En présence de plusieurs savants, dans son laboratoire de l’Université de California Campus, un attaché au service des recherches chimiques de l’Institut de biologie expérimentale, le jeune docteur Robert E. Cornish a récemment procédé à ’des expériences véritablement sensationnelles.
En l’obligeant à ne respirer que de l’azote, gaz inerte qui, comme l’on sait, forme les quatre cinquièmes de l’air, mais est complètement impropre à l’entretien de la vie, cet audacieux expérimentateur tua un mouton. Jusque-là, rien d’extraordinaire, mais c’est la suite qui devait l’être. Toute trace perceptible de respiration avait cessé depuis 41 minutes sur cet animal. Depuis 32 minutes, en outre, le stéthoscope, instrument simple imaginé par notre grand Laennec pour faciliter largement l’auscultation de la poitrine, et l’électrocardiographe lui-même, appareil enregistrant avec une très grande sensibilité les moindres battements du cœur, ne révélaient que l’inertie la plus absolue de cet organe chez le mouton expérimenté, asphyxié comme il vient d’être dit.
Le docteur Cornish, à ce moment, annonça à son auditoire impressionné que le cœur de cet animal mort, et mort depuis plus d’une demi-heure, allait être par lui rappelé à la vie, pendant un temps très court, il est vrai, mais néanmoins suffisant pour qu’aucun doute ne soit permis sur la réalité du phénomène.
Ce fut si suffisant que, l’essai terminé, les personnes présentes eurent l’impression qu’il ne s’en était fallu que de quelques pulsations pour ranimer ce cadavre. Le tracé enregistré par la plume de l’électrocardiographe ne laissait, en effet, pas la moindre place au doute. Le cœur auquel il était relié venait de battre, et de battre assez distinctement, quoique faiblement, pendant plusieurs dizaines de secondes avec un rythme en tous points semmblable à celui des cœurs bien vivants.
Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer, avec celles qui la surmontent, la plus basse des lignes tracées par l’appareil sur notre photographie ci-jointe. Cette ligne. inférieure est celle du cœur du mouton mort depuis une demi-heure et chacun de ses crochets correspond naturellement à un battement de ce cœur. Le jeu des quatre lignes supérieures y représente, deux par deux, les contractions et les repos des ventricules, d’une part, et, d’autre part, des oreillettes de ce même cœur vivant.
On sait, en effet, que le cœur fonctionne comme une double pompe aspirante. et foulante, appelant, dans une moitié, le sang noir du système veineux et l’expédiant se faire rénover par oxydation aux poumons et, dans l’autre moitié, aspirant ce sang remis à neuf dans les poumons et l’expulsant par l’aorte pour le distribuer dans tout l’organisme.
Le tout tient en 3 temps rythmés qu’enregistrent nettement les cardiographes, Dans le premier temps, le sang noir afflue par les veines caves dans l’oreillette droite pendant que les 4 veines pulmonaires déversent le sang rouge dans l’oreillette gauche. C’est l’aspiration. Dans le deuxième temps, ces 2 sortes de sang forcent les valves des deux soupapes qui séparent les oreillettes de leurs ventricules. L’aspiration s’achève.
Dans le troisième temps, les oreillettes sont au repos (diastole), tandis qu’au contraire, les ventricules se contractent (systole) énergiquement pour chasser le sang, à droite dans I’artère pulmonaire, à gauche dans l’aorte.
Ceci donné, on conçoit que si l’on appuie sur un cœur la membrane élastique qui forme le fond d’un tube et que, dans ce tube, se trouve une tige fine, solidaire de la membrane de caoutchouc à sa partie inférieure et du petit bras d’un levier à l’autre extrémité, chaque mouvement du cœur se traduise, amplifié, par un crochet de la plume qui termine le bout libre du grand bras de levier.
Devant cette plume, on fait-se dérouler la bande d’un rouleau de papier dont le mouvement, commandé par un dispositif d’horlogerie, est fonction du temps écoulé. Le tracé de la plume sur ce papier donne un « cardiogramme » qu’il est possible d’étudier à loisir après coup. Aux repos du cœur, ou « diastoles » correspondent des segments de ligne droite. A ses contractions, ou « systoles », correspondent des crochets d’autant plus hauts qu’elles sont plus énergiques et plus larges, qu’elles durent plus longtemps.
Dans le cas du mouton de California Campus, après une ligne droite d’une demi-heure, le cardiogramme a enregistré plus que des frémissements, de véritables battements.
La « survie » des divers organes animaux, et plus particulièrement du cœur, n’a plus rien, à notre époque, de véritablement sensationnel, puisqu’on est arrivé à en conserver pendant des mois, simplement en les maintenant dans des liquides ayant même salinité que le plasma sanguin.
L’eau contenant en dissolution 9 grammes de sel ordinaire par litre suffit, mais de préférence on utilise le liquide isotonique de Ringer-Locke comprenant, dissous dans un litre d’eau distillée, 8 à 9 grammes de chlorure de sodium (sel marin) ; 0,42g de chlorure de potassium ; 0,24g de chlorure de calcium ; 0,15g de bicarbonate de soude, et 1g de glucose.
Mais se survivre, même séparé de son organisme, n’est pas ressusciter après une demi-heure de mort complète. Et le plus fort est que ce miracle n’a pas été obtenu par le docteur Cornish à l’aide d’injections ou de bains d’un liquide semblable au plasma sanguin, mais bien, uniquement, par des moyens purement mécaniques.
Comme le montre la seconde de nos photographies, prise avec un homme comme patient, celle-ci, c’est par le jeu alterné de pressions et de dépressions qu’il y parvient. De l’air comprimé est envoyé sur le corps, au droit du cœur, bien entendu, pour provoquer une systole des ventricules, puis la détente se fait pour les mettre en diastole, et ainsi de suite. En même temps, un rythme identique envoie de l’air dans les poumons pour purifier, par son oxygène, le sang noir qui vient d’y être lancé par le’ ventricule droit mis artificiellement en systole comme il vint d’être expliqué.
Si le docteur Cornish s’est permis d’annoncer d’avance à ses auditeurs le résultat de cette expérience émouvante, c’est qu’il l’avait déjà tentée et réussie dix-sept fois au cours de ses recherches de 1933.
On est donc bien fondé à penser qu’on touche de fort près à la solution du plus grave des problèmes qui se puissent poser aux pauvres humains que nous sommes. En cas de mort accidentelle, noyade ou asphyxie, notamment, ne résultant pas de l’usure ou de la maladie d’un organisme qui, par conséquent, est intact dans toutes ses parties, il peut être espéré que, dans un avenir assez prochain maintenant, on procédera à d’indiscutables résurrections.
Notre âme interloquée n’aura plus qu’à réintégrer sa guenille.