Histoire des microscopes : Les microscopes composés

Louis Olivier, La Nature N°828 - 13 avril 1889
Samedi 13 février 2010

Suite. Voy. n- 825, du 25 mars 1889, p. 267.

Le microscope composé fut inventé vers 1589 par deux opticiens hollandais, Hans et Zacharias Janssen. C’était le père et le fils. Une circonstance toute fortuite les conduisit à remarquer que deux lentilles, convenablement éloignées l’une de l’autre donnent des petits objets une image renversée et agrandie. Malgré l’importance de cette découverte, leur instrument demeura pendant longtemps inconnu ; leurs noms mêmes furent oubliés. C’est seulement après leur mort que justice leur fut rendue, grâce à une enquête entreprise en 1655 par leurs compatriotes, consuls, échevins et conseillers de Middelhourg.

Il est cependant probable que, dès le début du dix-septième siècle, Galilée entendit parler de leur invention. Une lettre de lui, datée de 1610, nous apprend qu’il eut alors l’idée d’employer son télescope à grossir les petits objets. Il les plaçait tout près de l’oculaire et observait à travers la lentille objective. C’était bien là une manière de microscope. On s’étonne que cet appareil ait si peu attiré l’attention des contemporains. François Bacon ne le mentionne en aucun de ses écrits. Descartes lui-même n’y fait aucune allusion dans la première édition de sa Dioptrique. Vainement ai-je cherché dans les livres de ce temps quelque indication relative au microscope composé. Je n’en ai point trouvé qui fùt antérieure à 1646. A cette époque le P. Kircher y fit allusion dans un grand ouvrage qu’il publia sur l’optique. « Si, dit-il, on adapte deux lentilles semblables à un tube, on voit l’image des objets renversée, mais remarquable par la netteté et la grandeur : elle est amplifiée d’une façon incroyable… Ainsi naquit ce Smicroscope qui grossit la mouche en éléphant et la puce en chameau ; il nous fait voir, sous des dimensions appréciables, les objets qui, en raison de leur petitesse, échappent à la finesse de la vue. »

Exactement à la même époque un physicien de Florence, Francisco Fontana, et un voyageur français, Ballthazar de Monconys, décrivirent l’instrument avec plus de détails.

Fontana prétendit s’en être servi depuis 1618. Il alla même jusqu’à en revendiquer l’invention. Sa réclamation de priorité montre à quel point l’appareil était peu répandu, même parmi les savants, pendant la première moitié du dix-septième siècle. La théorie en était inconnue. Fontana lui-même l’ignorait. C’est à l’oculaire qu’il attribuait le renversement des images. Le parallèle qu’il nous a laissé du microscope et au télescope permet de reconstituer l’instrument qu’il eut entre les mains. L’oculaire et l’objectif consistaient chacun en une lentille convexe. L’objectif était situé à l’extrémité inférieure d’un tube vertical long de 4 à 5 centimètres et faisait saillie au dehors. L’oculaire, au contraire, était engagé dans le tube quelque distance de l’orifice supérieur. L’œil s’appliquait à cet orifice et voyait les objets non par transparence, mais par réflexion.

Les observations que Fontana fit, à l’aide de ce microscope, témoignent d’un très faible pouvoir amplifiant : il n’y examina guère que puces, fourmis, mouches, araignées et acariens du fromage, et ne semble avoir rien découvert de leur structure.

