Généralités.
En ces journées d’été, tournons notre regard vers le ciel, cherchons-y un astre rougeâtre, dans la constellation du Lion. Cet astre, aux clartés chaudes, objet de tant de sollicitude et d’observations attentives, c’est la troublante planète Mars qui, dans le mystère de ses saisons, tient en éveil notre inquiète curiosité.
Un globe deux fois plus petit que le nôtre, aux années doubles des nôtres, mais dont les jours sont d’égale durée, un sol sans élévation importante [2], usé définitivement par l’érosion, une atmosphère raréfiée, une terre froide dont la température moyenne aux plus petites distances du soleil semble osciller entre -20° et -30°, alors que celle de la terre s’inscrit aux environs de +10°, tel est le monde martien dont nous séparent, à cette heure, quelque 100 millions de kilomètres.
D’observation télescopique délicate, grossi trois ou quatre cents fois, il n’apparaît encore que comme un faible disque dont la rétine ne découvre que peu à peu les formations caractéristiques.
Variations saisonnières et « canaux » martiens.
La « géographie » martienne manifeste essentiellement les composants suivants : taches claires qui occupent les deux tiers de son sol, vastes déserts de couleur ocre ou l’ose éternellement stériles et desséchés, dont le vent soulève parfois les poussières ferrugineuses ; calottes glaciaires polaires, minces couches de givre ou de glace qui vont s’amenuisant avec le retour du printemps et se reformeront aux approches de l’hiver ; aires sombres enfin, improprement appelées « mers ». Ces dernières présentent soit des variations irrégulières de colorations locales, soit des variations saisonnières qui déroulent un jeu de teintes selon un cycle régulier. Ainsi les tonalités grises et verdâtres de la mauvaise saison font place aux premiers beaux jours à des tons chauds, brun, violet, chocolat, subtilement nuancés généralement.
1894. - Dans l’observatoire qu’il a fait construire sous le ciel pur de l’Arizona, l’astronome américain Lowell observe la planète. Certes, il décèle toutes les formations précitées, mais son esprit s’étonne devant l’image que sa rétine enregistre. Sur le sol de Mars des lignes au fin tracé apparaissent, qui s’étendent sur des centaines de kilomètres. Leur nombre augmente bientôt et Lowell enregistrera plusieurs centaines de « canaux » sur les dessins qu’il obtient. Lowell est un observateur consciencieux. Des années d’observation nocturne l’amènent à interpréter ces énigmatiques formations plus ou moins rectilignes, de plusieurs kilomètres de large, qui semblent souvent relier des « oasis » et paraissent affectées des mêmes variations saisonnières que les « mers ». Terre agonisante, Mars n’est plus riche d’eau, élément essentiel à la vie, qu’en ses vastes régions polaires, Sa vieille civilisation doit donc, envers et contre tout, se défendre contre le dessèchement progressif de son sol. A cela, quel remède ? Les « ingénieurs martiens » ont fait construire ces immenses « canaux » qui, s’alimentant aux calottes glaciaires, assurent une répartition judicieuse de l’élément liquide. Et sur leurs bords, une végétation s’épanouit qui rend perceptible leur existence à l’observateur terrestre [3].
Âprement discutée, la réalité de ces « canaux » est aujourd’hui un fait, ainsi qu’en témoignent de très belles photographies prises à l’observatoire du Pic du Midi. Mais une interprétation moins grandiose n’y voit plus, selon l’expression de M. C. Fournier, un des meilleurs observateurs de la planète, qu’une origine naturelle « à la foi, géologique dans leurs tracés et végétale dans leurs métamorphoses ».
L’énigme des saisons martiennes.
Devons-nous donc abandonner l’espoir de trouver, dans les prospections à venir, toute race de vie à sa surface ? Et les changements de teintes saisonniers que nous y décelons n’admettraient-ils comme seule explication qu’une cause physico-chimique ? C’est ce qu’à la lumière des connaissances actuelles nous allons tenter de décider.
