Par les temps qui courent, il est presque imprudent de parler d’hélicoptères ; c’est un système condamné par la plupart des techniciens de l’aviation, convaincu que le plus lourd que l’air ne peut être solutionné que par les aéroplanes, Pourquoi ? Bien certainement parce qu’il est beaucoup plus facile de construire un planeur qu’un hélicoptère, Notez que les premiers appareils de navigation aérienne furent des hélicoptères. En 1784 Lannoy et Bienvenu en présentèrent un modèle mù par un ressort ; vers 1849 Philipps, Marc Séguin, Babinet, construisirent plusieurs jouet, démonstratifs ; Ponton d’Amécourt (1863), Penaud (1870) « continuèrent brillamment la série ) dit, avec quelque ironie, le capitaine Ferber. Cependant le colonel Renard n’a-t-il pas affirmé à l’Académie des sciences que, lorsque le poids du moteur pourrait être réduit à 2 kg par cheval, la solution serait possible ? D’ailleurs, les partisans des hélicoptères n’ont pas encore dit leur dernier mot, et les expériences des frères Dufaux, à Genève ct à Paris, du colonel Renard lui-même, de M, Léger, ct enfin celles toutes récentes de M, Paul Cornu, nous invitent à prendre en considération les travaux que l’on signale dans ce sens.
L’organe essentiel de l’hélicoptère est l’hélice, la question du moteur étant, dit-on, sur le point d’être tranchée, Quelles conditions doit remplir l’hélice ? C’est à peu près uniquement à résoudre ce problème que s’est attaché M, Cornu pendant trois années consécutives ; on peut donc admettre que l’auteur a acquis une certaine compétence en la matière et il nous semble intéressant d’exposer ses idées personnelles.
Le colonel Renard indique que, pour soulever un poids important, il faut attaquer une grande surface d’air, avec, par conséquent, de grandes hélices (6 mètres de diamètre). Si la construction de ces hélices était parfaite, la théorie pourrait être confirmée par la pratique, mais leur établissement présente de grandes difficultés qui sont la cause principale d’un rendement défectueux, Leur poids et leur volume constituent aussi un réel inconvénient ; ensuite il est presque impossible de construire deux ailes absolument semblables, condition cependant indispensable pour obtenir l’équilibre parfait. Ces ailes étant généralement faites d’une carcasse en tubes tendue d’étoffe de soie, les tubes ne peuvent être complètement aplatis et ils offrent une grande résistance à la pénétration dans l’air. De plus, l’étoffe n’est jamais également tendue sur les deux ailes qui, en marche, prennent alors des courbures différentes ; il se forme des poches tout à fait funestes au rendement. Autre défaut, inhérent celle fois au dispositif adopté par M. Cornu, et relatif à l’entraînement : ces hélices, étant actionnées par l’intermédiaire d’une courroie qui entre en vibration, prennent leur part de ces vibrations ; dès que l’effort sur la courroie devient important, les ailes sc déforment par suite des différences de force ascensionnelle répartie sur chaque section de surface ; la soie prend une courbure exagérée et absorbe la plus grande partie du travail utile ; le rendement, qui est parfait à une faible vitesse, devient alors défectueux lorsque le nombre de tours augmente.
Il y aurait donc grand intérêt à ’posséder des hélices rigides, de pénétration facile, parfaitement symétriques ct bien polies. Ces conditions sont réalisables avec des hélices de faibles dimensions comme celles des aéroplanes, mais alors la théorie émise par le colonel Benard n’est plus applicable. Il est vrai que pour soulever un poids important, il ne suffit pas d’attaquer une grande surface d’air ; il faut plutôt, dit M. Paul Cornu, se préoccuper du cube de l’ail’ sur lequel l’hélice prend son point d’appui dans un temps donné, et cc cube est obtenu en multipliant la surface du cercle décrit par l’hélice par le pas ct le nombre de tours ; il s’agit donc, en somme, de considérer le cylindre d’air refoulé par l’hélice. Dans ces conditions, plus le volume d’air (le poids) sera impotent, meilleur deviendra le point d’appui. Dès lors, il n’est plus indispensable d’opérer avec des hélices de très grand diamètre ; de petites hélices tournant rapidement apporteront un résultat identique ; cependant la vitesse restera toujours relativement modérée, sans quoi le phénomène du vide se produirait et annulerait la résistance du point d’appui. Une telle crainte ne doit pas être exagérée, car si l’air fuit facilement sous les ailes, il se renouvelle également avec une grande rapidité. Les petites hélices bénéficient encore de l’avantage que leur procure leur faible poids et leur peu d’encombrement.
