On se préoccupe, à juste titre, de la diminution progressive de la natalité dans notre pays. Comme il est difficile d’indiquer un remède efficace à cette cause de dépopulation et de déchéance sociale, on s’ingénie à garantir, dans les plus larges mesures, la vie des petits êtres qui doivent devenir un jour des citoyens et des soldats. La loi Roussel a été un grand progrès dans ce sens, mais elle ne remédie pas à tout ; de là, ces œuvres nombreuses de charité destinées à assurer aux petits enfants les soins, la nourriture convenable au jeune âge.
Parmi ces œuvres philanthropiques, il en est une dont l’existence ne remonte pas encore à de longues années ; qui a grandi lentement et qui réclame encore une plus large extension. Les mères de famille, appartenant aux classes ouvrières, sont obligées, pour apporter un léger appoint au salaire quotidien, subvenir aux frais du ménage, de travailler et de se séparer de leurs nourrissons. A qui les confier pendant les heures qu’elles passent à l’atelier, comment assurer l’allaitement ? Jadis, et cela se pratique encore sur une trop grande échelle, les enfants étaient confiés, au nombre de dix, quinze et plus à des garderies, à des maisons de sevrage. Les soins y étaient donnés d’une façon plus ou moins bien entendue. Frappé de ces inconvénients, un philanthrope bien connu, M. Firmin Marbeau, eut l’idée de fonder un petit asile destiné à recueillir pendant la journée les enfants des mères occupées dans l’industrie ; son idée fut rapidement mise à exécution et en 1844, la première crèche était créée.
L’œuvre de Marbeau a prospéré. Deux ans après, douze crèches existaient dans le département de la Seine. Aujourd’hui ces asiles existent dans tous les pays ; on en trouve un en Chine, à Hong-Kong. En France, il en existe actuellement près de deux cents : la carte ci-dessus (fig. 1) en indique la répartition par département. Paris, à lui seul, en compte quarante- six, réparties dans tous les arrondissements, sauf un, le quatorzième. Des villes de province, comme Bordeaux, Lyon, Marseille, Rouen, en ont de quatre à sept. C’est encore peu, eu égard à l’augmentation croissante de la population ouvrière dans ces grandes villes.
Créés souvent par l’initiative privée, installés tant bien que mal, au début, dans les locaux qu’on trouvait libres, ces établissements sont loin de répondre dans bien des cas aux exigences de l’hygiène. Ici, le cube d’air est insuffisant ; là, les soins sont donnés d’une façon peu éclairée, l’alimentation n’est pas ce qu’elle devrait être pour des enfants de quelques mois, de deux ans au plus. C’est à ces défauts d’organisation que sont dues les objections formulées contre l’établissement des crèches. C’est pour y remédier dans la mesure du possible, qu’un hygiéniste distingué, le Dr Napias, vient d’étudier très complètement [1] ce que sont les crèches, ce qu’elles devraient être et comment on devrait les organiser. Rien de plus instructif que ces documents ; j’engage ceux de mes lecteurs qui s’intéressent à ces questions, à se reporter au travail de notre aimable et savant confrère, Installation souvent défectueuse, moyens d’assurer la propreté des enfants tout à fait insuffisants, alimentation donnée d’une façon irrationnelle, tels sont les principaux griefs à relever pour quelques crèches. En voulez-vous la preuve ? Des crèches situées dans des centres industriels sont à des distances telles qu’il est presque impossible pour la mère de venir allaiter son enfant ; d’autres sont situées à des étages élevés ou dans des rez-de-chaussée humides, mal éclairés. Dans cette autre, pas de baignoires, pas de lavabos. J’ai vu, dit le Dr Napias, une crèche où les enfants n’ont pour leur toilette qu’une seule éponge et l’eau d’un seul seau. Dans une autre, le biberon règne en maître et le lait est pris à la crèmerie la plus voisine ; on sait ce que cela veut dire.
