Les étoiles filantes de novembre 1868

Wilfrid de Fonvielle, La Revue Moderne, tome 51 — 1869
Lundi 22 mai 2017 — Dernier ajout samedi 30 mars 2024

Wilfrid de Fonvielle, La Revue Moderne, tome 51 — 1869

L’apparition des étoiles filantes de novembre a été décrite il y a plusieurs années, dans la Revue moderne et dans la Revue germanique, avec tout le soin dont nous étions capables. Nous y avons joint un résumé rapide des idées que ce phénomène suggérait sur la constitution de l’univers, ,alors que personne pour ainsi dire, en France, ne comprenait l’extraordinaire importance de cette manifestation régulière des forces cachées de la nature. Depuis lors la théorie s’est développée dans le sens que nous avions eu l’honneur d’indiquer à grands traits aux lecteurs de ces deux recueils. On a compris que ces corps lumineux provenaient de la rencontre des hautes régions atmosphériques avec un essaim de petites planètes voyageant de conserve dans les régions planétaires. On a même cherché à calculer les dimensions et la situation céleste de ce courant de petits astres, et on est arrivé à des conclusions peu logiques. On n’a pas compris suffisamment encore la grandeur et la forme régulière de ce tourbillon. On lui a assigné, sans raison suffisante, une forme allongée qui le mènerait depuis les plages inférieures à la terre jusqu’à celles qui sont supérieures au monde d’Uranus, de faibles dimensions transversales et une composition irrégulière. La conséquence de ces erreurs, qu’il aurait été fort aisé d’éviter si l’on avait conçu plus nettement l’importance cosmique des globes filants, a été de faire croire que l’apparition de 1868 ne serait point visible dans notre Europe. Cependant on a veillé partout hormis en France. L’Observatoire de Paris, qui a dédaigné les avis qu’on lui a prodigués, et qui s’est endormi sur les lauriers des autres, a été le seul de tous les établissements publics à ne rien apercevoir dans cette brillante apparition, parce que les astronomes étrangers n’ont point dormi pendant ces nuits importantes,tout en estimant que les veilles seraient inutiles. Malheureusement ils n’ont point imité l’exemple que nous leur avons donné en 1867, quand nous avons organisé une expédition aérienne pour observer les météores du Lion au-dessus des nuages. Les documents qu’ils ont recueillis n’ont donc pas toute la précision de ceux que l’on aurait eus à sa disposition, si les vrais principes scientifiques eussent été suivis, et si cette initiative, recommandée par la Revue moderne, eût servi de précédent astronomique. Mais encore une fois ce n’est qu’en France que le phénomène a été comme nul et non avenu. Triste exception qui nous fait, il faut l’avouer, singulièrement peu d’honneur ! Les observations ont eu lieu en Amérique, dès le 13 novembre jusqu’au 15 novembre, à l’aide de procédés employés dans tous les observatoires, excepté dans celui de Paris. Des cartes du ciel étoilé, visible à cette époque de l’année, ont été mises à la disposition des veilleurs, qui y ont tracé rapidement au crayon la trajectoire apparente des principaux points lumineux glissant dans les espaces célestes. Des observations analogues ont été faites à Greenwich sous la direction de M. James Glaisher. Nous avons mis sous les yeux de l’Académie des sciences les cartes qu’il a dessinées pour représenter d’après nature cette apparition, et qu’il nous avait confiées à cet effet. L’apparition a commencé en Amérique le 13 novembre, temps moyen de Washington à 1 h 35. Une heure après, on comptait déjà 300 étoiles filantes. La plupart des globes lumineux qui se montraient ainsi étaient doués d’un grand éclat. Presque tous laissaient derrière eux des formes lumineuses teintes en vert, en bleu ou en rouge. La plupart étaient pourvues d’un éclat si notable qu’elles restaient visibles pendant plusieurs minutes. On en cite une qui s’est montrée dans le voisinage de la Grande-Ourse, et qui a laissé des fumées lumineuses visibles pendant plus d’une demi-heure. Ce météore n’a point été le seul qui ait été signalé. Il est analogue à celui que M. Aguilar a vu surgir de la même constellation à 2 h 33, temps moyen de l’Observatoire de Madrid. Cette magnifique apparition laissa derrière elle un nuage immense remplissant un cube atmosphérique dont le diamètre apparent était grand comme douze fois celui de la lune. Un canton de l’atmosphère de plusieurs myriamètres de rayon était rempli par les débris de poussières incandescentes provenant d’un astéroïde, que les astronomes patentés, pour ne point déranger la mécanique céleste de M. le marquis de Laplace, assimilent aux riens visibles de M. Babinet. Il est assez probable, si on fait attention aux heures que ce météore singulier, le plus important de la nuit, est le même que celui qui parut à Bahia à 1 h 30 comme un globe de feu marchant de l’est-sud-est à l’ouest-nord-ouest ; mais le vague des descriptions est d’autant plus regrettable qu’il vient s’ajouter à la différence des heures et produire une confusion complète. L’averse des météores commença plusieurs heures plus tôt qu’on ne les attendait, ce qui tient à ce que les dimensions transversales de l’anneau de corpuscules célestes traversé par la terre sont beaucoup plus grandes qu’on ne l’imaginait toujours, par respect pour la théorie de la mécanique céleste. Aux États-unis et en