D’autre part, les tourbillons provoqués par les courbures exagérées des ailes ne sont d’aucune utilité pour assurer la sustentation, le seul point d’appui sérieux sur lequel on peut compter étant l’inertie de l’air ; il y a donc intérêt à attaquer, dans un temps donné, le plus grand volume et par conséquent le plus grand .poids d’air possible dans le minimum de temps ; il importe de saisir l’élément gazeux brutalement et d’utiliser sa masse avant qu’il ait eu le, temps de se dérober ; si les hélices tournent lentement leur appui aura le temps de fuir avant d’être utile et, quelle que soit la surface des ailes, le rendement sera nul. En résumé, les hélices des hélicoptères doivent être indéformables, tranchantes, parfaitement polies et animées d’une vitesse suffisante.
L’hélicoptère construit par M. Paul Cornu ne bénéficie pas encore de ces, études, qui n’ont pu être effectuées qu’à la suite d’expériences récentes auxquelles il a été soumis. Pour cette raison il devient très intéressant, d’autant plus que les résultats ont montré la possibilité du soulèvement d’un poids très élevé, même avec des hélices de grand diaamètre, par conséquent peu efficaces. L’appareil est le deuxième modèle construit par l’inventeur ; il aura servi à l’étude et à la mise au point du modèle définitif qui sortira peut-être cette année.
Cette machine comprend un bâti en V très ouvert formé d’un gros tube central de (90 millimètres de diamètre supportant six étoiles également en tubes d’acier armées par des câbles donnant à cette ossature métallique une rigidité absolue. La carcasse, portée par quatre roues, est longue de 6,50 m. et son poids atteint 50 kg. Au centre ont été pincés le siège du pilote et le moteur Antoinette de 24 chevaux ; cc dernier actionne, par une courroie plate de 22 mètres de longueur et 10 centimètres de largeur, Jeux hélices à deux branches de () mètres de diamètre fixées horizontalement aux extrémités du bâti. A la portée de l’aviateur se trouve un tendeur enrouleur constituant le système d’embrayage et, à droite, la manette d’avance à l’allumage. Le bâti est surmonté d’une tablette en aluminium, soutenue par quatre tubes, sur laquelle sont fixées les deux poulies de renvoi et les poulies-guides. Vers le tiers avant du châssis est placé le réservoir d’eau d’une contenance de 12 litres et à l’arrière celui d’essence, de 7 litres ; sous le siège du pilote sont les accumulateurs, la bobine et le réservoir d’huile.
Chaque hélice est montée sur une poulie en tôle d’acier fondu dé 1 millimètre d’épaisseur, 10 centimètres de large et 1,80 m. de diamètre. Les poulies, dont les rayons sont tangents sur des moyeux d’aluminium, ne servent pas seulement à la transmission ; elles forment le corps principal des hélices dont le pas est réglable. Les ailes sont constituées pal’ un cadre en tubes d’acier aplatis reposant sur le bord supérieur des poulies pal’ l’intermédiaire de plaquettes d’aluminium permettant le réglage du pas. Ce cadre se prolonge par un tube unique fixé au moyeu par une oreille légèrement excentrée. Enfin le cadre est garni d’une étoffe de soie caoutchoutée fortement tendue ; sa longueur est de 1,80 m. et sa largeur de 0,90 m. La résistance propre de ces ailes sur l’air, relativement faible, est inférieure au poids qu’elles sont chargées de soulever ; on n’est parvenu à établir l’équilibre entre le soulèvement de chaque aile et la force centrifuge qu’en relevant ces ailes ’et en les surchargeant d’une feuille de plomb placée vers les 2/3 de la longueur en partant du centre. La force centrifuge qui est donc fonction du poids de l’aile ainsi surchargée et de la vitesse, tend à écarter chaque aile du centre de rotation ct par conséquent à l’abaisser ; mais, d’autre part, la réaction de l’air tend à la relever : les forces s’équilibrent. Cependant deux câbles ont été fixés à la partie supérieure des hélices et annulent l’excès de force centrifuge qui, intentionnellement, est maintenue un peu supérieure à celle de soulèvement afin de communiquer à l’hélice une rigidité suffisante.
Ajoutons enfin que le cadre des ailes est relié à la ’ poulie par des câbles d’entraînement ; celui-ci s’effectue donc, non pas par les deux points d’attache, mais par la masse même de chaque aile. La tension de ces câbles, qui est réglable, combinée avec la rotation du pied des ailes, permet la variation du pas. Une hélice complète pèse 245 kg.
