Voy. Les premiers microscopes, n° 171, du 9 septembre 1876, p. 236
Les verres grossissants remontent à une haute antiquité. Le dialogue de Strépsiade et de Socrate dans la comédie des Nuées témoigne de l’emploi que les Grecs savaient déjà faire de ces instruments au temps d’Aristophane, 400 ans avant notre ère.
A Rome, c’est seulement vers la fin de la République que l’attention des philosophes fut attirée sur les appareils susceptibles d’accroître la puissance de la vision. Sénèque institua dans ce but quelques expériences sur les ampoules de verre. Il connut la propriété d’une boule pleine d’eau de grossir les objets. Il remarqua même qu’on peut s’en servir pour lire les écritures fines. Mais il n’en fit, dans la pratique, aucune application importante.
De la Grèce et de Rome, ces petits appareils arrivèrent aux Alexandrins et furent plus tard recueillis, avec les autres épaves de la science païenne, par les Arabes. Le premier, au onzième siècle, un de leurs savants d’Espagne, le célèbre Al Hazen, construisit de vraies lentilles. Ses œuvres pénétrèrent dans les couvents. Deux cents ans après lui, Roger Bacon en eut connaissance. Le docteur admirable, comme on l’appelait alors, répéta les expériences de l’auteur arabe. Il étudia à la fois les effets des miroirs et ceux de la réfraction. Ses lentilles consistaient, comme celles d’Al Hazen, en segments de boules de verre. Ses compatriotes, les Anglais, lui attribuent l’invention des verres biconvexes. On ne saurait cependant affirmer qu’il ait construit les loupes proprement dites, car c’est seulement au dix-septième siècle que ces instruments semblent avoir été employés.
Au temps de Descartes, on n’en faisait aucun usage. Au contraire, les lentilles à une seule face convexe commençaient à se répandre. En raison de leur destination la plus fréquente, on les désignait sous le nom de « lunètes à puces ». Si rudimentaires qu’elles fussent encore, Descartes leur prédit pourtant de hautes destinées : « On pourra, écrivit-il en 1637, avoir par leur moyen les divers meslanges et arrangemens des petites parties dont les animaus et les plantes, et peut-être aussi les autres cors qui nous environnent sont composés, et de là tirer beaucoup d’avantage pour venir à la connaissance de leur nature. »
Mû par cet espoir, le grand philosophe s’efforça d’agrandir les images que donnent les lentilles. Il y est arrivé, « en faisant que les rayons se croysent fort loin de l’œil, par le moyen d’un tuyau plein d’eau … »
Les vraies loupes, caractérisées par deux faces convexes, sont venues ensuite. Je les trouve mentionnées pour la première fois dans un curieux ouvrage que le P. Kircher publia en 1646 [1]. Dans son Grand Art de la lumière et de l’ombre, le savant jésuite fait remarquer que « les fioles construites en boules sont propres à donner toute espèce de figures ». Il en indique l’emploi pour grossir les objets. C’est sous le nom de Smicroscopes qu’il les décrit. « On en fait, dit-il, de différentes sortes. Toute section d’une sphère de verre suffit à l’affaire. Quelques-uns se servent de deux lentilles convexes … Certains emploient de grandes sphères de verre remplies d’eau. D’autres, au contraire, par une invention nouvelle et très ingénieuse, renferment dans un tube AB (fig. 1) de très petites sphères C de verre dont le diamètre n’excède pas celui des plus petites perles, c’est-à-dire de la grandeur d’un o. Si vous placez le pied d’une puce près de la surface de la sphère, entre l’œil et la lampe, vous verrez, chose admirable, la cuisse comme celle d’un cheval ; un poil placé sur ce verre paraîtra de la grosseur d’une poutre, et, ce qui est surtout étonnant, c’est de voir comment de si énormes choses peuvent être représentées dans une sphère si petite. »
Dans le même ouvrage, Kircher donna (fig. 2) la description et le dessin d’une lanterne éclairée par une chandelle et munie d’un miroir pour « faire voir l’écriture (ordinaire) à une distance très éloignée en la rendant lisible. » L’adjonction d’un verre dioptrique au miroir accrut la puissance amplifiante de l’instrument. Tel fut, sous les noms successifs de lanterne catadioptrique, thaumaturgique, mégalographique et enfin magique, l’embryon du microscope solaire. On l’employa notamment à projeter l’image agrandie des petits animaux : « Dès qu’ils sentent la lumière ou la chaleur de la flamme, dit Zahn, c’est un spectacle admirable… On est saisi de stupeur en les regardant … Si l’on met entre deux verres un peu d’eau limpide qui renferme plusieurs vermisseaux vivants, on voit sur le mur, non sans émotion, ni vif plaisir, des serpents étonnants qui rampent. »
Cependant, malgré les belles dimensions des images obtenues par projection, dès le début on leur préféra l’observation à la loupe : les images virtuelles étaient, en effet, beaucoup plus nettes. Pour en augmenter le grossissement, les micrographes s’appliquèrent à réduire le diamètre des lentilles. On comptait alors en Europe les savants qui, pour leur usage personnel, parvenaient à en construire de très petits. Balthazar de Monconys, qui les recherchait avec soin, n’a guère cité que celles qu’il vit chez Renes, Vossius, Hudd et le chanoine Septalla, de Milan. Ces physiciens préparaient leurs verres en en faisant fondre une goutte dans la flamme d’une chandelle à l’extrémité d’une baguette de fer.
