Il ne nous appartient pas d’entrer dans des détails précis et de dire par exemple ce que les manufactures de l’État produisent de fusils par jour en ce moment.
Ce nombre dépasse le chiffre de mille. Nous voulons seulement indiquer ce que nécessite une fabrication même réduite à ce nombre.
La fraise joue un rôle considérable dans ces ateliers, c’est son emploi qui permet ce qu’on appelle l’interchangeabilité. Elle peut ajuster à un centième de millimètre près, et produit ainsi cette similitude indispensable entre les pièces de même forme. Disons en passant que l’emploi de la fraise sur les métaux est fort ancienne, mais n’est utilisée avantageusement que depuis quarante ans au plus. Revenons à l’installation d’une usine pour mille fusils par jour. Mille fusils par jour représentent deux fusils par minute. Le nombre des machines nécessaires est de 5500, d’où il suit qu’il faut cinq machines et demie de plus pour faire un fusil de plus par jour, soit 11 000 machines si on veut atteindre 2000 fusils. Ces machines (5500) mises bout à bout, demanderaient un atelier de huit kilomètres de long, ou la distance de Paris à Meudon, ou la distance de la Bastille à la Madeleine avec retour’ par la rue de Rivoli. Pour 2000 fusils, la distance de la gare de Lyon 5 Villeneuve Saint-Georges serait à peine suffisante. On ne peut doubler la fabrication par un travail de nuit. Les difficultés seraient insurmontables à cause de la précision ; extrême du travail. L’affûtage et l’entretien des outils occupe déjà un personnel considérable. Il faut une machine à affûter, pour dix fusils par jour, soit 100 machines pour 1000 fusils. Huit ouvriers font une arme par jour, soit huit mille hommes pour mille fusils. Les machines à rayer sont au nombre de 250 ; chacune d’elles ne raye donc que quatre canons. On peut se représenter l’étendue de bâtiments suffisants pour un pareil personnel et un pareil outillage. Si, huit mille hommes sont nécessaires pour fabriquer mille fusils par jour, on peut estimer la façon de chacun d’eux de 35 à 40 francs, non compris les frais généraux, la matière première, etc..
Au commencement de la transformation des armes de guerre et lorsque le fusil connu sous le nom de fusil Lebel a été adopté, il fallu avoir recours à l’industrie privée. Les ateliers de l’État suffisent à tout depuis longtemps déjà, mais où trouver le nombre de fraiseuses nécessaires pour occuper huit mille hommes. A un certain moment on fit une rafle chez tous les mécaniciens de France possesseurs de machines à fraiser. On envoya ramasser tout ce qui était disponible, en Amérique et en Angleterre, et c’est avec une prodigieuse rapidité que ces milliers de machines diverses furent installées à Châtellerault, Saint-Étienne,Tulle, etc. Ces travaux extraordinaires, peu connus du public, montrent la valeur des hommes dont la France peut disposer, quand il s’agit de missions de cette importance .