La maison chinoise, généralement peinte ou laquée sur tous ses murs et cloisons, tant intérieurs qu’extérieurs, est édifiée sur des colonnes de bois dur posées directement au-dessus de pierres plates émergeant du sol, sans chapiteaux, qui, traversées par des poutres, supportent le toit.
Les murailles sont faites de briques séchées au soleil et naturelles ou cuites et vernissées ; les cloisons intérieures sont en bois et pour la plupart mobiles, de telle sorte que la disposition des pièces peut varier au gré de l’habitant.
La toiture est la partie de l’édifice qui, avec la porte d’entrée, caractérise — extériorise pour ainsi dire — la situation sociale du propriétaire.
C’est ainsi que les tuiles demi-cylindriques et le plus souvent de porcelaine — parfois dorée — qui la revêtent, sont jaunes sur les édifices impériaux, rouges sur les habitations des mandarins, bleues sur les pagodes, vertes sur les forteresses et grises sur les autres maisons.
La toiture est ornée, soit de clochettes, soit d’animaux en faïence, tels que dragons, paons, phénix, ibis, richement coloriés.
Le faîte est surmonté de longs serpents sinueux, semblant courir sur le sommet, la tête aux extrémités du toit, gueule ouverte, tenant une boule rouge ou dirigés vers le centre de l’édifice et prêts à happer une sphère qui y est fixée, cerclée de flammes.
Ce sont les dragons de la nuit cherchant à dévorer le soleil : mythe de l’éclipse solaire.
De forme convexe, le toit se termine par des bords fortement recourbés, de telle sorte que la construction affecte une forme pyramidale.
Cette forme pyramidale est la caractéristique de l’architecture chinoise. On a cru voir, dans cette disposition, le souvenir de la tente, asile mobile des peuples pasteurs dont les Chinois sont issus.
L’ensemble de l’édifice chinois est des plus attrayants : il n’a pas, à proprement parler, quel que soit le soin apporté à sa construction, de majesté architecturale, mais une grâce incomparable, surgie des Lons vifs et harmonieux des matériaux, des lignes capricieuses et surtout d’une admirable science d’adaptation au milieu.
Dans un paysage, essentiellement mouvementé, dont les collines touffues abritent des sources jaillissantes et dont les vallées, fourrées de plantes variées, sont sillonnées de rivières au cours sinueux et coupées de lacs minuscules, les maisons chinoises avec leurs pavillons multiples, coquets et légers, vus dans une perspective lointaine, éveillent l’idée de délicieux bibelots d’ivoire, de corail, de jade ou de pierres précieuses savamment ornées et ciselées, qui seraient disposés par un artiste habile dans une corbeille de fleurs.
Le Jardin-Splendide (Hiouen-Ming-Hiouen), résidence de la Cour, donne cette impression.
Pour connaître la grâce merveilleuse de l’art chinois, il faut avoir vu sur une éminence, le plus souvent artificielle, émerger d’un bois de sapins ou de hêtres, une tour hexagonale de porcelaine, à couleurs fondues vertes, jaunes, rouges, et blanches, peuplée de statues, divisée en étages de nombre toujours impair, que surmontent des toitures en miniature, diminuant de diamètre, à mesure qu’ils sont plus éloignés du sol, ornée de galeries extérieures avec balustrades en dentelles de porcelaine ; il faut avoir vu ce bijou d’architecture, illuminé par des lanternes aux formes fantastiques et, dans le silence de la nuit,. avoir entendu, sous la brise qui les agite, sonner, en un carillon mille fois varié, leurs clochettes argentines.
Ces Taa, comme on les appelle en Chine, dont le plus célèbre est la tour de Nan-Kin, édifiée au IIIe siècle de notre ère, sont des merveilles comparables aux monuments les plus réputés de l’Occident.
La maison chinoise d’habitation, évidemment plus modeste — quelle que soit la situation de son propriétaire, — est édifiée avec le même souci d’obtenir un aspect riant et gracieux.
Les moindres corniches, les plus petits entablements sont l’objet d’ornementations les plus inattendues.
Sur la rue, l’édifice n’a pas d’autre ouverture que la porte d’entrée ; mais cette porte, par sa forme, ses dimensions, ses ornements, est variée à l’infini.
Pour les habitations communes, la porte de bois est plus ou moins sculptée, plus ou moins décorée ; elle continue cependant d’ordinaire et reproduit l’ornementation du toit. Parfois, la baie demeure ouverte et un écran ou une natte cachent seuls aux regards indiscrets l’intérieur de l’édifice.
Pour les Yamen, comme on nomme les maisons des mandarins disposant d’un sceau officiel, magistrats ou gouverneurs, l’huis est en forme de circonférence, assez large pour laisser passer deux litières de front. Les côtés en sont laqués, avec incrustations de nacre, d’or ou d’argent et inscriptions philosophiques, comme celle-ci : « La vraie sagesse consiste à ne jamais rien espérer. »
A une sorte de potence qui ne sert jamais à aucun supplice, est suspendu un gong, sur lequel tout Chinois a le droit de frapper, de nuit ou de jour, pour demander justice ou protection.
Sur le marbre dont le sol du vestibule est recouvert, sont disposés des lions en bronze, des paons ou des phénix en faïence et des dragons de pierre, emblèmes de l’autorité, de l’esprit et de la supériorité intellectuelle.
Il ne faut pas oublier, en effet, que le gouvernement chinois, purement civil, est fondé sur le principe du conn. cours ouvert à tout candidat, sans distinction d’origine, et que les mandarins ne sont que des lettrés, dont la fonction publique est la récompense.
