Un examen sérieux de nombres d’événements de la guerre de 1870-1871 a fait reconnaître la convenance d’organiser, dès le temps de paix, un matériel de réparation et de remplacement des ponts de voies ferrées, endommagés ou détruits par l’ennemi. La Commission supérieure des chemins de fer, qui mit la question à l’étude, fut saisie d’un certain nombre de projets parmi lesquels elle distingua celui de M. le commandant Marcille. Ce sont les propositions de cet officier qui viennent d’être définitivement adoptées.
Ainsi qu’il sera dit ci-après, les ponts Marcille — actuellement en service — sont de portées diverses, variant de 10 à 45 mètres. Nous analyserons, à titre d’exemple, le type de 30 mètres de portée.
La partie essentielle de ce pont est formée de deux poutres en tôle, en l, distantes de 1,52 m d’axe en axe. Chaque poutre mesure 1,50m de hauteur et se compose : d’une âme pleine en tôle, de 8 mm d’épaisseur ; de deux semelles, de 0,50 m de largeur, formées chacune de deux épaisseurs de tôle de 12 mm ; enfin, de quatre cornières rivées deux à deux : d’une part, sur l’âme ; de l’autre, sur les semelles. Les deux poutres sont réunies transversalement par une entretoise boulonnée sur elles, et cette entretoise est elle-même poutre en I, à âme pleine, de 0,50 m de hauteur. Les âmes des poutres principales sont renforcées, à courts intervalles, par des nervures verticales qui s’y trouvent rivées et en préviennent le flambage. Les rails de la voie reposent à la partie supérieure des poutres — sans traverses ni longerons — sur des coussinets métalliques auxquels ils sont boulonnés.
Ainsi constitué, le pont se divise, dans le sens de sa longueur, en certain nombre de tronçons de 10 m et de 7,50 m et en « bouts » de plus faible longueur. Chacun de ces tronçons représente un élément complet de l’ouvrage. L’élément de 10 m est encore suffisamment maniable et il n’y a en conséquence, aucun besoin de le subdiviser au cours des opérations de chargement, de transport, déchargement ou mise en place.
L’assemblage des éléments du pont se fait tout simplement par voie de juxtaposition, sans aucun agrafement. Il est seulement fait usage de couvre-joints qui se fixent au moyen de boulons. Quant au lancement, il s’effectue par porte-à-faux, à l’aide d’un avant-bec et d’un contrepoids.
À l’exception d’un petit nombre de pièces, tout ce matériel est en acier doux, non trempé, lequel ne se rompt que sous une charge de 52 kg/mm2 et ne commence à subir de déformation permanente que sous celle de 25 kg. II a donc été possible de faire travailler les pièces principales à raison de 12 kg au maximum, et cela salis le moindre inconvénient.
De là, légèreté relative et notable économie.
Le pont de 30 mètres, dont nous venons de donner une description sommaire, ne pèse guère que 1 000 kg au mètre courant, et le prix de revient de ce mètre ne s’élève qu’à 800 francs. Le pont se monte en soixante heures, et il faut observer que ces soixante heures comprennent le temps de la reconnaissance de la brèche, de la commande (à un point qu’on peut supposer à 50 km en arrière), du chargement, du transport, du déchargement et de la pose.
Ces chiffres se rapportent au cas du pont à voie supérieure unique, sans tablier. Mais le commandant Marcille ne limite point les services de son matériel à ceux que rend une installation de la voie, directement sur les poutres. Il a prévu certain nombre de cas, auxquels on peut être tenu d’établir la voie à la partie inférieure des poutres. Lesdites poutres se prêtent facilement à l’écartement et, moyennant l’annexion de quelques pièces accessoires, on peut leur faire porter un tablier en bois. Ce tablier, spécialement affecté au passage des colonnes de troupes, n’apporte aucune entrave au passage des trains.
Au-dessous de ce type de 30 m, on a des ponts de 20 et 10 m dont les poutres mesurent respectivement 1,20 m, et 0,60 m de hauteur.
Le commandant Marcille a également fait adopter un modèle supérieur, c’est-à-dire de 45 mètres de portée. Tous ces ponts métalliques affectent des dispositions analogues à celles qui viennent d’être décrites et ne diffèrent du pont de 30 mètres que par les dimensions des pièces principales. Le pont de 45 mètres, par exemple, est formé de poutres de 2,20 m de hauteur, poutres dont les semelles ont 0,10 m de large. Il se décompose également en tronçons de 10 m et de 7,50 m et en bouts. Le tronçon de 10 mètres, du poids de dix-huit tonnes, est encore suffisamment maniable.
Le matériel — très remarquable — des Ponts Marcille, sort des ateliers du Creusot.
Lt-colonnel Hénnebert