Le Gallium et les éléments inconnus

A. Gautier, la Revue Scientifique — 5 août 1876
Samedi 16 novembre 2019 — Dernier ajout jeudi 5 décembre 2019

Prévisions théoriques modernes sur l’existence de nouveaux corps simples

I

La découverte d’un nouveau corps simple n’existant qu’en minime proportion dans les roches ordinaires et par conséquent ne paraissant pas susceptible de grandes applications pratiques n’en offre pas moins un vif intérêt au point de vue de la philosophie des sciences naturelles, et en particulier des progrès de la chimie. Nous ne connaissons à cette heure que 65 éléments ; chacune des divisions où l’on a tenté de les classer ne comprend souvent qu’un nombre encore si restreint de représentants que les analogies réelles qui les unissent nous échappent quelquefois. À mesure que les familles se complètent, les transitions régulières nous frappent par leur naturelle progression, tandis que s’atténuent au contraire entre leurs divers termes des différences en apparence exceptionnelles. Ainsi disparaissent peu à peu les vices de nos premières classifications et les erreurs corrélatives de nos théories provisoires. En découvrant le sélénium, Berzélius permit à Dumas de rapprocher du soufre et de l’oxygène le tellure que Klaproth avait rangé parmi les métaux. D’ailleurs chacun des nouveaux corps simples vient appuyer ou contredire la curieuse règle de Prout relative aux rapports des poids des équivalents avec celui de l’hydrogène, et l’importante loi de Dulong et Petit. Enfin l’étude de chaque nouvel élément en nous faisant connaître comme une nouvelle fonction chimique éclaire et rectifie nos idées générales, ébranle ou appuie nos convictions sur l’unité ou la diversité de la matière, nous fait pressentir de nouvelles lois et de nouveaux rapprochements, et nous fournit souvent de puissants moyens d’action. La découverte du gallium par M. Lecoq de Boisbaudran, comme celles du thallium, de l’indium ; du césium et du rubidium est importante à tous ces points de vue, mais elle offre encore un intérêt tout particulier : c’est qu’elle avait été théoriquement prévue et presque calculée ; et que lorsque son auteur, le 27 août 1875, observa pour la première fois les indices spectroscopiques du nouveau corps, il recherchait, suivant un plan conçu d’avance et depuis réalisé, le terme intermédiaire qui devait exister entre l’aluminium et l’indium, tout à côté du zinc, et qu’il avait approximativement prévu depuis plus de dix ans les longueurs d’ondes des vibrations lumineuses du métal inconnu.

Mais voici une particularité de cette belle découverte tout aussi digne d’attention. Pendant qu’à Cognac notre chimiste français poursuivait, aux heures de liberté que lui laissaient ses affaires commerciales, patiemment et avec tout l’entêtement scientifique nécessaire, la recherche du métal dont la place avait été marquée d’avance dans sa classification des spectres métalliques, à l’autre extrémité de l’Europe, à Pétersburg, un non moins important chimiste russe, M. Mendeleeff, prévoyait par des considérations d’un tout autre ordre l’existence du même corps simple, calculait son poids atomique, et décrivait, en attendant qu’on le découvrit, ses propriétés chimiques et physiques principales.

La découverte du gallium se rattache donc li d’importantes théories générales qui conduisent à prévoir l’existence de corps simples aujourd’hui encore inconnus. C’est cette intéressante question que je désire aborder dans cet article.

Le sujet est d’une importance capitale, mais il est complexe et délicat. M. Lecoq de Boisbaudran, et je crois aussi M. Mendeleeff, ont gardé chacun par devers eux une partie de leur pensée. Aussi ne puis-je songer à la faire connaître ici tout entière, et si sur quelques points il restait quelque obscurité, le lecteur voudra bien admettre sans doute que sur une question aussi nouvelle, encore mal dévoilée par ceux qui ont osé les premiers l’aborder. je ne puisse toujours donner tous les renseignements désirables.

