L’alcoolisme et la psychothérapie suggestive

G. Wilfrid, La vie Mystérieuse n°41 — 10 septembre 1910
Mardi 4 mai 2021
Une fois n’est pas coutume, cet article ne provient pas de ce que nous appellerions, en ce début de XXIe siècle, une revue scientifique. En effet, je l’ai découvert en feuilletant La vie mystérieuse, une revue tournée vers le paranormal du début du XXe siècle, à la recherche des contes, romans et nouvelles fantastiques qui y ont été publiés.

Quoi qu’il en soit, cet approche du traitement de l’alcoolisme par l’hypnose m’a semblait montrer un intérêt.

L’alcool est un merveilleux agent de lumière et de force. Ce que nous demandons c’est qu’on en remplisse les lampes, les réservoirs des automobiles, les foyers des chaudières et qn’on ne le verse pas dans les estomacs.
Casimir Perier

L’alcoolisme est devenu un fléau social qui décime chaque jour davantage l’humanité, dégénère la race, l’abâtardit.

Oui, chaque jour l’alcool occasionne des méfaits nouveaux. Ouvrons les quotidiens et le vice effroyable se manifeste sous des formes diverses. Pour l’un c’est le crime alcoolique, pour l’autre le suicide ; pour celui-ci l’épilepsie, pour celui la la folie. Les hôpitaux regorgent de malades décimés par l’épouvantable poison, d’autant plus terrible qu’il ronge sournoisement, lentement, mais sûrement.

Les deux principaux résultats de l’usage de l’alcool sont la tuberculose et la folie. Pour l’un c’est la mort par la décomposition des organes. Pour l’autre c’est le cabanon dans un asile d’aliénés, les crises atroces du « delirium tremens ». Mais toujours impitoyablement, l’alcool tue sa victime.

Hélas ! les méfaits de l’alcool ne se bornent pas seulement à l’individu qui se livre a ce penchant funeste : ils sont héréditaires. Les alcooliques engendrent des déséquilibrés, des épileptiques, des anormaux et des tuberculeux, cela pendant sept générations !

C’est malheureusement dans la classe ouvrière que l’alcoolisme a trouvé son meilleur terrain de culture. Les mixtures abominables vendues à bon marché en sont la principale cause.

Oh ! ne craignez pas que le riche ne s’empoisonne la même chose. Il retarde l’échéance simplement.

Ce ne sont pas ni parti pris, ni snobisme qui nous font mettre en guerre contre l’alcool. Au point de vue moral c’est une chose affreuse que de voir l’homme mis par la boisson au niveau de la bête, sans conscience, ayant détruit en lui toutes les facultés raisonnantes. C’est un tableau que nous voyons trop souvent pour qu’il soit utile de le retracer. Adressons-nous donc aux expériences de laboratoire pou juger des effets de l’alcool sur l’organisme.

Si l’on fait à un cobaye une injection d’un gramme d’alcool de vin, bientôt l’altitude de ce petit animal change. Sa marche devient chancelante, il titube, ses oreilles sont animées d’un mouvement vibratoire, parfois la bave coule.

Que l’on prenne de l’alcool de pomme de terre, les effets sont plus caractérisés encore. Bientôt il tombe, il est ivre mort. Ce n’est qu’au bout d’un temps fort long qu’il revient à lui… quand il n’en meurt pas.

L’absintbe est de toutes les boissons celle dont les ravages sont les plus foudroyants. Si l’on injecte à un cobaye une dose de 300 à 400 grammes d’absinthe on constate des symptômes divers. Le corps est pris d’abord d’un tremblement, ce sont des cris plain­tifs, les yeux sont injectés de sang. Au bout d’un temps qui varie de 50 à 60 minutes l’animal succombe après une crise effrayante. Il est coutume, du reste, lorsque l’on veut conserver le sang d’un lapin, de lui faire avaler — ironie des mots — une certain e dose d’eau-de-vie. La bête s’affaisse bientôt et meurt ainsi.

Il est évident que l’on objectera qu’il n’est question là que d’expériences de laboratoire, soit. La réponse est facile ; il suffit de comparer les quantités absorbées par la bête et par l’homme. Les ravages mettront plus de temps à se faire, mais les résultats seront identiques. L’alcool agit sur le foie, le durcissant. Le buveur ressent des douleurs atroces, mais il n’y a rien à faire pour le soigner. Le foie est devenu semblable à de la cire. Le cœur et les artères subissent les mêmes ravages, ces organes ne fonctionnent plus régulièrement ; un dépôt graisseux, l’athérome, les remplit.

Quant aux bronches et poumons, constamment traversés par les émanations de l’alcool, ils deviennent un foyer de tuberculose.