Il importe moins ici de chercher à démontrer que les choses sont ce que nous pourrions les souhaiter qu’à prouver ce qu’elles sont objectivement. Aussi, quelque invraisemblable parût-elle, soulignons au passage l’hypothèse par laquelle Arrhénius tenta justification des virages. de teintes en faisant appel aux seules actions chimiques et plus particulièrement au phénomène d’hygroscopie. On sait, par exemple, que le chlorure de cobalt passe du bleu au rose en présence de vapeur d’eau. A vrai dire, la plupart des changements possibles requièrent non seulement, l’intervention de la vapeur d’eau, mais aussi de la chaleur, condition non réalisée à la surface de Mars. Jusqu’à plus ample informé, nous pouvons donc délaisser cet essai d’explication pour faire appel à celle beaucoup plus plausible d’une hypothétique végétation.
Mais avant d’aborder ce problème, imaginons-nous, spectateur impartial opérant dans des conditions idéales, soustrait aux lois du temps, de l’espace et de l’attraction, planant dans la haute atmosphère de Mars et assistant au déroulement des manifestations saisonnières de sa surface au cours de sa longue année de 687 jours.
Respectivement, avec un décalage d’une demi-année martienne, les deux hémisphères seront le siège d’un cycle saisonnier dont nous allons préciser le jeu pour la zone boréale, par exemple.
L’emprise de l’hiver maintient sur le pôle Nord de Mars une vaste calotte glaciaire, cependant que tout cet hémisphère apparaît sinon décoloré, du moins fortement lavé dans ses teintes de fond grisâtres ou verdâtres Quelques mois passent … Le printemps arrive La température s’élève … La calotte polaire se fracture, s’évanouit et l’eau de fusion gagne les latitudes inférieures, en même temps qu’apparaissent les aires sombres, brunes, rougeâtres dont la coloration s’accusera de plus en plus, du milieu du printemps à la fin de l’été.
Mais déjà l’automne s’appesantit sur l’hémisphère considéré. Peu à peu la banquise polaire se referme, d’abord par lambeaux, puis recréant bientôt le bloc homogène initial. Et sur les « mers » boréales, une décoloration progressive signe le retrait ou du moins la mise en sommeil des hypothétiques expressions vitales de sa surface. Tel est, dans ses grandes lignes, ce que révèle l’observation.
Flore et chlorophylle.
Si Mars possède une végétation, celle-ci implique la présence de pigments foliaires capables d’assurer son existence. Sur la Terre, en effet, la plante verte doit sa couleur à des granulations protoplasmiques, grains de chlorophylle dont le rôle est primordial dans le cycle vital au même titre que la faible quantité de gaz carbonique que renferme notre atmosphère. Grâce à ce pigment, ces végétaux verts peuvent dissocier le CO2 atmosphérique, fixer le carbone sur les molécules d’eau apportées par la sève brute qui monte des racines et faire la synthèse des hydrates de carbone (amidon, sucres … ) qui permettront la nutrition du végétal. La plante verte assure la subsistance de l’herbivore, lui-même centre nutritif du carnivore. Quant à l’homme et aux autres omnivores, ils s’alimentent à ces deux sources : végétal et animal’ dont ils sont, physiologiquement parlant, étroitement solidaires. Qu’en effet, pour une cause insoupçonnée, vînt à disparaître pour un temps ce microscopique pigment de la feuille et la Terre, où déborde aujourd’hui la vie, ne serait bientôt plus qu’un immense cimetière où tous les règnes mêleraient leurs molécules désintégrées, dans la fraternelle union de leurs atomes constitutifs. Événement, d’ailleurs, parfaitement insignifiant dans le déroulement immuable de l’univers …
Ainsi, admettre sur Mars une végétation, c’est reconnaître implicitement l’existence de pigments assimilateurs analogues (sinon par leur formule, du moins par leur fonction) à notre chlorophylle et aux pigments annexes d’une flore analogue à la nôtre. Or, ne sommes-nous pas justement en droit de voir dans la teinte de fond des surfaces martiennes un tel pigment et d’interpréter les variations observées, en fonction des variations de couleur que manifeste notre flore au cours des saisons ?
Les conditions d’apparition de la chlorophylle ou d’un pigment analogue paraissent-elles réalisées sur Mars ? Lumière, température, fer, la planète présente tout cela. Seul l’oxygène, non mis en évidence, laisse à ce jour la réponse en suspens. Mais la présence d’un tel pigment n’a de raison qu’en fonction d’une assimilation ultérieure, réalisable, là encore, à la lumière et à la température martiennes. Bien plus, le gaz carbonique indispensable vient d’être, tout récemment, décelé.