L’année même où parurent son livre et celui de Kircher, Balthazar de Monconys fit connaître un microscope à trois verres. Ce magistrat d’humeur vagabonde qui, par curiosité d’esprit, parcourut tour à tour, Portugal, Provence, Italie, Égypte, Syrie, Constantinople, Anatolie, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne et Espagne, s’enquérait partout des choses instructives qu’on y pouvait voir. En quelque lieu qu’il s’arrêtât, il y recherchait la société des savants. Vossius, Boyle, Willis, Viviani, Gassendi, Torricelli, Pascal, Roberval, Oldenburg et bien d’autres, penseurs, philosophes, érudits, physiciens, naturalistes ou riches amateurs de curiosités, le reçurent dans leurs cabinets de travail, au milieu de leurs livres et, de leurs instruments d’observation. Les appareils amplifiants qu’il vit entre leurs mains étaient pour la plupart de simples lentilles, si l’on en juge par la description qu’il en a donnée dans ses voyages. J’ai cependant trouvé dans une de ses lettres, datée de 1645, un passage, inconnu je crois, où, à propos d’une lentille à plusieurs verres, il expose ainsi la composition d’un microscope lui appartenant : « Le microscope ; distance de l’objet à la première lentille : 1 pouce et demi ; le focus de la première lentille : 1 pouce ; distance de la première lentille à la seconde : 15 pouces ; la seconde lentille a de focus : 2 pouces et demi ; distance de la deuxième lentille à la troisième : 1 pouce 8 lignes ; troisième lentille a de focus : 1 pouce 8 lignes ; distance de l’œil à la troisième lentille : 8 lignes ; il y a deux poincts : un qui grossit, l’autre qui distingue ».

Cette brève énumération est fort intéressante. Elle nous apprend, en effet, qu’on construisait déjà des microscopes à trois lentilles. Les deux verres les plus rapprochés constituaient sans doute une sorte d’oculaire convergent. La figure 1 représente quatre modèles attribués à Monconys : on en trouve les dessins dans un Traité du télescope écrit vers la fin du dix-septième siècle par le P. Joannes Zahn de Nuremberg. Les quatre instruments étaient verticaux et disposés pour observer les corps par réflexion. Les trois premiers étaient montés à vis. L’objet était placé sur une plate-forme circulaire. Celle-ci s’élevait pour se rapprocher de l’objectif (n°2) ou bien elle était fixe et alors c’étaient les supports du tube qui, reliés par une vis au pied de l’instrument, montaient ou s’abaissaient (n°1 et 5) pour la mise au foyer.

Cependant le microscope qui, pendant longtemps encore, fut le plus usité, se composait, suivant la description de Borel, « de deux verres convexes reliés par un tube. » Robert Hooke lui imprima le premier une modification importante. Il rendit le tube susceptible de tirage, et perfectionna aussi le système optique de l’instrument. Huyghens et Hévélius venaient d’inventer l’oculaire négatif convergent et d’en doter le télescope. Cet oculaire se compose, comme on sait, de deux verres : le plus éloigné de l’œil amène sur le verre oculaire des rayons extérieurs au champ de cette lentille. Il offre, en outre, un autre avantage, qui ne put être apprécié que plus tard, après la grande découverte de Newton sur le spectre : c’est que les aberrations de sphéricité réfrangibilité dues à sa dispersion peuvent corriger celles du verre oculaire. Les différentes couleurs, issues d’un même point de l’image réelle, ne donnent de ce point qu’une même image virtuelle, parce qu’elles se superposent dans le sens du rayon visuel. Mais ce n’est pas en raison de ce résultat que la lentille supplémentaire d’Huyghens et Hévélius fut adoptée : on ne considéra d’abord que sa propriété d’agrandir le champ des instruments : d’où le nom de verre de champ qu’on lui a donné. Hooke comprit tout de suite l’intérêt qu’il y avait à l’appliquer au microscope. En 1665, il l’y adapta. Sans doute, c’était reproduire une disposition déjà réalisée par Monconys. Mais, à l’inverse de ce dernier, Hooke se rendait compte du jeu de ses lentilles. Sauf en ce qui touchait l’achromatisme, il avait une idée très nette de la marche des rayons lumineux dans son appareil.

La figure 2 représente les instruments dont il fit usage. Le tube du modèle de droite mesurait de 6 à 7 pouces ; il était muni de quatre tiroirs qui permetttait de l’allonger énormément. A l’intérieur il était muni de trois verres : une lentille très petite formant l’objectif, un « verre de lunette plus mince » et un verre « très épais » du côté de l’oculaire. Le corps de l’instrument était susceptible d’être incliné, étant fixé par une pièce boulonnée à une tige verticale mobile sur un pied horizontal.