L’appartement privé, dont les dimensions et la richesse sont fixées par les Rites, selon la condition sociale du propriétaire, est élevé sur la terre de quelques centimètres. Son sol est fait d’argile battue ou durcie pour les maisons ordinaires, de granit ou de marbre pour les habitations mandarines. Il se compose généralement de trois corps de logis, le bâtiment central étant réservé au maître, l’une des ailes à ses femmes, l’autre à ses domestiques.
Les pièces diverses ouvrent, toutes, sur une sorte d’atrium. Les-murs en sont recouverts de boiseries précieuses, sculptées ou laquées, de soieries, d’ors et de marbres. Le long des galeries qui entourent la cour intérieure sont suspendues des bandes d’étoffes, en forme de kimono japonais, ou des plaques de bois, avec incrustations d’or ou de nacre, sur lesquelles sont reproduites des sentences philosophiques dans ce genre :
« La vie est un rêve qui ne se réalise jamais. » ou des vers comme ceux-ci, du poète Tou-Phou :
Mon bateau glisse sur l’eau et dans l’eau, je vois le ciel.Quand un nuage passe dans le ciel, je le vois dans l’eau.Alors, je pense que ma bien-aimée se reflète ainsi dans mon cœur.
Le meuble principal des chambres est une sorte de divan en pierre ou marbre, avec coussins de coton ou de soie, sous lequel on entretient un feu très doux de charbon de bois pendant l’hiver, et qui, la nuit, surmonté de rideaux, sert de lit.
Les fenêtres, toutes intérieures, sont closes par du papier huilé pour les maisons ordinaires ou par des pierres spéculaires pour les habitations des gens de qualité.
Le chauffage des appartements se fait à l’aide de brasiers ou de réchauds, imprégnés d’essences aromatiques ou alimentés de bûchettes de bois odorant comme l’eucalyptus et le santal.
La pièce principale est celle qui occupe le milieu de l’édifice central : c’est la plus grande. Elle ouvre directement sur le vestibule qui mène à la porte extérieure. Elle sert de salon de réception et de chapelle.
C’est là que se trouvent les. autels domestiques et la plaque patronymique qui symbolise la famille ; c’est là que se font les cérémonies rituelles aux ancêtres et que sont jurés par le tribunal familial, dans le plus grand secret, les parents coupables de fautes contre l’idée de famille ou d’avoir, par un acte public scandaleux, porté une atteinte personnelle à l’honneur du nom ; c’est là que sont fêtés, encensés, parfumés, les parents dont l’intelligence ou le travail ont, au contraire, élevé la condition.
En dehors des ornementations murales générales, — panneaux sculptés ou laqués, peintures artistiques, kimonos philosophiques ou pieux — des autels domestiques en soies rouges et du tabernacle des ancêtres, or et blanc, la salle ne comporte d’autres meubles qu’un lit de camp de bois dur, soigneusement poli, placé en son centre, recouvert de nattes de jonc, durant l’été, de matelas de soie, pendant l’hiver, et de fauteuils sculptés revêtus de nacre ou de marbre.
Sur le lit de camp, un appareil de fumeur d’opium, des tasses à thé prêtes à recevoir la boisson, conservée chaude dans une théière de rotin capitonnée, des cigarettes minces et longues, en fuseaux, confectionnées par les femmes, et dans une boite de laque rouge, ornée de dessins dorés, divisée en compartiments concentriques, des fruits confits de toutes sortes où domine le cédrat et la pastèque rose.
De l’atrium et jusqu’à une distance plus ou moins grande, suivant la richesse du propriétaire de l’habitation s’étendent des jardins entretenus avec un soin minutieux, où se donne carrière l’art qui consiste à torturer les plantes ; comme les pieds des Chinoises de qualité, pour leur donner des formes aussi inattendues qu’anormales.
Ce ne sont, en feuillages ou en fleurs diverses, que vases, tourelles, statues, édifices minuscules, jonques frêles, oiseaux légers, lions frissonnant au vent, dragons s’agitant sous la brise.
Allées ombreuses, aux lignes essentiellement sinueuses, bosquets mystérieux, rochers à figurines grimaçantes, grottes humides, ruisseaux cristallins, lacs capricieux de formes, pavillons coquets, se rencontrent dans ces jardins, petites merveilles de grâce quelque peu mystique.
Le poète Li-Tai-Pé, en a chanté les charmes dans une pièce de vers, très connue en Chine, dont voici le sens : « Au cœur de l’étang, qu’enchâsse la verdure, appairait, semblable à un bouton de nénuphar, un pavillon de porcelaine blanche.
« On y accède par un petit pont de jade sculptée, arrondi comme le dos d’un tigre aux aguets.
« Là, des amis, vêtus de costumes. aux couleurs vives, sont réunis autour d’une table laquée, chargée de tasses qu’ils emplissent de thé parfumé et de boissons fermentées.
« Ils se livrent à des joutes d’esprit ou composent des poèmes, agités par l’inspiration, rejetant leurs toques en arrière et relevant leurs larges manches de forme pagode dans des gestes de déclamation.
« Et sur l’eau de l’étang où le pont de jade, réfléchi, prend la forme d’un croissant, on voit des gens vêtus de costumes aux couleurs vives, buvant, la tête en bas, au milieu d’un pavillon de porcelaine, semblable à un bouton de nénuphar. »
A côté de ces demeures somptueuses, dans les faubourgs des villes et les agglomérations rurales, se pressent, comme des moutons apeurés, les maisons de chaume et de palmes sèches des gens du peuple, paillottes sans caractère ni confort, modestes abris contre les intempéries où, pèle-mêle, mangent et couchent hommes, femmes et enfants.
Le genre est le même que dans nos pays d’Occident ; c’est le style du pauvre, avec son cachet qui ne varie pas : celui de la misère.
Paul d’Enjoy