II

Depuis les importantes recherches de Kirchoff et Bunsen sur l’analyse spectrale, on sait que tous les corps, et spécialement les métaux : et leurs combinaisons donnent, lorsqu’ils sont suffisamment échauffés, une lumière caractéristique. Le prisme la dissocie, en effet, en ondes lumineuses de longueurs déterminées, invariables pour chacun d’eux, et qui se traduisent dans leur spectre par l’existence de raies placées dans des positions fixes, dont l’observation suffit pour reconnaître la nature chimique de la source.

Mais lorsque de l’observation spectrale on veut tirer autre chose qu’une délicate méthode d’analyse qualitative, lorsqu’on cherche à découvrir les lois qui relient entre eux les spectres des divers sels d’un même métal, ou lorsqu’on veut comparer la position des raies lumineuses des métaux d’une même famille naturelle, on est tout d’abord arrêté par l’extrême complexité du phénomène. Si l’on examine, en effet, avec soin les spectres relativement simples des diverses combinaisons salines que donne un même métal alcalin, tel que le potassium, on s’aperçoit que parmi les très nombreuses raies qui les constituent quelques-unes se correspondent à peu près et ne varient qu’avec la nature du métal, tandis que d’autres au contraire n’apparaissent que lorsque ce métal est uni à tel ou tel métalloïde. Celles-ci sont dues aux vibrations soit de la molécule saline tout entière, soit même quelquefois de ses éléments électro-négatifs. C’est ainsi qu’avec le chlorure de potassium et le sulfate de potasse nous aurons les groupes principaux de raies suivantes [1] :

Ainsi les groupes α et β, les raies β’ et γ se correspondent exactement dans le chlorure et le sulfate de potassium ; mais en même temps ce dernier sel donne d’autres raies dont les λ sont mesurés par les nombres 611,6 ; 563,8 ; 502,5 ; 500,2 ; 482,8 ; 460,7 ; 450,5 ; 438,7 ; 430,7 ; 426,2 ; 418,5, autant de raies qui ne se reproduisant ni dans le spectre du chlorure de potassium, ni dans celui du sulfate de soude, paraissent dues à la molécule de sulfate de potasse vibrant tout entière [2].

Il faut donc, pour comparer entre eux les spectres des divers métaux d’une même famille et rechercher quelles sont les lois qui relient les positions des diverses raies au poids et à la nature des atomes qui vibrent, éliminer d’abord par la pensée les raies reconnues variables avec la nature de l’élément électro-négatif, et comparer seulement entre eux les groupes ou faisceaux de raies propres aux métaux eux-mêmes. Mais ici une difficulté nouvelle se présente. Si les positions des raies d’un métal (quelle que soit d’ailleurs la manière dont ses combinaisons sont portées à l’incandescence) sont presque invariables, il n’en est pas de même de l’intensité relative des raies. Non-seulement lorsque l’on augmente la température les vibrations les plus réfrangibles prennent beaucoup de vivacité, mais encore l’éclat absolu des raies les moins réfractées subit une diminution telle qu’elles peuvent arriver à s’annuler entièrement [3]. Ces variations d’éclat et l’extinction de certaines raies due au mode et au degré d’échauffement modifient souvent l’aspect général des groupes et rendent plus délicates les comparaisons.

Si l’on tient compte de ces observations, et si l’on examine d’abord les nombreuses raies propres à un métal, on s’aperçoit que dans chaque spectre on peut former plusieurs groupes spéciaux de raies appartenant comme à un même faisceau de vibrations harmoniques, groupes caractérisés en ce que les raies qui les composent ont des λ peu différents entre eux et tels que la moyenne des λ des deux raies extrêmes du faisceau coïncide exactement avec le λ d’une raie intermédiaire. C’est ainsi que dans les raies du spectre du potassium que nous avons signalées plus haut, nous avons le groupe oc, composé des raies λ = 769,8 ; 768,0 ; 766,1, groupe dans lequel on a :

768.0 est la longueur d’onde observée d’une des raies intermédiaires de ce groupe.