Comment s’étonner que ces établissements si utiles n’aient pas trouvé faveur auprès de bien des médecins, qu’ils soient même vus d’un mauvais œil par les mères de famille ? Ce serait là qu’on devrait trouver les soins les mieux entendus, que l’enfant. baigné, lavé, approprié, devrait être rendu chaque soir pimpant et propret à la mère. C’est dans ces établissements qu’il faudrait pouvoir en quelque sorte prendre une idée des soins 11 donner dans la famille.
Aussi M. Napias ne s’est-il pas contenté de formuler des critiques. Il a pu citer des exemples de crèches bien aménagée, bien dirigées, où la mère peut confier son enfant, sans crainte de le voir exposéê à la contagion, ou de recevoir une nourriture plus mauvaise que celle qu’elle peut lui assurer.
Il faut d’abord une bonne installation. Quelques-uns de ses collègues de la Société de médecine publique et d’hygiène, se sont fait un plaisir de dresser des plans de crèches, parfois un peu trop luxueux et partant trop coûteux, mais où l’air circule librement, où l’enfant serait bien gardé, bien nourri, bien pomponné. Je me borne à mettre ’sous les yeux du lecteur quelques figures représentant trois crèches installées depuis assez longtemps : la crèche Sainte Marguerite de Grenelle, de M. Cacheux (fig. 2) ; la nursery municipale de Grenoble (fig. 3) ; le pouponnat de Guise (fig. 4) et un projet dressé par M. Bouhon, architecte (fig. 5). Comme on peut le voir par ces différents dessins, une crèche doit comprendre une ou deux salles pour les berceaux et lits (enfants sevrés et non sevrés) une petite salle d’isolement en cas de maladie contagieuse dont on ne s’est pas aperçu à l’entrée le matin, une salle de toilette, bains et lavabos, une salle d’allaitement, une saIle de jeux, véranda fermée l’hiver, jardin et les accessoires (cuisine, logements des surveillants, waterclosets, etc.).
Le projet de M. Bouhon (fig.5) vise un effectif de 100 enfants, 60 berceaux, 40 lits ; il est, on le voit, bien conçu et répond à toutes les exigences de l’hygiène.
Voilà pour l’installation de la crèche ; reste la question du mobilier, lits, toilettes, chaises, voitures, M. Napias a tout prévu et de concert avec un jeune ingénieur, M. Herbet, a combiné tout un matériel solide, facile à nettoyer, ce qui est important, et relativement peu coûteux.
II ne m’est pas possible de donner ici la nomenclature et le dessin de tous ces meubles variés ; ce qu’on peut dire, c’est que, s’ils sont sujets à modification et à perfection, ils constituent un progrès réel sur l’ameublement actuel. J’omettais de mentionner un des meubles les plus indispensables, l’étuve pour la désinfection des vêtements. Aussitôt arrivés, les enfants doivent être déshabillés dans le vestiaire où se trouve l’étuve, revêtus d’un uniforme pris dans le panier métallique de l’étuve qui porte le numéro de l’enfant ; on replace dans ce panier les vêtements qu’il avait sur lui en arrivant. Pendant la journée, les vêtements sont désinfectés, séchés, et le soir, au départ, l’enfant trouve un habillement propre et assaini. De même pour la nourriture : le lait doit être stérilisé au bain-marie d’eau bouillante. Chaque enfant doit avoir sa bouteille numérotée. Enfin, suivant l’exemple du Dr Gallois, le directeur de la nursery de Grenoble, l’alimentation doit être réglée d’une façon exacte suivant l’âge du bébé.
J’en ai dit assez pour montrer combien il reste à faire si l’on veut que ces institutions charitables remplissent le but que l’on se propose. J’appuierai de tous mes vœux la conclusion du Dr Napias qui demande que les crèches, qu’elles soient laïques, qu’elles appartiennent aux diverses confessions religieuses, n’apportent aucune entrave à l’admission de tous les enfants, sans s’inquiéter des conditions sociales et civiles de la mère ; qu’il ne soit exigé qu’un seul document, un certificat de vaccine. On fera ainsi le bien dans la plus large acception, et on arrivera à réaliser le vœu du fondateur des crèches : sauver la vie des enfants.
Dr A. Cartaz