De la possibilité théorique d’une chlorophylle martienne.
De ce que rien ne s’oppose formellement, sur Mars, à la présence d’un pigment vert assimilateur, il serait imprudent pourtant de conclure à son existence. Deux objections sont généralement formulées à son endroit, auxquelles il semble q u’aujourd’hui une réponse puisse être apportée. D’une part, les paysages terrestres photographiés avec des plaques sensibles aux infrarouges éclaircissent les surfaces correspondant aux zones de végétation alors que ce phénomène n’apparaît pas sur les clichés de Mars où les « mers », interprétées généralement comme des surfaces végétales, présentent, au contraire, un assombrissement. Or, on sait, à l’heure actuelle, que cette réflexion apparente des infrarouges est une réaction d’auto-défense de la plante à un excès de radiations. En effet, protégées de celui-ci par un écran de forêts, d’eau, ces plantes ne manifestent plus qu’une réflexion apparente faible ou nulle. Il en va de même pour les plantes des pays froids. L’observation de clichés pris en infrarouge nous a même révélé que, dans un paysage de verdure des régions tempérées, de nombreux spécimens de la flore habituelle des pays froids (conifères … ) répondaient à des taches sombres sur le fond clair du reste de la flore.
Ainsi ne s’éclairciraient en photo infrarouge que les plantes soumises à un excès de rayons calorifiques. La constance et même l’assombrissement des « mers » martiennes se justifient donc, car, s’il est des végétaux dans cet air froid, ils se doivent de capter au maximum ces radiations de grande longueur d’onde essentiellement calorigènes.
Mais si l’hypothétique flore martienne possède un pigment assimilateur de carbone [4], elle doit, objecte-t-on, comme le fait notre flore, enrichir son atmosphère en oxygène décelable, ce qui n’est pas. Nous ne saurions nous en étonner, connaissant la pauvreté de son atmosphère en gaz carbonique. Or, l’intensité de l’assimilation est commandée par la richesse en C02. La faible quantité de ce dernier justifie donc celle de l’oxygène. Sur la terre, la plante verte enrichit l’air en oxygène ? Sans doute, mais l’intensité lumineuse reçue par son sol est beaucoup plus considérable que celle captée par le sol martien. Et, si moins de lumière n’empêche pas la respiration de la plante, elle ralenti, par contre, sa photosynthèse. Ainsi, d’une part, cette dernière ne libérerait que fort peu d’oxygène : de l’autre, la respiration reprendrait aussitôt ce gaz exhalé. Circuit fermé, qui, à aucun moment, ne doit permettre au spectroscope de saisir dans son atmosphère des traces d’oxygène.
Plantes d’automne au printemps martien !
Mais le milieu du printemps a provoqué les étonnants changements de couleur que nous connaissons. Avec l’eau de fonte des glaces polaires de Mars qui, par voie aérienne ou terrestre, gagne sa surface, on peut suivre l’extension concomitante des plages sombres, brunes, rougeâtres ou violettes, dont les tonalités rappellent plus ou moins celle de notre flore à l’automne. Paradoxe ! L’automne, sur la terre, signe, sinon la mort, du moins le sommeil de nombre de nos végétaux. Or, sur Mars, ces mêmes teintes coïncident avec l’arrivée de l’eau, facteur primordial de vie. Sur notre « lointaine » voisine, l’eau serait donc facteur de mort ! A première vue, si l’on s’en tenait à une analogie trop poussée avec ce que l’on observe ici-bas, il en serait ainsi. L’hypothèse que nous proposons est bien différente.
Le facteur principal qui amorce ici-bas la genèse des pigments automnaux est moins la sécheresse, que l’on incrimine souvent à tort, que le froid. Mars, on ne saurait trop le souligner, est une terre froide. La condition première des manifestations d’une activité chlorophyllienne ou parachlorophyllienne, que nous avons envisagée précédemment, réside donc dans une indispensable élévation de température de la plante. Or, les pigments qui marquent nos feuilles à l’automne sont essentiellement calorigènes. Transposons à l’échelle martienne. L’apparition de pigments identiques va permettre le travail du pigment vert assimilateur. Mais cette assimilation ne peut jouer qu’en présence d’eau. Quoi de plus rationnel que d’admettre, au moment précis de l’arrivée de l’eau, la formation des pigments sombres observés qui vont permettre le départ de l ’activité chorophylllienne ? L’eau a réveillé la flore martienne, les pigments sombres autorisent désormais le jeu assimilateur du pigment vert [5].