L’objet à examiner était placé à l’extrémité d’une tige horizontale au foyer de l’objectif. Afin de le bien éclairer, Hooke condensait à sa surface, au moyen de loupes D et C et d’un réflecteur G la flamme d’une lampe mobile sur un pied.

L’illustre physicien se servit aussi du modèle représenté en coupe au milieu de là figure 2. C’était un microscope à deux verres dont il augmentait la dispersion en y introduisant de l’eau par un orifice latéral.

Après les appareils de Hooke, les plus curieux furent les systèmes binoculaires. Il est extrêmement remarquable que longtemps avant l’invention du stéréoscope quelques personnes, en France et en Italie, aient songé à employer simultanément les deux yeux pour observer au microscope. Le fait n’est pourtant pas douteux. En 1677, le P. Chérubin d’Orléans construisit un instrument où, suivant son expression, les deux axes de la vision concouraient en un seul point de l’objet. Les corps n’y étaient pas considérés sous les mêmes angles que dans la vision normale.

Notre figure 3 représente, d’après Zahn, un microscope de ce genre construit par le chanoine Ambroise Langelmantel. Le couvercle A étant enlevé, les deux yeux pénétraient dans l’orifice supérieur. Le bord de cet orifice était échancré pour faire place au nez. Au-dessous des yeux se trouvaient deux tuyaux munis chacun d’un oculaire et d’un objectif. Dirigés sur l’objet à voir, ces tuyaux faisaient entre eux un angle très aigu. Leur commune enveloppe B se terminait inférieurement par une bague C ; bien que celle-ci fut arrondie au tour de façon à n’offrir qu’une seule ouverture, elle renfermait, en réalité, deux verres objectifs très rapprochés l’un de l’autre. La lumière qui arrivait en C se divisait immédiatement en deux faisceaux qui demeuraient indépendants. Quand tout était bien disposé, ils donnaient, au témoignage de Zahn, la sensation d’un seul objet vivement éclairé.

Bien que le phénomène stéréoscopique qui se produisait dans cet appareil ne fùt point compris [1], du moins la théorie du microscope composé commençait-elle à être assez bien connue dans ses grands traits. Hartzoeker l’a nettement exposée dans sa Dioptrique. Le P. Zahn l’a développée dans la première édition de son Œil artificiel, c’est-à-dire en 1685. Dans son édition de 1702, d’intéressantes figures représentent la marche des rayons lumineux dans les microscopes à 4 et à 5 verres. Ce cas n’était pas seulement théorique. Zahn l’avait réalisé sous la forme d’un tout petit instrument dont la monture rappelait celle ce Monconys.

On voit, par ces détails, que vers la fin du dix-septième siècle, le microscope composé avait cessé d’être rare. Il en existait de plusieurs sortes. Mais quelques différences que présentassent ces divers modèles, une disposition commune les caractérisait : c’est qu’à l’inverse des loupes on ne pouvait s’en servir que pour observer par réflexion.

Cette circonstance opposait un gros obstacle à l’emploi des forts objectifs. Le champ s’obscurcissait d’une façon considérable à mesure que la lentille frontale se rapprochait de l’objet. Quand elle en était très près, il devenait impossible de projeter une vive lumière sur la préparation. Car, en raison de l’obliquité de l’incidence, cette lumière se réfléchissait en dehors de l’objectif.

L’apparition des systèmes par transparence marqua donc un progrès considérable dans l’histoire du microscope composé. C’est Campana qui semble en avoir le premier conçu l’idée. En 1686, il construisit l’instrument que représente notre figure 4. Comme son dessin l’indique, l’appareil, placé debout sur la table, peut servir à examiner les objets opaques : débarrassé de sa monture, porté à la main et dirigé vers une partie du corps d’un blessé, sur laquelle un aide projette une vive lumière au moyen d’une chandelle et d’une loupe, il permet au chirurgien d’observer les détails de la plaie. Enfin, braqué vers le ciel, il sert à voir les objets transparents.

