retentissement marqué sur la tension artérielle, elles contribuent généralement à élever. Ainsi en est-il des émotions, du travail intellectuel, des excitations. sensorielles ou sensitives, comme un abaissement subit de la température extérieure, l’application d’tin morceau de glace au pli du coude, une lumière intense, un bruit désagréable, une douleur vive, etc. Cela nous explique la fréquence de l’artériosclérose ; des lésions du cœur et des reins, des hémorragies cérébrales etc., dans certaines professions comme les .politiciens, les financiers, les joueurs, les artistes, les surmenés de tous genres. Et l’étude de la tension artérielle chez tous ces sujets nous permettra aussi désormais d’établir avec précision un diagnostic précoce et d’indiquer les bases du traitement qui devra être suivi sous peine de déchéance irrémédiable.
La comparaison des deux tensions artérielles permet de dépister l’artériosclérose au début
En effet, comme nous l’avons dit tout à l’heure, les variations de l’écart. entre les deux tensions et la hauteur relative de celles-ci permettent d’apprécier l’état du cœur, des artères et des reins et de juger si un individu, même bien portant en apparence, ne surmène pas en réalité ses organes et ne leur impose pas un fonctionnement excessif et inconsidéré qui doit le mener sûrement à sa perte.
Sans entrer dans des détails qui ne seraient pas de mise ici, il est facile de comprendre que la pression constante ou minima représente l’effort initial que le cœur doit déployer pour soulever la soupape qui te sépare de l’aorte et faire pénétrer dans celle-ci une nouvelle ondée sanguine. Or, cette tension étant déterminée par le plus ou moins d’élasticité des artères et le plus ou moins de facilité que le sang trouve à s’écouler au travers des organes, plus elle s’élèvera, plus on en pourra conclure que le travail du cœur est considérable et que l’état des artères et des organes, du rein en particulier, est défectueux.
Mais, tant que le cœur suffit à sa tâche, au fur et à mesure que s’élève la tension minima, par un admirable mécanisme régulateur, augmente de son côté l’énergie de la contraction cardiaque que traduit la tension maxima. Il existe dans l’organisme un obstacle au cours du sang, soit, mais le cœur en vient à bout en assénant des coups de marteau de plus en plus forts. Sous l’influence de cet effort, il s’hypertrophie, il grossit pour s’adapter à sa fonction, jusqu’à ce que le nouvel équilibre des humeurs s’établisse et compense la lésion cachée.
A cette période, l’écart entre les deux tensions maxima et minima a tendance à augmenter. Mais, à la longue, le cœur se fatigue. Il existe une limite à ses efforts et, si la lésion périphérique s’accentue et dépasse un certain degré, la défaillance cardiaque apparaît. L’écart entre les deux pressions sanguines diminue alors, la pression constante s’élevant plus vite que la pression variable. Un degré de plus encore, et la tension maxima descend à la rencontre de fa tension constante : c’est l’indice de la défaillance prochaine du cœur, qui succombe à la tâche trop lourde qui lui est imposée ; bientôt, ce noble organe n’aura plus la force de soulever la colonne sanguine sous le poids de laquelle il est écrasé.
Voilà, dans leurs grandes lignes, les indications diagnostiques et pronostiques que l’on peut tirer en médecine de la mesure des deux tensions artérielles en cas d’hypertension. En cas d’hypotension aussi, dans certaines maladies infectieuses comme la fièvre typhoïde, la tuberculose, les anémies, la neurasthénie, la mesure de la tension artérielle pose,des indications thérapeutiques sur lesquelles nous n’insisterons pas. Mais le point le plus important et sur lequel nous voulons en terminant attirer l’attention du lecteur, c’est que la recherche systématique de l’hypertension artérielle permet de déceler presque à coup sûr chez les sujets prédisposés l’artériosclérose au début, avant qu’elle ne se manifeste par aucun malaise ni aucun trouble fonctionnel autre que l’augmentation silencieuse .de la tension artérielle.
Dr G. de Bouttencourt