Dans tout appareil de ce genre, les hélices n’ont en général d’autres fonctions que de permettre l’enlèvement ; la propulsion et la direction doivent être assurées par des dispositifs indépendants. Ici il en est de même, seulement l’inventeur, à la suite d’une observation très judicieuse, a songé à utiliser le remous, le tourbillon d’air créé par les hélices en marche, pour obtenir la propulsion. A cet effet, deux plans d’étoffe tendue sur des cadres en tubes aplatis de 2,50 m. de longueur et 0,60 m. de largeur maximum, sont placés verticalement sous les hélices ; ils peuvent pivoter autour d’un axe horizontal passant par leur milieu et sont montés sur deux supports articulés, d’une part, à chaque extrémité de l’axe horizontal et, d’autre part, autour du prolongement des axes des hélices. L’inclinaison de ces plans sur l’horizontale et leur déplacement latéral sont commandés par deux leviers placés à la portée de l’aviateur et par l’intermédiaire de transmission Bowden.
La propulsion est alors obtenue par la réaction de l’air refoulé par les hélices sustentatrices sur les plans dont l’inclinaison variable détermine les variations de vitesse, le déplacement latéral de ces mêmes plans apporte la direction. Ces surfaces sont donc à la fois directrices et propulsives. Cette ingénieuse combinaison permet, ainsi (lue nous l’avons dit plus haut, l’utilisation de la force issue du volume d’air refoulé par les hélices et en même temps d’employer la puissance totale du moteur à actionner les hélices sustentatrices.
Les trois cents expériences auxquelles a été soumis cet appareil ont eu raison de sa constitution, ce qui ne peut nous surprendre ; mais le mauvais rendement de la courroie de transmission qui s’est constamment refusée à transmettre plus de la moitié de la puissance du moteur (15 chevaux sur 24) sans patinage en a diminué les qualités. Néanmoins ces essais ont permis d’établir les données nécessaires à la construction d’un appareil basé sur le même principe et qui sera beaucoup plus petit et plus simple.
L’expérience la plus intéressante eut lieu le 15 novembre dernier ; l’hélicoptère se souleva à 1,50 m. du sol, emportant l’aviateur et son frère qui s’était suspendu au bâti en voyant la machine s’élever brusquement. Le poids entraîné fut de 528 kg. Puis suivirent une quinzaine d’ascensions au cours desquelles les mesures purent être effectuées. Avec une surface portante de 6 mètres carrés, représentée par la surface totale des ailes des deux hélices, la courroie transmettant seulement 15chevaux, le poids soulevé étant toujours de 260 kg,on obtient 20 kg par cheval et 45 kg par mètre carré, les hélices tournant à 90 tours par minute, Les plans de propulsion ont fourni une poussée de 15 kg et donné une vitesse de J 2 km à l’heure, les hélices tournant à 70 tours seulement ; ces plans absorbaient une force ascensionnelle de 7 kg par suite de la réaction verticale de l’air refoulé sur leur surface. Il est utile d’observer, en effet, que l’utilisation extrêmement intéressante du tourbillon créé par les hélices en vue de propulser l’appareil tend en même temps à limiter sa puissance ascensionnelle ; mais comme il n’est pas nécessaire de s’enlever à une vitesse excessive, cette action négative peut très bien être négligée tout au moins en l’état actuel de la question .
De ces essais, l’inventeur a conclu qu’il n’est pas nécessaire de construire des appareils très grands pour enlever un homme ; un hélicoptère possédant des hélices de 5 mètres de diamètre sera largement suffisant avec un moteur de 24 chevaux. La machine volante se trouve alors réduite à des dimensions très raisonnables d’une vingtaine de mètres carrés d’encombrement.
Nous sommes donc en présence, actuellement, de deux systèmes d’appareils d’aviation capables de solutionner le problème du plus lourd que l’air : l’aéroplane et l’hélicoptère. Le premier bénéficie sur le deuxième de l’avantage de la plus grande simplicité théorique et aussi, malgré tout, de la sécurité relative puisque, en cas d’arrêt du moteur, ses plans lui permettront toujours d’atterrir doucement à la condition que la stabilité soit acquise, tandis que l’hélicoptère dont le moteur. aurait une panne serait brutalement précipité sur le sol. L’aéroplane bénéficie surtout de la vogue et ses conditions d’enlèvement sont beaucoup moins ardues à déterminer que celles de l’hélicoptère, système théoriquement fort compliqué et à l’étude duquel peu de chercheurs osent se risquer. Ne serait-il pas cependant la machine volante idéale, si l’on parvenait à construire un moteur exempt de pannes, grâce à ses faibles dimensions, à sa possibilité d’atterrir n’importe où et de s’élancer de partout.
Ne soyons pas exclusifs puisque les deux systèmes ont du bon ; envisageons, ainsi que nous l’avons fait déjà, le mariage des deux écoles pour concevoir un appareil mixte qui remplira toutes les conditions exigées. Mais que de mariages, dans la navigation aérienne, s’opèrent déjà !Bientôt de toutes ces unions libres naîtront des descendants hybrides à tel point que les parents ne reconnaîtront plus leurs enfants !
Lucien Fournier