Au lieu de chercher à lutter, par de débiles et inefficaces lois humaines, contre les inflexibles lois naturelles de la natalité, - les législateurs et les hommes d’état seraient bien mieux inspirés s’ils s’efforçaient de tirer un meilleur parti des résultats de la natalité, telle qu’elle se produit naturellement, et d’enrayer l’effroyable déchet qu’elle subit du fait de la mortalité des enfants en bas âge.
La tâche serait cent fois plus aisée, plus pratique, et au lieu d’échafauder des utopies sur des hypothèses, elle aurait l’avantage de se mouvoir au milieu de réalités tangibles.
La formule des partisans du peuplement intensif, s’ils étaient logiques, devrait être : puisque nous ne pouvons produire davantage, du moins conservons le peu que nous produisons.
On évitera ainsi de dire de grosses bêtises, ce qui conduit inévitablement à faire de grosses sottises.
Il est bien évident, en effet, que si la population s’accroît lentement, ce n’est pas seulement parce qu’il y a peu de naissances, - mais c’est aussi parce qu’il y a beaucoup trop de décès d’enfants en bas age.
Si l’on ne peut agir sur les naissances, on peut du moins enrayer les décès, dans une certaine mesure. Voici, en effet, quelques-unes des causes de mortalité infantile auxquelles on peut porter remède.
La première de toutes est la maladie, et sous toutes ses formes, souvent mortelles chez les jeunes enfants. Pour ce premier cas, la question est en bonne voie. Grâce au mouvement hygiénique actuel, l’assainissement des habitations et, par cela même, des villes, diminuent d’autant le nombre des maladies. De plus, il se fonde tous les jours de nouveaux dispensaires pour enfants malades, où ceux-ci reçoivent des soins éclairés, Je viens d’en visiter un, rue La Fontaine, à Auteuil, qui rend des services incalculables. D’autres, rue Jean-Lantier, rue de Crimée, et surtout l’établissement modèle de la rue d’Alésia, dû à la charité de Mme Furtado Heine, procurent des soins gratuits à des milliers de petits malades. Nous connaissons deux dispensaires semblables à Rouen, et ils tendent aujourd’hui à se répandre partout.
Voilà de la bonne lutte rationnelle contre la dépopulation, car, plus le nombre de ces établissements se multipliera, plus on pourra atténuer les désastres causés par les soins .inintelligents dont les enfants sont si souvent victimes. On ne se rend absolument pas compte, en effet, de la mortalité dans les premiers âges. On ne peut être que terrifié, lorsqu’on sait que sur les 25,500 enfants que la ville de Paris envoie annuellement en nourrice à la campagne, il en meurt plus de la moitié. Mais il y a plus fort. Les enfants laissés à la campagne par .les nourrices qui se placent dans les familles de Paris, meurent dans une proportion de 70 pour 100. Et il faut bien se dire que, lorsqu’on prend une nourrice, c’est parce qu’elle vous a présenté un nourrisson fort, bien portant, plein de vie. Si bien que voilà des enfants qui sont un produit excellent pour la population, qui ont toutes les chances possibles de vivre, si on les laisse à leur mère, et qui sont inexorablement condamnés à mort pour sauver ou quelquefois même seulement pour prolonger la vie d’êtres fort intéressants sans doute, mais qui, dans une certaine proportion, sont rachitiques, scrofuleux, et portent en eux le germe des influences organiques héréditaires.
On peut donc dire qu’une des causes de la lenteur d’accroissement de la population française, c’est l’excessive mortalité des nourrissons, mortalité qui monte, pour les grands centres, à 45 p. 100.
Le docteur Coudereau qui proposa, dès 1875, la création d’établissements spéciaux pour l’élevage des enfants, avait examiné une autre face de la question, celle qui se rapporte aux enfants nés débiles, et mourant de froid parce qu’ils ne peuvent produire eux-mêmes la chaleur qui leur est nécessaire.
