La science moderne traverse, au point de vue philosophique, une phase nouvelle et curieuse. Vers les débuts du XIXe siècle, la nature paraissait simple et facile à interpréter. L’heure semblait proche où le savant réussirait à embrasser dans une vaste synthèse l’explication des phénomènes les plus compliqués de l’univers.
Cette période de confiance enthousiaste s’est lentement évanouie. Loin de se dissiper, les mystères qui enveloppent le monde s’épaississent chaque jour. Renonçant à découvrir la raison première d’un seul phénomène, le savant moderne se borne à déterminer les rapports des choses. Il ignore en quoi consiste la chaleur, l’électricité, la gravitation, la vie, et n’entrevoit aucun moyen de le savoir jamais.
Le mur que la science se reconnait impuissante à franchir actuellement, n’arrête pas certains esprits aventureux, avides d’inconnu et qu’angoisse le pourquoi de nos destinées.
Le besoin d’explication que la science ne saurait donner est, sans doute, une des causes de la diffusion actuelle du spiritisme et de l’occultisme, arts ténébreux bien voisins de l’antique sorcellerie.
Mais alors que la magie des vieux âges n’avait pour défenseurs que des illuminés ou des ignorants, la magie actuelle compte parmi ses adeptes des physiciens célèbres, des physiologistes illustres, des philosophes éminents.
Les phénomènes qu’ils proposent à notre foi sont plus merveilleux encore que ceux réalisés par tous les devins du passé.
S’il faut les croire, les morts abandonnent à volonté leurs tombeaux pour causer avec les vivants et les médiums se dédoublent. Un célèbre professeur de la Faculté de médecine de Paris assure avoir vu un guerrier casqué sortir du corps d’une jeune fille, se promener dans la salle, serrer vigoureusement la main des assistants et prouver par des expériences chimiques la perfection de ses fonctions respiratoires,
Ces convictions de quelques observateurs n’ont pas persuadé tous les savants. La plupart affirment que de tels phénomènes résultent soit de fraudes, d’ailleurs fréquemment constatées, soit d’hallucinations collectives, créées par certains médiums doués d’une grande puissance de suggestion.
La plupart de ces merveilles cessent en effet de se produire dès qu’elles sont soumises à des investigations scientifiques précises. Fantômes et matérialisations s’évanouissent alors et la conviction s’établit facilement qu’il ne s’agissait que d’illusions.
Telle est à peu près la conclusion de la commission nommée par l’Institut psychologique de Paris. Elle n’a pas reculé devant le temps ni la dépense, puisque 25000 francs ont été employés à ses recherches, et que 60 séances leur ont été consacrées, avec le concours du plus célèbre médium actuel de l’Europe.
De tous les phénomènes observés, un seul, la lévitation d’une table, lui a paru susceptible d’être retenu, mais les photographies, au moyen desquelles on a essayé de le mettre en évidence sont peu probantes.
J’ai eu, personnellement, occasion d’étudier chez moi, à plusieurs reprises, le même médium, avec l’assistance du Dr Dastre, membre de l’Académie des sciences et professeur de physiologie à la Sorbonne.
Dès les débuts de la première séance, des mains apparurent au-dessus de la tête du médium, mais nous découvrîmes vite qu’elles étaient le résultat de fraudes assez grossières.
Se sentant bien observé et nous devinant peu suggestionnables, le médium ne tenta plus de nouvelles apparitions et se borna à produire des phénomènes assez dépourvus d’intérêt.
Un doute cependant nous restait dans l’esprit, relativement à la lévitation d’une table, d’ailleurs très légère. Il était donc nécessaire d’élucider clairement ce point bien circonscrit.
Pour y arriver, je fondai avec le concours spontané du prince Roland Bonaparte, membre de l’Académie des sciences et du Dr’ Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques, un prix de 2000 francs destiné à récompenser le médium capable de soulever sans contact un objet quelconque.
L’expérience devait être faite dans des conditions qui l’eussent mise à l’abri de toute contestation. Elle aurait eu lieu au laboratoire de M. Dastre, à la Sorbonne, en présence de cinq membres de l’Académie des sciences, d’un prestidigitateur et d’un photographe chargé de reproduire par la cinématographie tous les détails de l’opération,
Ces conditions impliquaient naturellement que l’expérience fût exécutée en plein jour. Mais ce n’était pas là une objection susceptible de faire reculer les spirites, puisque le plus éminent d’entre eux, le Dr Maxwell - dont l’opinion d’ailleurs est confirmée par un occultiste réputé, M. Boirac, recteur de l’Université de Dijon- déclare que les phénomènes de lévitation se produisent très aisément à la lumière du jour.
L’article annonçant ce prix parut dans le Matin, et ma proposition fut reproduite pal’ presque tous les journaux de l’univers.
L’émoi dans le camp des spirites devint considérable. Ils m’inondèrent de lettres, de visites et aussi d’injures. Tous déclaraient d’ailleurs, à l’unanimité que rien n’était plus facile pour un médium que de déplacer un objet sans contact.
Cinq seulement, cependant, acceptèrent l’essai que je leur offrais, les assurant qu’avec une patience infinie nous répéterions les tentatives d’expérience aussi souvent qu’ils le désireraient. Malgré leur promesse aucun ne se présenta au rendez-vous.
Je ne veux pas tirer une conclusion définitive des résultats négatifs de cette épreuve. Ils prouvent nettement, en tout cas, qu’un phénomène considéré comme très simple par les spirites, est d’une réalisation tellement difficile, qu’aucun d’eux n’a osé tenter de le reproduire devant des témoins compétents.
Quant aux apparitions, aux dématérialisations, etc., mieux vaut n’en pas parler. Elles montrent seulement que la crédulité est un abîme sans fond. Le savant lui-même n’y échappe pas quand il quitte le champ de la connaissance pour pénétrer dans celui de la croyance.
Le plus sur résultat du spiritisme est d’avoir détraqué entièrement des milliers de cervelles qui n’étaient pas d’ailleurs bien solides. A ceux que ne domine pas le besoin d’une foi nouvelle, il faut donner le conseil d’abandonner aux illuminés et aux mystiques ce peuple de larves, de rêves, de fantômes, fils de la nuit et qu’une lumière suffisante dissipera toujours.