Robert Hooke usa aussi de ce procédé. Huyghens, en le suivant, arriva le premier à construire les plus petites lentilles connues. Il les interposait entre l’œil et deux morceaux de talc comprenant, l’objet à examiner. « Une très petite goutte d’eau, prise dans un verre dans lequel on aura laissé tremper du poivre deux ou trois jours, estant, dit-il, ainsi enfermée, paroist comme un estang, dans lequel on voit nager une infinité de petits poissons. »
Son compatriote Hartzoeker rendit l’observation plus commode en montant la loupe d’Huyghens dans un châssis où l’on pouvait fixer aussi l’objet à voir.
Bien que nécessitant l’admission directe des rayons solaires, ces appareils étaient assurément très remarquables. Leeuwenhoeck les porta cependant à un degré encore plus élevé de perfection. A partir de 1675, il s’acquit dans l’art de préparer les lentilles, une réputation européenne. Après sa mort, qui arriva en 1725, ses verres ont été décrits de visu par son ami, Martin Folkes, vice-président de la Société royale de Londres.
« Ces microscopes, dit Folkes étaient tous simples. Chacun consistait en un verre doublement convexe enchâssé entre deux plaques d’argent rivées ensemble et percées d’un petit trou. L’objet était fixé à une pointe, ou aiguille d’argent qui, au moyen de pivots de même métal, disposés dans ce but, était susceptible de rotation ; elle pouvait monter ou descendre, s’approcher ou s’éloigner du verre, selon la nature de l’objet, les convenances de l’examen de ses diverses parties. M. Leeuwenhoeck fixait ses objets, quand ils étaient solides, avec de la glu ; quand ils étaient fluides ou d’une nature telle qu’on ne pût bien les voir que posés sur un verre, il les plaçait d’abord sur une petite plaque de talc ou de verre d’une minceur extrême ; c’est ce verre qu’il engluait ensuite à l’aiguille de la même manière que les autres objets. [2] »
Leeuwenhoeck légua vingt-six de ses meilleures lentilles à la Société royale. Cette collection fut spoliée plus lard. Elle devait renfermer des verres d’un prix inestimable, si l’on en juge par les observations de l’auteur. Ses lentilles sont, en effet, les premières qui permirent d’apercevoir les bactéries. Ce fait semble impliquer qu’elles donnaient des grossissements de 3 à 400 diamètres.
Après le célèbre micrographe, les constructeurs de lentilles s’appliquèrent principalement à perfectionner la monture des loupes ; mais ce qui mérite surtout d’être signalé, c’est la remarquable simplification que leur fit subir un observateur, dont le nom est demeuré inconnu. Georges Christophore Eimmart, astronome de l’Observatoire de Nuremberg, rapporte qu’un voyageur « lui fit voir l’invention toute nouvelle d’un microscope sans verre » Ce petit appareil consistait (fig. 3) en une lame de cuivre terminée par un disque de même métal au centre du disque avait été pratiqué un tout petit trou. Il suffisait d’y déposer une goutte d’eau pour qu’elle s’y arrondît et pût faire fonction de lentille. Fixé à une alidade mobile, l’objet pouvait être amené en regard de la goutte d’eau et, au moyen d’une vis, mis au foyer de la loupe liquide. Ce modèle fut ensuite copié sous bien des formes. Au dix huitième siècle : il fut employé conjointement avec les lentilles de verre. On fit surtout usage d’un petit microscope, décrit par Joblot en 1718, et connu jusqu’au commencement de notre siècle sous le nom de microscope à liqueur. Deux gros tubes reliés l’un à l’autre par un anneau vissé sur eux constituaient le corps de l’instrument. Au tube supérieur était adaptée la lentille ; au-dessous d’elle le porte-objet reposait sur l’anneau mobile ; le déplacement de cet anneau permettait d’opérer la mise au foyer. Le tube inférieur portait des diaphragmes ; on le dévissait pour poser la goutte d’eau sur le porte-objet.
Wilson, en Angleterre, imagina ensuite un microscope de poche à peu près de même grandeur et disposé de façon à permettre de changer les lentilles, suivant les exigences du grossissement (fig. 4).
Enfin Baker, en 1743, fit connaître une « nouvelle invention pour fixer le microscope de poche et lui donner du jour par le moyen d’un miroir » (fig. 5). C’est la première loupe montée qui ait été faite. On ne l’a perfectionnée depuis que dans le détail, pour ce qui est de la monture. Quant aux lentilles on était obligé de n’en utiliser que la région centrale, afin de réduire les aberrations de sphéricité et de réfrangibilité. Si imparfaits que fussent ces instruments, jusqu’à la fin du dix-huitième siècle ils se sont presque toujours montrés supérieurs aux microscopes composés. En étudiant, dans un prochain article, l’origine de ces derniers appareils, et, si je puis parler ainsi, leur embryologie, nous verrons qu’au cours des deux derniers siècles ils ont beaucoup moins contribué que les loupes à la découverte du monde invisible.
Louis Olivier