« La nature, disait-il humoristiquement - qui avait voulu que la poule couvât ses œufs, qui avait cru que les petits poulets ne pourraient bien éclore que sous les ailes d’une poule, à laquelle elle a donné tout exprès pour cela un duvet chaud, et une tendresse maternelle qui fait défaut à bien des femmes, la nature avait commis une bévue ; la couveuse artificielle a prouvé que ses vœux à cet égard étaient naïfs à faire pitié ».
On ne saurait rien dire de plus philosophique, ni de plus prophétique en même temps. La couveuse humaine n’était nullement une utopie médicale et sociale.
Qui de nous, en effet, n’a visité et admiré les couveuses d’enfants. Que de vies humaines cette idée si simple a déjà conservées !
Au commencement de 1869, le docteur Coudereau disait aussi :
« Je voudrais qu’un établissement put être créé aux environs de Paris, spécialement consacré à l’éducation de la première enfance.
« Les petits enfants y seraient reçus en pension comme ils le sont plus tard dans les pensionnats consacrés à l’instruction. Dans cet établissement, les appartements devraient être distribués de façon à n’offrir aucun des dangers de l’encombrement. Il serait largement pourvu de cours et de jardins, d’ombre et de pelouses. L’air y circulerait à profusion.
« A ce pensionnat seraient annexés :
« 10 Une ferme où l’on entretiendrait constamment des animaux domestiques qui fourniraient chaque jour les aliments destinés aux enfants sevrés ou soumis dès leur naissance au régime artificiel. Des chèvres et des brebis y seraient dressées à allaiter les nourrissons, pour lesquels l’expérience aurait démontré l’utilité de ce genre d’alimentation. Des vaches, des ânesses et des juments répondraient à des indications spéciales ; une basse-cour serait peuplée de façon à fournir des œufs toujours frais.
« 20 Un laboratoire de physiologie et de chimie, largement organisé, où chaque nourrisson aurait son dossier, avec les rapports quotidiens sur sa santé, son poids, sa température, etc.
En 1875, après une ’plus longue étude, le Dr Coudereau publia un projet de fondation municipale pour l’élevage normal des enfants, avec plans et devis de l’architecte J .-B. Schaere, pour des constructions spéciales répondant à leur objet.
Par le temps de philanthropie et d’humanité qui court actuellement, - du moins dans les toasts et autres discours, - il y a lieu d’être étonné que ce projet n’ait pas encore été mis à exécution.
L’Administration des Enfants assistés a créé, en petit, rue Denfert-Rochereau, quelque chose d’analogue. Mais, ni les conditions administratives, ni la construction et la situation de cet établissement ne peuvent lui permettre de faire ce qui serait nécessaire.
Il est regrettable que nous soyons, sur ce point, dévancés par Berlin.
Dans cette ville fonctionnent actuellement trois crèches perfectionnées, qui répondent, dans une certaine mesure, à l’idéal du Dr Coudereau, et qui ont été fondées par une société de bienfaisance placée sous le haut patronage de l’impératrice Frédéric, « La Société de la crèche Berlinoise », Nos dessins se rapportent à ces crèches.
Les frais annuels d’entretien ne dépassent pas 25000 francs pour les trois établissements, mais il faudrait une centaine de ceux-ci pour répondre à tous les besoins de la grande capitale allemande.
Outre les enfants assistés à demeure dans ces établissements, ceux-ci reçoivent tous les jours, dès six heures du matin. les enfants de l’âge le plus tendre qu’apportent les mères (certains n’ont pas plus de huit jours) moyennant une redevance de 25 centimes par jour, ou un abonnement de 1 fr. 25 par semaine.
Ces enfants sont soumis à un régime hygiénique approprié à leur âge et au maintien de leur santé : bains, linge propre, chambres aérées, verandahs couvertes, régime alimentaire convenable.
Aussi la santé des enfants qui fréquentent ces établissements modèles est-elle florissante, et fait-elle désirer qu’un plus grand nombre de crèches aussi bien organisées soient mises à la disposition du public.
Comme on le voit, c’est certainement dans une organisation rationnelle et hygiénique des soins à donner à la première enfance que gît la solution du problème de la population.