On a commencé, dès les premiers jours de décembre, les travaux préliminaires pour l’exécution de la gigantesque tâche à accomplir. C’est aux Champs-Élysées, sur le Cours-la-Reine, que le premier chantier a été ouvert. On sait que les pouvoirs publics, d’accord avec les désirs de la population, ont pris leurs dispositions pour que la splendide promenade parisienne et ses alentours ne soient pas encombrés par le charroi nécessaire à l’édification des palais monumentaux qui borderont l’entrée d’honneur de l’Exposition de 1900. Il s’agit d’abord de démolir une construction importante, celle du Palais des Champs-Élysées, d’évacuer les matériaux de démolition ; cela fait, on devra emporter au loin les terres enlevées des fouilles, puis amener à pied d’œuvre les milliers de mètres cubes de pierres de taille, moellons et meulières ; les cailloux pour le béton, le sable pour les mortiers, la chaux, le plâtre ; les immenses charpentes métalliques. On se fait une idée de la quantité de tombereaux et de fardiers mobilisés pour l’exécution de travaux de cette dimension, alors que le temps est limité et qu’il faudra bientôt travailler jour et nuit.
Les voies carrossables n’eussent pas résisté longtemps à une circulation semblable, et l’on pourrait craindre de voir les Champs-Élysées, le Cours-la-Reine, et les débouchés avoisinants, y compris la place de la Concorde, transformés en un bourbier sans nom. Qu’on se rappelle l’état du sol de l’Exposition de 1889 quelques jours avant son achèvement. On a donc résolu de percer une tranchée, avec tunnel ; partant du quai inférieur du fleuve, et aboutissant au chantier des travaux. Le sol de cette voie se prolongera sur la Seine, au moyen d’une estacade où viendront aborder les bateaux chargés de matériaux. Des voies ferrées installées sur les bas quais, se raccorderont avec les rails de la tranchée. Tout entrera et sortira par là, sans que les promeneurs soient gênés en rien. Les chantiers eux-mêmes, ne seront pas entourés de ces palissades en planches brutes sur lesquelles la publicité se hâte d’appliquer des affiches aux couleurs voyantes. La clôture est faite en planches jointives, peintes en vert clair, sur laquelle s’applique un second revêtement, en forme de treillage artistique peint en vert plus foncé. Les jardiniers de la ville de Paris auront soin de garnir le pied de ces palissades d’arbustes à feuillages persistants, et d’agrémenter les lignes rigides des treillages de plantes grimpantes. Cette clôture est actuellement posée.
Notre gravure représente l’entaille faite dans la muraille de soutènement du Cours-la-Reine et la vue est prise tout à fait au commencement des travaux, alors que l’équipe employée comptait une soixantaine d’ouvriers seulement, mais depuis les travaux ont marché, et la tranchée du Cours-la-Reine a été ouverte de l’autre côté de la voie des tramways, pendant qu’on étayait les conduites d’eau mises à découvert par la fouille. Les charpentiers ont commencé à battre les pieux et pilotis destinés à porter l’estacade d’abordage. Les fondations des murs du bas port et de la tête du tunnel sont achevées, et l’on espère avoir établi la voie d’accès avant que les gelées n’arrêtent la maçonnerie.
La difficulté s’accroît pour les travailleurs de ce que la circulation des tramways sur le Cours-la-Reine est respectée, On déplacera la voie ferrée actuelle de quelques mètres, pour la poser sur la partie d’avancée au tunnel, lorsque celle-ci sera suffisamment solide, et l’on poussera plus loin si la température le permet, c’est-à-dire si la gelée ne vient pas arrêter la fourmilière actuellement en mouvement.
Paul Jorde