Enfin, on assiste sur Mars à des variations brusques de coloration qu’il paraît difficile d’interpréter si l’on refuse de faire appel à une poussée subite ue’ la végétation. L’analogie climatique que nous pouvons établir entre Mars et nos steppes sèches, où se manifeste au moment des pluies un pareil éclatement végétal, autorise à conclure à une similitude d’expression.
Mais, l’hypothèse végétale étant admise, comment concevoir la flore martienne ? Flore de graminées, de mousses et de lichens, d’arbustes rabougris aux racines fasciculées dont le gel du sol à une faible profondeur interdit la pénétration, mais surtout flore de plantes grasses capables de résister à la déshydratation, comparables à nos sedum et joubarbes, dont les teintes lavées des feuilles rappellent étrangement les tonalités martiennes imprécises.
Ainsi donc que l’explication hygroscopique (Arrhênius), qui ne garde quelque valeur que pour des cas limités, soit dépassée par celle infiniment plus plausible d’une végétation, la chose paraît difficilement contestable. Cette dernière, en effet, satisfait notre intelligence en s’accordant généralement, nous venons de le voir, avec le fait végétal ici-bas. Mais l’astrophysique seule ou la navigation interplanétaire de demain pourront apporter des motifs de créance totale à la plus séduisante des hypothèses.
Vie animale et humaine ?
Quant aux animaux qui pourraient peupler ces mornes solitudes, qu’en pouvons-nous raisonnablement dire ? Rien ou à peu près. Que certaines de nos espèces terrestres, sans exigences particulières, puissent s’y adapter, la possibilité demeure, mais il serait vain d’en disserter. Quant aux Martiens, s’ils existaient, on pourrait, à bon droit, s’étonner que les représentants de leur civilisation plusieurs milliers de fois millénaire ne soient pas encore parvenus au stade de la fusée interplanétaire, à la veille duquel, peut-être, quelque soixante siècles de civilisation nous ont menés et n’aient pu encore visiter la Terre.
Sur un globe semblable, que serait, d’ailleurs, la vie pour les humains que nous sommes ? Débarquant sur son sol (sans appareil absolument étanche, à pression atmosphérique et à composants qualitativement et quantitativement comparable à ceux de notre atmosphère), nous serions soumis à une décompression (abstraction faite de l’asphyxie mortelle par manque d’oxygène), à laquelle l’organisme n’aurait pas le temps de s’adapter. Il s’ensuivrait une série de troubles que nous pouvons connaître par comparaison avec les troubles que nous accuserions sur la Terre dans des conditions identiques : aggravation des maladies de cœur, mort subite des aortiques, hémorragies cérébrales, réveils de tuberculose, enfin déséquilibre du système neuro-végétatif se traduisant par des crises spasmodiques, asthme, migraine, et c., etc …
Séjour, en vérité, fort peu enviable qui assurerait bientôt aux humains et autres espèce, dites supérieures l’éternelle paix du corps et de l’esprit, dans une mort qui les soustrairait aux surprises de la désintégration atomique de quelque nouvelle aventure guerrière. Mais, par une lente adaptation millénaire, la vie n’y serait-elle pas possible pour des êtres évolués ? Cal’, considérant, par exemple, l’énorme presssion à laquelle sont soumis les poissons des grandes profondeurs, on peut se demander s’il est beaucoup plus facile pour un poisson de vivre en un tel milieu que pour un être de vivre dans l’atmosphère raréfiée de Mars.
Conclusion.
Si, comme le pensait C. Flammarion, « l’idée d’habitation se lie immédiatement à l’idée d’habitabilité » et si « la nature enfante des êtres partout où il y a séjour pour les recevoir n, nul doute que la vie n’ait pris un jour possession de la planète Mars et qu’elle ne nous découvre aujourd’hui dans les variations de teintes de sa surface les manifestations attardées d’une vie végétale à son déclin.
Or, pour séduisante que soit cette éventualité, la raison qui la fonde n’est encore qu’hypothèse, fort plausible sans doute, mais tout esprit scientifique ne saurait dès aujourd’hui accorder aux vraisemblances. — demain dût-il les consacrer ! — le privilège des certitudes qui demeurent.