Les récits de plusieurs témoins différents qui affirment avoir vu de leurs yeux des « Sasquatch », ces êtres humains extraordinaires dont on a signalé l’existence depuis vingt ans et qui habitent la région montagneuse inexplorée de la Colombie Britannique, complètent la série des phénomènes enregistrés au cours de l’année tourmentée que nous venons de vivre.
L’existence d’une race de troglodytes dans les vastes cavernes des montagnes de la Colombie Britannique fait partie de la tradition chez les Indiens Chehalis et ceux du Skawah Reservation, près de Chiliovack, dans le district du lac Harrisson, à environ cent milles à l’est de Vancouver. Cette race est connue depuis des siècles chez ces Indiens sous le nom de « Sasquatch » ou d’« hommes velus ».
Mais ces témoignages divers signalant l’apparition de ces créatures dans des endroits variés, au cours des vingt dernières années, apparitions plus fréquentes depuis quelque temps, ont attiré l’attention d’un certain nombre de personnes-: : qui s’inquiètent de savoir si ces êtres étranges, que l’on croyait appartenir à une légende du passé, ne seraient pas en réalité les survivants de cette race d’hommes des cavernes, habitant encore les solitudes inexplorées de la Colombie Britannique. D’après les témoignages recueillis, les Sasquatch ont été vus à la fois par des Blancs et par des Indiens. Ces sauvages couverts de poils se montrent principalement dans le district du lac Harrison, mais on les a vus jusque dans la région montagneuse de Yale, sur la grande ligne du Canadian Pacifie Railway.
Les récits tant de fois répétés de témoins affirmant avoir vu ces géants velus, au cours de ces dernières années et plus particulièrement ces derniers mois, et le nombre sans cesse croissant de ces témoignages semblent démontrer que la vieille légende indienne, dont se sont gaussés les blancs, est vraie, ou que, tout au moins, quelques rares survivants de cette race mystérieuse peuvent encore habiter les immenses solitudes où ils furent autrefois nombreux.
Cette hypothèse paraît plus vraisemblable si l’on se rappelle que des squelettes d’une race de géants ont été récemment déterrés dans une région montagneuse du Mexique.
La principale difficulté — et c’est là toute la tâche de celui qui fait les recherches, lorsqu’il s’agit de phénomènes tels que les Sasquatch ou les serpents de mer, — est naturellement le plus ou moins de confiance que l’on peut accorder aux témoins. Si leurs récits sont mensongers, quel mobile a bien pu les déterminer à parler ? Dans la question des Sasquatch, l’élément confiance se renforce du fait que, dans la plupart des cas, les témoins ont longuement hésité - certains d’entre eux ont même attendu des années pavant de révéler ce qu’ils avaient vu.
En comparant attentivement les dépositions des témoins oculaires recueillies jusqu’à ce jour, on s’aperçoit que toutes concordent sur les faits suivants : les Sasquatch sont des hommes d’une taille extraordinaire, mesurant de 6 1/2 à 7 pieds. L’un des témoins, mais seulement l’un d’entre eux, signale leur nez très large et leurs bras démesurés, dépassant le genou. Tous, sauf un, sont d’accord sur l’affreuse laideur de leur visage.
Cependant, comme dans la plupart des cas les Sasquatch n’ont pas été vus de près, il est naturel que leur description affecte un caractère général. Les gens qui les ont aperçus ont été frappés d’une telle terreur que leurs , explications sont vagues. Si l’on excepte une de leurs plus récentes manifestations, celle du 22 mai 1934, les Sasquatch ne se sont montrés hostiles que dans deux circonstances.
Le fait que ces hommes étranges ont été aperçus tout près de la civilisation à cette période de l’année concorde absolument avec les époques observées par les Indiens Chehalis. Les Indiens possèdent des annales verbales s’étendant sur trois générations, d’après lesquelles les membres de cette tribu ont aperçu tous les quatre ans, au printemps, un grand feu sur l’un des plus hauts pics de la chaîne des Chehalis. Le feu brûlait pendant quatre nuits en une mince et très haute colonne de flamme. Parfois il s’éteignait subitement pour s’élever de nouveau un peu plus tard. Que ceci soit l’indice d’un retour périodique à un culte particulier dans quelque ancien temple ou d’une communication transmise aux individus de même race, on peut le ranger parmi les conjectures possibles.
Le retour périodique à un ancien lieu de réunion amène ces êtres étranges jusqu’aux confins des territoires gagnés maintenant par la civilisation. Le 22 mai, un Indien d’âge moyen, Tom Cedar, pêchait la truite en bateau sur le Morris-Creek, un affluent de l’Harrison. Il était tout près de la rive où les rochers formaient une sorte de terrasse. Tout à coup, un énorme rocher tomba dans l’eau si près de sa barque qu’il fut trempé par l’eau éclaboussée. Levant les yeux, il aperçut avec stupéfaction un homme géant, couvert de poils, qui s’apprêtait à jeter un autre bloc de rocher ; ce second projectile manqua de fort peu la barque. Cedar, ramant à toute allure, réussit à remonter le cours d’eau jusqu’au village.
Notons en passant une singulière coïncidence : ce cours d’eau, appelé maintenant Morris-Creek, était connu’ sous le nom de Saskahau au moment où les premiers Blancs y arrivèrent, il est encore désigné ainsi dans les anciennes cartes. Tout près de là, sont .les fameuses cavernes explorées par le capitaine Warde qui résida quarante ans dans le district. Il certifia que ces cavernes portent des traces évidentes d’habitation, sur les murs on remarque des dessins grossièrement tracés. D’après les Indiens, deux troupes nombreuses de Sasquatch se seraient battues dans cette région jusqu’à extermination presque complète.
