Nos lecteurs ont connu par les journaux la création, dans les rochers du phare de Biarritz, d’une usine génératrice destinée à utiliser, grâce à un procédé entièrement nouveau, l’énergie des oscillations de la mer. Notre envoyé, qui a pu visiter les travaux et s’entretenir avec les ingénieurs, décrit ici ce « bélier-siphon maritime » qui semble apporter une solution vraiment industrielle au problème de la captation de l’énergie océanique.
J’ai pu me rendre compte par moi-même, en visitant le blockhaus bétonné édifié au pied des rochers du phare de Biarritz, de l’énormité des efforts qu’il s’agit de capter et de l’ingéniosité des constructeurs. L’emplacement a été hardiment choisi au point le plus exposé de la côte, sur la face nord-ouest de ce cap Saint-Martin où viennent s’écraser les vagues du golfe de Gascogne : une construction en béton, très lourde et ancrée dans le rocher, avec des murailles incurvées sur lesquelles les lames glissent en s’élevant au lieu de frapper de plein fouet, tel est l’aspect que représente actuellement ce curieux « Laboratoire hydrodynamique marin ».
Ce terme modeste de laboratoire situe, du reste, l’état exact des travaux. Pour l’instant, il s’agit de capter une quantité très importante d’énergie qu’on laissera retourner à la mer après l’avoir soigneusement mesurée. Par contre, une transformation rapide permettra ensuite de mettre en place des turbines et des génératrices électriques.
Énergie thermique, usines marémotrices ou machines à vagues ?
Pour soutirer de la mer les quantités immenses d’énergie qu’elle renferme, nous dit M. l’ingénieur Grasset, créateur de l’entreprise, on peut s’adresser à trois sources bien différentes : l’énergie thermique de la mer, comme l’ont fait MM. Georges Claude et Boucherot ; l’énergie des marées au moyen d’usines marémotrices, enfin l’énergie représentée par les mouvements locaux et continuels de la mer, dont les formes diverses se nomment houle, lames, vagues, ressac.
L’énergie thermique est inutilisable en France, en Algérie et au Maroc, où les différences de température entre le fond et la surface sont très faibles. Les usines marémotrices nécessitent l’établissement d’un bassin de retenue très important d’où on laisse l’eau s’écouler à travers les turbines ; elles nécessitent donc, pour leur installation, des dispositions topographiques assez particulières ainsi que des marées d’au moins 5 à 6 mètres qui ne se rencontrent que sur une partie de notre littoral.
L’utilisation des mouvements oscillatoires, relativement rapides, de la mer, est extrêmement séduisante, La mer, en effet, n’est jamais calme qu’en apparence ; même quand la surface reste unie, de récentes observations du commandant Charcot et de M. Idrac ont prouvé qu’il pouvait exister de véritables tempêtes sous-marines, développant une énorme puissance.
Stevenson, en Angleterre, a évalué à 1.600 kg. par m2 l’effort qu’exerce la mer par temps calme sur les obstacles, cet effort pouvant atteindre 30.000 kg par tempête très modérée. Tout récemment, on a pu évaluer avec une certaine précision la puissance fournie par la houle régulière de 80 cm de hauteur qui déferle continuellement sur les côtes du Maroc : cette puissance varie de 70 CV en été à 200 CV en hiver, par mètre de longueur du rivage.
Une telle puissance, répétons-le, ne nécessite pour sa création aucune tempête ni mouvement d’air ; elle constitue en quelque sorte l’énergie mécanique interne de la masse fluide des océans, entretenue par de vastes variations barométriques, réparties sur des milliers de kilomètres. Grâce à leur répétition fréquente, ces oscillations peuvent fournir une puissance considérable, 35 fois plus grande Que la marée dans le port le plus favorisé de France, Granville, où la marée atteint 9 mètres ; c’est qu’il y a une vague toutes les la secondes en moyenne, contre une marée toutes les 12h25, soit 4.500 impulsions de vagues contre une seule marée.
Les « rotors » maritimes de Monaco.