L’alcool n’est pas un aliment, ses vapeurs montant au cerveau produisent une excitation passagère, à laquelle fait bientôt suite une période de lassitude. Tolstoï a dit avec juste raison : « L’alcool ne donne ni santé, ni force, ni chaleur, ni joie et ne fait que du mal. Tout homme raisonnable et bon devrait non seulement ne pas faire usage lui-même de boissons alcooliques, mais encore chercher de toutes ses forces à détourner les autres de ce poison. »

En dehors de toutes les ligues, les diverses méthodes de prévention, n’y a-t-il pas un moyen d’enrayer ce fléau toujours grandissant ? Les procédés employés pour agir directement sur l’individu ne semblent pas donner de grands résultats. Certains répulsifs ont bien été composés afin de dégoûter du breuvage l’alcoolique, mais les effets restent inefficaces.

N’existe-t-il donc rien pour guérir les malheureux qui s’adonnent à cette funeste passion ? C’est par la thérapeutique hypnotique que nous vaincrons l’ennemi. Ce qu’il faut c’est faire admettre à l’individu qu’il ne doit pas boire, c’est pendant un sommeil provoqué qu’il faut lui faire un cours de morale et ne terminer la cure que lorsque le cerveau aura non seulement accepté l’idée, mais l’aura réalisée complètement. Les cellules cérébrales ayant accepté la suggestion le malade sera guéri. C’est à notre avis le seul traitement rationnel de l’alcoolisme ; c’est dans la psychothérapie suggestive que nous devons chercher la guérison des alcooliques.

Nous avons eu l’occasion de traiter plusieurs alcooliques par ce mode de traitement et les résultats obtenus furent toujours satisfaisants. Un d’entre eux présentait cette particularité : il sentait la présence de l’alcool alors qu’un flacon en était éloigné. Si nous dissimulions dans notre poche une bouteille contenant un spiritueux quelconque, il se sentait incommodé, mal à son aise. Passait-il devant un marchand de vins ? il s’en écartait avec tant de dégoût que nous dûmes par la suggestion effacer cette sorte d’obsession.

Il est certain que nos appréciations personnelles sont de peu de poids. Mais voici la relation d’un petit travail dont la spiritueux de l’auteur fait foi et ne permet aucun doute quant à l’efficacité du traitement.

Le Dr Rybakoff de Moscou a fondé il y a quelques années une clinique spécialement destinée au traitement de l’alcoolisme par la suggestion.

Le Dr Rybakoff a fait une sélection des alcooliques, les divisant en plusieurs classes et catégories.

Ce sont : 1° Les alcooliques accidentels, ceux chez qui le vice n’est pas encore profondément ancré ; 2° Les alcooliques habituels ; 3° Les dipsomanes, soit ceux qui boivent par manie ; 4° Les formes mélangées.

Voici donc pour les classes, lesquelles sont divisées en trois catégories : 1° Les alcooliques sans prédispositions héréditaires ; 2° Les alcooliques avec prédispositions héréditaires ; 3° Les dégénérés.

Le Dr Ribakoff établit la statistique suivante [1] :

Sans prédispositions héréditaires. Avec prédispositions héréditaires. Dégénérés.
Alcooliques accidentels (58 hommes) 20 ou 34,5 % 28 ou 48,3 % 10 ou 17,2 %
Alcooliques habituels (102 hommes) 26 ou 25,5% 69 ou 67,6 % 7 ou 0,9 %
Alcooliques dipsomanes (71 hommes) 17 ou 23,9 % 37 ou 52,1 % 17 ou 23,9 %
Alcooliques formes mélangées (19 hommes). 7 ou 36,8 9 ou 47,4 3 ou 16,8 %

Comme toujours lorsqu’il s’agit d’une cure par la suggestion, le traitement est progressif. On ne doit jamais enlever une habitude brusquement ; il faut agir lentement si l’on veut que l’influence porte ses fruits.

Les alcooliques sont assez susceptibles de recevoir les bienfaits de la suggestion ; les troubles nerveux apportés dans l’organisme facilitent leur hypnotisation.

La cure morale faite par le Dr Rybakoff a lieu en séances de deux en deux jours, puis huit jours et ainsi de suite graduellement jusqu’à complète guérison. Il faut une patience extrême pour mener à bien le traitement si l’on considère que celui-ci peut durer un an et plus.

Voici du reste les résultats obtenus au moyen de la suggestion hypnotique [2] :

Il est facile par le tableau ci-dessus de conclure soi-même de l’efficacité du traitement. Naturellement les malades chez lesquels les effets de la cure seront le mieux accentués sont les alcooliques accidentels. Leur guérison peut être complète si le traitement est bien dirigé et avec persévérance. Mais quelque soit le cas la suggestion a son efficacité relative. A un degré plus ou moins absolu les guérisons ou améliorations sont toujours obtenues. On peut voir, du reste, par les statistiques ci-dessus que la moyenne des malades complètement guéris est de 45 % environ.

La suggestion est donc toute indiquée pour la guérison des alcooliques. C’est pourquoi nous avons cru intéressant de signaler cette application nouvelle de l’hypnotisme. Là, une fois encore, ce grand agent thérapeutique est appelé à donner des résultats merveilleux et rendre un immense service à l’humanité.

G . Wilfrid

[1Revue de l’Hypnotisme, septembre 1903.

[2Idem

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