Une autre preuve, vieille d’environ vingt ans, des intentions hostiles de certaines de ces créatures apparaît dans le récit de deux Indiens Chahelis, Peter et Paul Williams, récit rapporté dans une interview du correspondant du Daily Province de Vancouver, dont voici le résumé :
« Un soir de mai, dit Peter, j’étais environ à un mille de mon village, au pied de la monntagne, lorsque ce que je pris tout d’abord pour un ours se dressa devant moi dans les broussailles ; je fis demi-tour et courus à travers le fourré jusqu’à l’endroit où j’avais laissé mon canot. L’homme velu me suivit. Je traversai le cours d’eau qui n’est pas très profond, l’homme suivait toujours. J’atteignis la maison où étaient ma femme et mes enfants et je verrouillai la porte. L’homme velu s’approcha ; la nuit tombait, il rôda aux alentours en poussant des grognements et, au bout de quelques instants, il s’éloigna. Vers la même époque, Paul fut chassé d’une petite crique où il pêchait, mais le géant ne le poursuivit pas très loin, son seul but étant apparemment d’éloigner le pêcheur pour s’approprier le poisson qu’il avait pris. Dans deux autres circonstances, l’année suivante, Peter et un autre camarade tombèrent sur deux géants et les virent d’assez près pour distinguer un homme et une femme ; les Indiens s’enfuirent en courant, mais ne furent pas poursuivis. Charley Victor, actuellement à Chilliwack, raconte qu’il se baignait avec quelques camarades dans un lac de montagne, près de Yale, lorsqu’en levant les yeux, il aperçut un homme gigantesque dont le corps était couvert de poils qui les regardait à travers les arbres.
« Ses grands yeux avaient un bon regard, . » dit Charley, et j’étais sur le point de lui . adresser la parole lorsqu’il s’enfonça dans la forêt. »
C’est le seul témoin qui n’ait pas été effrayé par la vue d’un individu appartenant à la race mystérieuse. Ceci s’est passé il y a de longues années et à environ cent milles de la région où la majorité des Sasquatch a été vue de nos jours. Le témoignage suivant, dont nous avons la preuve dûment certifiée, remonte au 26 septembre 1927. Herbert Point, et une jeune fille, Adaline August, rencontrèrent un de ces êtres étranges près de la petite ville d’Aggassiz, située dans les montagnes, tout près des endroits où les autres Sasquatch se sont montrés.
« Il était deux fois plus grand qu’un homme normal, avec des mains si longues qu’elles touchaient presque terre et son nez semblait étalé sur tout son visage. Son corps était couvert de poils comme celui d’un animal. Il s’arrêta à environ cinquante pieds de nous et nous nous enfuîmes en courant aussi vite que possible. » (Ces lignes sont extraites d’une lettre écrite par l’homme en réponse à une question qui lui avait été posée sur ce qu’il avait vu.)
Il y a quelques mois, Emma Paul et Minnie Saul, deux autres Chehalis, virent un Sasquatch près de leur maison à la lisière du bois. Pendant plusieurs nuits, il vint rôder autour de la’ maison de Minnie Paul et une fois même, il frotta sa . main sur la fenêtre.
Le dernier témoignage vient de Harrrison-Mills, un petit hameau situé au cœur même du territoire occupé jadis par les Sasquatch.
Une femme surprise par un bruit singulier, semblable à un bourdonnement, leva les yeux et aperçut un homme d’une stature extraordinaire, tout nu et tout couvert de poils, à la lisière du défrichement, Effrayée, elle fit un pas en arrière et tomba dans une cuve à moitié pleine d’eau où elle lavait du linge. Le temps de se sortir de là, l’homme avait disparu.
Voici un résumé de la question des Sasquatch telle qu’elle se présente à travers la légende et les récits de témoins oculaires. Le Conseil des savants attachés au Muséum de Vancouver se montre sceptique sur l’existence de survivants d’une race qui errait autrefois dans les régions forestières.
A l’objection que le climat est trop rigoureux pour une peuplade vivant nue, malgré des poils abondants, on peut répondre en citant les Fuégiens qui vivent sous un climat encore bien plus inhospitalier.
Les récits des témoins oculaires ont toujours été faits avec une certaine répugnance. Il y a eu peut-être bien d’autres manifestations ignorées. La peur du ridicule est la cause principale de la mauvaise volonté des indigènes à répondre aux enquêtes faites par les Blancs. Ce sentiment est beaucoup plus accusé chez eux que chez les Blancs. Vus sous cet angle, les témoignages obtenus dans ces conditions présentent des chances plus grandes de vraisemblance. La preuve de l’apparition des Sasquatch s’étend sur une longue période et provient de personnes diverses qui n’avaient aucun motif plausible pour fabriquer de toutes pièces un conte à dormir debout.
On ne peut aller plus loin pour le moment.
Peut-être d’autres témoignages apporteront-ils plus tard de nouveaux éclaircissements. Il faut se rappeler cependant, avant de juger la possibilité de l’existence des Sasquatch, les nombreuses personnes qui ont vu des serpents de mer et les restes d’animaux étranges rejetés récemment sur divers rivages [1] ; il est très possible que de même qu’il existe des formes inconnues de la vie dans les profondeurs des océans, il puisse exister dans les immenses étendues inexplorées de la Colombie Britannique des hommes sauvages, couverts de poils, errant dans les solitudes, ces hommes que, depuis des générations, les Indiens désignent sous le nom de Sasquatch. Francis Dickie Traduit de l’anglais par Perrine Vernay