Une source lumineuse d’étendue suffisante, comme la flamme d’une lampe ou d’un bec de gaz, donne d’un objet opaque, sur un écran placé derrière, une ombre obscure, entourée d’une pénombre d’autant plus claire à l’œil que l’intensité de la lumière est plus forte. Introduisons progressivement un deuxième objet opaque entre la source lumineuse et le premier objet ; son ombre paraît déformer et attirer à distance l’ombre du premier. L’ombre du doigt, par exemple, semble faire bourgeonner vers son extrémité l’ombre voisine d’un objet placé plus près de l’écran sur lequel se dessinent les silhouettes. Les apparences variées qu’on observe ainsi sont d’autant plus frappantes que la source lumineuse est plus intense. Elles sont très belles à observer dans les ombres données par le soleil.
L’explication se réduit à ceci : Si les dimensions de la source lumineuse diminuaient jusqu’à devenir comparables, par exemple, à celles d’un arc électrique, l’ombre du premier objet s’avancerait jusqu’aux limites de sa pénombre primitive et les contours de la silhouette seraient plus accusés, Or, le second objet introduit entre le premier et la source lumineuse masque une partie de la source supposée vue du bord du premier objet qui regarde le second. L’ombre de ce bord doit donc gagner sur la pénombre et s’étendre ainsi sur l’ombre du second objet ; l’ombre du bord doit aussi présenter un contour plus net.
L’ombre d’une tige, sous l’influence d’un système de fentes placées entre la tige et la source, obliquement à la tige, à 45° de préférence, semble brisée en une série de segments (fig. 1), qui forment parfois une sorte de torsade. Avec deux systèmes de fentes l’un derrière l’autre, inclinés de 45° l’un sur l’autre, on peut obtenir deux systèmes de torsades croisées d’un curieux effet, etc ….
On peut nettement observer ces apparences sur le verre dépoli d’une chambre noire photographique, dont on a remplacé l’objectif par un diaphragme éclairé en lumière diffuse ; à l’intérieur de la chambre noire, on dispose les deux objets l’un derrière l’autre, par exemple une aiguille à tricoter, et, plus près du verre dépoli, un système de fentes découpées dans une carte de visite. On peut alors photographier les effets d’ombres ainsi produits. Les déformations d’ombres ainsi photographiées [1] s’exagèrent quand l’augmentation de l’intensité lumineuse ou de la durée de pose font diminuer l’étendue des pénombres.
On peut obtenir une photographie semblable à celle que reproduit la figure 2, en disposant dans la chambre noire une petite couronne de carton en face du diaphragme circulaire éclairant, puis, plus près du verre dépoli, des aiguilles à tricoter maintenues parallèles à des distances convenables. Les ombres des aiguilles s’infléchissent en pénétrant obliquement dans la pénombre de la couronne assez étroite pour ne pas donner d’ombre. A l’intérieur du petit cercle de la couronne, l’ombre des aiguilles ne prolonge pas l’ombre extérieure. Il y a exception pour la tige centrale qui pénètre normalement à la couronne. L’aiguille de gauche se montre comme dédoublée dans la pénombre de la couronne ; cela tient à ce que la couronne est assez étroite pour que l’ouverture éclairante du diaphragme, supposée vue de cette partie de l’aiguille, paraisse divisée, par la partie gauche de la couronne, en deux ré"ions séparées, donnant deux ombres distinctes de l’aiguille.
Les exemples précédents suffisent à montrer ce qu’il peut y avoir d’inattendu et de varié dans les déformations qu’une ombre présente au voisinage des ombres des objets antérieurs. Tous ces effets, si complexes soient-ils, s’expliquent parfaitement par de simples considérations de rayons rectilignes et par les propriétés photométriques de la rétine ou de la plaque photographique, selon que les ombres sont observées sur un écran ou photographiées.
Les mêmes effets se produisent avec les rayons X. Mais, par une erreur bien singulière, les divers physiciens qui ont observé des apparences de ce genre dans les ombres de Röntgen les ont attribuées à des propriétés spéciales des rayons X. Or, ces phénomènes se produisent aussi avec la lumière et sont dus à la simple propagation rectiligne que les expériences les plus délicates n’ont pu jusqu’ici trouver en défaut avec les rayons X.
Il faudra donc désormais ne pas oublier que, dans une radiographie bien réussie, des déformations locales nettement accusées peuvent se produire, précisément dans les parties les plus nettes des silhouettes.
G. Sagnac, Agrégé de physique, préparateur à la Sorbonne