L’art de dessiner simplement

Gaston Tissandier, La Nature N°871 - 8 Février 1890
Vendredi 1er avril 2011 — Dernier ajout mercredi 31 juillet 2019

Il y a quelques semaines, nous recevions le prospectus d’une nouvelle publication formée de petits cahiers intitulés Interprétations pour dessiner simplement, par M. Victor Jacquot, à Remiremont (Vosges). Quelques spécimens des dessins publiés sur ce prospectus attirèrent notre attention et nous parurent réunir à la fois beaucoup de simplicité dans le trait, et beaucoup d’art dans le résultat obtenu. Nous écrivîmes à M. Victor Jacquot pour lui demander de prendre connaissance de sa série de cahiers ; l’auteur nous les envoya. Nous les avons examinés et nous devons déclarer que ces petits cahiers nous ont paru constituer une œuvre absolument remarquable qui charme l’élève et lui facilite singulièrement sa tâche : c’est une méthode élégante, artistique, qui a plu à tous les artistes auxquels nous l’avons montrée et que nous nous empressons de faire connaître, avec la persuasion que nous serons utile à plus d’un de nos lecteurs, grands et petits.

Voici, d’après l’exposé que l’auteur fait lui-même de sa méthode, en quoi consiste ses procédés d’enseignement.

Les Interprétations de M. Victor Jacquot indiquent à l’enfant qui n’a jamais tracé un trait comment il doit s’y prendre pour arriver du premier coup à dessiner. L’auteur a pour cela imaginé une série graduée de simples traits, dont il fait sortir les formes les plus variées au moyen d’une simplification qui supprime la difficulté d’exécution sans nuire jamais à la vérité de reproduction.

La méthode est distribuée en huit cahiers qui étudient les objets les plus divers, pris isolément ou groupés en séries. Deux de ces cahiers sont consacrés à l’application des principes de perspective et les deux derniers interprètent le paysage. Chaque page de modèles fait face à une autre page teintée où se trouvent faiblement mais exactement reproduits les tracés de chaque sujet. L’enfant les suit en les marquant d’un trait noir dans un ordre nettement déterminé et reproduit aisément des sujets qui l’intéressent, acquérant ainsi la souplesse des doigts et la mémoire des formes.

Ce genre d’études comporte peu d’explications à donner : la vue seule fait comprendre l’ordre naturel où chaque trait doit se placer. Aussi l’enfant encouragé par un succès inattendu, s’anime à ce genre de travail et y prend goût ; il retient vite les principes des figures qu’il a tracées. Ces figures sont composées autant que possible de carrés, de cercles, de triangles, d’angles, de lignes obliques et verticales, etc. Ces bases sérieuses du dessin sont présentées sous leur côté intéressant ; l’enfant retient avec plaisir et n’en est plus détourné comme il le serait par de sèches notions de nomenclature.

Il arrive souvent que les maître et les parents, faute de posséder des modèles des premiers éléments du dessin à la portée du jeune âge, n’essayent même pas de commencer cette première éducation, ils attendent un âge qui leur paraît plus opportun ; mais où ne s’acquiert plus la souplesse du doigté et où ne s’apprend plus bien l’ A B C du dessin.

La nouvelle méthode que M. Victor Jacquot présente avec confiance aux maîtres et aux parents, sera donc profitable aux plus jeunes enfants à qui elle permettra l’étude précoce du dessin. « Ils apprendront ainsi sans peine une langue que plus tard ils sauront parler sûrement, ils n’auront pas le regret de dire comme beaucoup : si seulement je savais dessiner ! Cette langue du dessin correspond sous bien des rapports à la langue parlée. L’une se sert de lettres qu’elle assemble en mots, puis en phrases pour être l’expression de la pensée. L’autre assemble ses traits en carrés, cercles, triangles, angles, mêle ces carrés, ces cercles et ces autres figures suivant des proportions établies, pour traduire un ensemble d’idées plus ou moins élevées. Et ces deux langues peuvent s’accorder et rendre le sujet même avec autant d’art, pourvu que l’étude en ait été régulière et raisonnée et qu’un certain talent, don de la nature, soit éveillé par la pratique et par l’instruction. »

C’est dans ces vues que l’auteur a imaginé ses interprétations, dont il a voulu faire un guide sûr en même temps qu’aimable pour diriger les premiers pas des jeunes dessinateurs. II donne sa méthode comme le fruit d’un long enseignement et avec la certitude de rendre un service à la cause de l’art dont il reste un fervent disciple.

Nous publions ci-contre quelques dessins de la méthode de M. Jacquot. La figure 1 donne les spécimens du premier cahier. Suivez les traits indiqués et vous serez tout étonné de la facilité avec laquelle vous dessinerez le charmant petit canard et la poule qui va picorer, et le cheval qui piaffe et le petit chien si crânement assis sur son derrière. M. Jacquot obtient ainsi toutes les attitudes du mouvement des bêtes de la campagne, des vaches et des bœufs, des moutons, des chèvres, des lapins, des chats, puis d’autres animaux, lions, ours, etc. Il n’est pas une page de ses albums qui ne soit une délicieuse sur prise pour les yeux.

Voici plus loin, dans le troisième cahier, des papillons, des perroquets (fig. 2), des paons, des éléphants, des chameaux, des pélicans. Avec le quatrième cahier nous arrivons aux attitudes de l’homme ; elles sont obtenues par des carrés et par des ovales. Tout est absolument simple et ingénieux. On en jugera par la figure 5 qui représente des petites filles dansant en rond, et d’autres qui font des révérences. M. Jacquot dessine plus loin des joueurs de boules, des saltimbanques qui sont des mieux réussis.

Les cahiers se suivent méthodiquement et progressivement ; avec la cinquième, nous apprenons la perspective, puis avec les autres le paysage.

L’auteur excelle dans ce dernier genre de dessin ; avec quelques traits, il sait rendre la nature dans toute sa vérité. La figure 4 donne un spécimen d’un des paysages les plus simples de l’album. On passe peu à peu à des sujets plus importants : il y a des vues d’ensemble d’un effet très complet, qui sont obtenus avec quelques coups de crayon ; on admire des clairs de lune estompés qui rappellent les délicieux dessins des Japonais, si habiles à bien interpréter le monde extérieur.

M. Victor Jacquot est un artiste de talent et de goût ; il a créé une nouvelle méthode d’enseignement du dessin qui nous paraît appelée à rendre de grands services et qui nous semble mériter le plus grand succès.

GASTON TISSANDIER.

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