Malheureusement, l’énergie des vagues est très difficile à recueillir par des moyens purement mécaniques car elle est irrégulière et brisante.
À l’Institut océanographique de Monaco, on a utilisé le « rotor de Savonius », sorte de roue à aubes qui peut être employée comme moulin à vent ; l’effet mécanique obtenu est tout juste suffisant pour pomper l’eau d’alimentation des bassins de l’aquarium. Les systèmes à flotteurs sont également encombrants, peu puissants et vulnérables à la mer.
Une solution plus pratique consiste à établir un bassin surélevé où vient s’accumuler l’eau des fortes vagues ; cette eau s’écoule à travers les turbines en retombant dans un endroit abrité. Malheureusement, ce procédé n’utilise que les « crêtes » des lames les plus élevées, en sorte qu’une énergie considérable est perdue avec toutes les vagues de moindre importance ; une critique analogue peut être adressée aux systèmes à compression d’air ou encore à clapet, genre bélier de Montgolfier, qui mettent à profit l’énergie cinétique, c’est-à-dire l’élan des marées d’eau en mouvement.
Principe du nouveau « bélier-siphon » maritime
Le bélier-siphon maritime à chambre barométrique évite tous ces inconvénients d’une manière très ingénieuse.
Imaginons, dans un bloc de béton, une vaste cavité creuse et hermétique, communiquant par un large tuyau avec la mer ; faisons le vide dans cette cavité à l’aide d’une pompe ; l’eau montera dans le réservoir jusqu’à ce que sa hauteur équilibre la pression atmosphérique, soit environ la mètres au-dessus du niveau extérieur.
Mais voici qui est fondamental ; si ce niveau extérieur vient à changer au passage d’une houle, le niveau intérieur du réservoir suivra fidèlement cette ondulation, en demeurant toujours à 10 mètres au-dessus du niveau extérieur. Il en sera de même si un coup de mer vient frapper en plein l’armature du tube : dans les deux cas, un afflux d’eau se produira dans le réservoir, cet excès d’eau retournant à l’extérieur quand la houle ou le coup de mer auront cessé leur action.
Rien ne nous empêche, maintenant, de joindre notre réservoir à la mer par un second tuyau débouchant dans un endroit abrité et de placer un clapet dans le premier tuyau. Ainsi, l’eau entrera par ce tuyau et s’écoulera par l’autre en faisant tourner des turbines. Le réservoir suffira à régulariser le flux, que l’on pourra du reste rendre plus uniforme en disposant plusieurs tuyaux d’admission débouchant en différents points du parcours des lames.
Les installations de Biarritz, dont le gros œuvre est seul terminé à l’heure actuelle, comporteront un tube d’adduction avec chambre à clapet, réservoir, logement des turbines, canal de fuite et canal de « by pass » ou de sécurité permettant d’évacuer directement l’eau en cas de très grosse mer sans passer par le réservoir.
Ce système présente l’avantage de soustraire entièrement le matériel mécanique à l’action de la mer ; il permet de construire bien au-dessus du niveau extérieur et assure un travail régulier malgré l’état de calme ou d’agitation de la mer. Par son principe, il est insensible à la marée, n’opérant que sur des différences momentanées de niveau. Enfin il ne nécessite qu’un matériel électro-mécanique de construction courante, à l’inverse des énormes roues turbines de 5 mètres de diaamètre, utilisées pour les usines marémotrices. La création et l’entretien du vide (qui ne sera du reste poussé que jusqu’à 8 ou 9 mètres de hauteur d’eau), semble ne pas devoir nécessiter plus de 10 % de la puissance totale disponible.
Je crois que ce nouveau système apporte une solution vraiment nouvelle et vraisemblablement féconde du problème de la captation de l’énergie maritime. J’ajoute que l’entreprise est financée par l’initiative privée et qu’il suffirait d’un effort modéré de la part d’une chambre de commerce ou d’un groupe financier pour lui permettre d’aboutir très rapidement.
J. Tréguières