Angleterre, où ce respect est relatif, on avait observé le ciel, malgré l’état nuageux du temps ; à Paris, où il est absolu, les astronomes ont été se coucher pour dormir à leur aise. Que de merveilles n’auraient point échappé si l’on avait imité l’initiative que j’ai prise l’an dernier, à pareille époque, quand j’ai employé le ballon L’Entreprenant à percer le couvercle de la terre, un peu tard malheureusement, à cause d’un accident survenu dans la préparation du gaz. Presque partout les nuages ont caché la majeure partie du spectacle, qui aurait été de toute beauté dans les hautes sphères, car les météores par un ciel pur auraient eu une intensité lumineuse immense. Mon ami M. Glaisher les voyait brillants par transparence à travers un voile de vapeurs, comme autant d’éclairs ! L’immense majorité des météores provenait, comme l’année précédente, d’un point du ciel appartenant à la crinière du Lion, qui paraît être le centre d’émanation des globes. La direction générale qu’ils prenaient était le nord-est. A mesure que le phénomène se développait, la direction des trajectoires se rapprochait d’un arc de grand cercle de la sphère céleste tombant du zénith. On eût dit, suivant la description de M. Eastman, des gouttes de fer fondu qui tombaient dans la lumière naissante de l’aurore, dont les splendeurs habituelles allaient cacher promptement toutes ces flammes. L’absence de la lune, qui était nouvelle, est probablement la cause de la richesse de cette apparition, qui paraît avoir dépassé seulement, grâce à cette circonstance, l’apparition de 1868. En 1869, la lune sera presque pleine et viendra perturber l’observation du phénomène. Est-il croyable que c’est seulement cette année que les astronomes se sont aperçus de l’influence de la lune, dont ils avaient constamment omis de tenir compte, malgré les réclamations que nous avons émises dans plusieurs publications scientifiques et dans la Revue moderne. Fallait-il donc beaucoup de sens et de science pour mettre sur le compte de la présence ou de l’absence de notre satellite la plupart des irrégularités, qu’avec une négligence extraordinaire on attribuait à l’afflux des globes filants, et qui rendait l’apparition beaucoup plus mystérieuse, beaucoup plus incompréhensible encore ! On peut cependant croire que l’apparition n’a point été aussi belle, au moins en Amérique, que pendant la nuit fameuse où Olmsted avait vu passer 100 000 globes filants, car au moins, à Washington, le nombre des globes comptés n’a été qu’au taux de 2 500 par heure à l’époque du maximum. Mais les nuages, dont les Yankees eux-mêmes n’ont point compris qu’ils devaient écarter les voiles, ont apporté un modificateur inconnu d’une immense importance, l’imparfaite transparence de l’air. Le temps du maximum de l’apparition a été huit heures, temps moyen de Washington, et à ce moment les météores tombaient à la vitesse de 2 500 par heure. Pendant une heure de sa route la terre parcourt un arc de son orbe long de 216 000 kilomètres, on voit donc que la planète aurait rencontré plus d’un astéroïde par 100 kilomètres d’espace parcouru, si tous les météores avaient été visibles de la station de Washington. Comme on peut choisir à la surface de la terre 10 000 stations dont les horizons n’empiètent point les uns sur les autres, on peut rester au-dessous de la vérité en admettant que réellement le nombre des rencontres susceptibles de donner une étoile filante visible au fond de l’océan aérien, est décuple du précédent. Un météore étant rencontré à chaque 10 kilomètres de distance par la terre dans sa course, nous pouvons nous faire une idée de la multiplicité des astéroïdes dans le courant céleste qui les entraîne. Le phénomène a duré pendant plus de vingt-quatre heures, c’est un temps qui a suffi à la terre pour parcourir plus de 4 millions et demi de kilomètres, et pour rencontrer par conséquent 432 000 astéroïdes dans l’espace céleste, qu’elle a balayé, et qui n’est qu’une section bien faible de l’anneau complet. Si l’anneau est centré autour du soleil, comme tout porte à le croire, son développement en longueur est 400 fois plus grande environ, de sorte que le nombre des globes qu’il renferme est infiniment supérieur, car on découperait dans cet anneau plus de 100 000 tranches plates parallèles à celle dans laquelle la terre a tracé un sillon d’un jour ! Mais si la section est à peu près circulaire, on découperait dans l’anneau total 10 000 anneaux plats pareils à celui que nous venons d’explorer. Le nombre total des globes contenus dans le grand courant céleste serait 432 000 000 000 000 de globes ! Si chacun d’eux avait le volume d’une sphère d’un kilomètre de rayon, le volume total serait 1 000 fois plus grand que celui de la terre. Il serait prématuré de chercher à déterminer numériquement leurs volumes et leurs masses qui sont certainement beaucoup moindres, mais qu’il est absurde de réduire, comme on l’a fait ridiculement jusqu’à ce jour, à quelques grammes de matière ; mais on conçoit qu’on y puisse arriver par des observations et des expériences exécutées dans les hautes régions atmosphériques, dont l’accès nous est donné par les aérostats, et où les astronomes les plus solidement attachés au plancher des académies finiront par se lancer eux-mêmes. Wilfrid de Fonvielle

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