Filippo Buonanni, micrographe italien, s’empara de l’invention de Campana pour la perfectionner. Il créa les deux modèles de microscopes de la figure 5 où l’on voit deux tubes susceptibles de se déplacer dans le sens vertical pour assurer la mise au foyer.

Au-dessous de l’objectif, entre deux diaphragmes se place la préparation G contenant l’objet entre deux lames de verre. Le pied de l’un de ces microscopes est évidé, de façon à permettre à la lumière d’y accéder et de traverser en droite ligne la préparation et les lentilles de l’instrument.

Buonanni a construit, en outre, un grand appareil (fig. 6), caractérisé par la position horizontale du microscope et un système destiné à éclairer les objets par transparence. La préparation D, placée il quelque distance de l’objectif H, est immobile. L’objet est, au contraire, mobile et il en est de même de tout le reste du microscope : son corps peut s’allonger, car il est muni d’un soufflet, et il suffit, pour en augmenter la longueur, de le tirer sur son support. De l’autre côté de la préparation se trouve une lampe à alcool qui produit une belle flamme en E. Une grande partie de la lumière de cette flamme est concentrée par la loupe FG sur la préparation CD.

Grâce à ce système, on peut employer de très forts objectifs en B, sans cesser de voir dans l’appareil. On peut donc arriver ainsi à des grossissements considérables.

Joblot, au dix-huitième siècle, ajouta aux microscopes par transparence, le verre de champ adopté par Hooke. Il leur fit subir quelques modifications qui en rendirent le maniement plus commode (fig. 7). Mais c’est surtout Marshal, Culpefer, Scarlet et Baker qui les ont perfectionnés en les munissant, au-dessous de la préparation, d’un miroir destiné il envoyer au travers de l’objet un faisceau de lumière réfléchie. Notre figure 7 représente un de ces microscopes construit par Joblot.

Ces microscopes, avec leurs accessoires, étaient, comme presque tous les appareils de physique de ce temps, très ornés. Leur système optique valait souvent moins cher que les sculptures dont on surchargeait leurs supports. Jusqu’à la fin du dix-huitième siècle les savants s’obstinèrent à s’en servir avec de grands tirages et des objectifs à court foyer. Dans les verres ils recherchaient surtout la puissance. Afin de la porter au maximum, ils observaient très fréquemment à la lumière directe du soleil. Leur but principal était en effet d’arriver à un fort grossissement. Ils ne l’obtenaient qu’aux dépens de la netteté des images. Celles-ci n’apparaissaient que toutes déformées, confuses et irisées : c’était la conséquence de la diffraction la lumière jointe aux énormes aberrations de sphéricité et de réfrangibilité produites par les lentilles.

Euler eut le premier l’idée de corriger ces défauts.

En 1771, il indiqua dans Dioptrique une méthode pour achromatiser les objectifs. Il proposait de les faire de deux verres tels quelle aberration de l’un fût corrigées par celle de l’autre.

Ce procédé ne fut appliqué que beaucoup plus tard. Nos premiers objectifs achromatiques ne datent en effet que de 1816. On les doit à Fraunhöfer. Avec lui commença, pour le microscope composé, une ère nouvelle ; constructeurs et micrographes s’appliquèrent à le perfectionner. Bientôt les vieux instruments que nous avons décrits furent abandonnés. Il nous a paru qu’ils ne devaient pourtant pas être oubliés, puisqu’ils ont marqué une étape nécessaire dans l’histoire des inventions et des découvertes de l’esprit humain.

Louis Olivier.

[1Cet effet ne se produisait d’ailleurs qu’imparfaitement en raison du strabisme dû au mode d’observation.

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