De même dans le groupe B on a :

533,7 est le λ observé d’une raie intermédiaire de ce groupe.

Avec une étincelle d’induction éclatant au-dessus d’une solution d’un sel de calcium, on a le groupe des raies dont les λ sont :

626,5 ; 622,0 ; 620,2 ; 619,1 ; 618,1, et nous avons :

λ observée appartenant à ce groupe = 622,0.

Cette remarque [4] permet de séparer en faisceaux particuliers d’harmoniques les spectres des divers métaux ; elle sert à simplifier la comparaison des spectres en permettant de considérer souvent un groupe de raies comme revenant à une raie unique, qui se serait dédoublée en deux ou plusieurs autres dont le centre de gravité coïnciderait avec ce système complexe de raies.

En tenant compte des diverses observations qui précèdent, si l’on considère d’abord les spectres relativement peu compliqués des métaux alcalins, on peut observer : 1° qu’il existe des groupes homologues de raies qui se répètent dans le spectre de ces divers métaux en reproduisant pour ainsi dire, dans une gamme différente, le même dispositif général, avec cette variation importante, toutefois, qu’à mesure que le poids moléculaire du métal augmente, l’écartement des raies extrêmes de ces groupes homologues augmente avec lui ; 2° en même temps que le poids moléculaire des divers métaux que l’on considère devient plus grand, ces groupes homologues se déplacent vers la partie la moins réfrangible du spectre, comme si les molécules de plus en plus lourdes donnaient des vibrations lumineuses de plus en plus lentes ; 3° si, comme l’a fait M. Lecoq de Boisbaudran, l’on considère l’écartement moyen des raies des groupes correspondants, ou, si l’on veut, leur centre de gravité, l’accroissement de longueur d’onde correspondant à cette portion moyenne est, pour les composés semblables d’un même groupe naturel, approximativement proportionnel à l’accroissement du poids des atomes ; 4° enfin, si l’on place les uns au-dessous des autres les spectres de ces divers métaux, et si l’on joint entre eux les centres de gravité des groupes homologues, c’est-à-dire correspondant à la même gamme d’harmoniques, la ligne ainsi obtenue ne différera pas beaucoup d’une droite.

En appliquant aux groupes des raies violettes de la famille naturelle, aluminium, indium, thallium, les importantes observations faites pour les métaux alcalins et alcalino-terreux, M. Lecoq de Boisbaudran conclut qu’il devait exister, entre l’aluminium et l’indium, un métal inconnu. Si l’indium est, en effet, caractérisé par les deux raies λ = 451,1 et λ = 410,1 (voy. fig. 28), et si l’écartement des raies d’un métal est dans les groupes homologues approximativement proportionnel au poids atomique, il doit se trouver dans la partie violette [5] du spectre de l’aluminium deux raies dont les λ aient un écartement qui est à celui des raies de l’indium dans le rapport des poids atomiques de Al et In. Les deux raies λ = 396,2 et λ = 394 de l’aluminium (voyez même figure) satisfont à cette loi, et forment le groupe de même période harmonique que les deux raies si remarquables de In. Si l’on admet maintenant que dans cette famille, en passant d’un métal au suivant, les positions moyennes des centres de gravité α et λ des groupes homologues de raies des corps successifs de la famille suivent la loi déjà observée, et plus haut signalée, pour les métaux alcalins et alcaline-terreux, il faut qu’il existe entre l’aluminium et l’indium un métal inconnu, dont les raies caractéristiques soient placées vis-à-vis de celles correspondantes de l’aluminium et de l’indium, dans les mêmes positions que les raies du sodium vis-à-vis du lithium et du potassium. Ce métal inconnu devra donc donner lin groupe de raies intermédiaires entre celles des deux métaux déjà connus de la famille, et tel que les trois spectres de l’aluminium, du métal hypothétique et de l’indium étant placés l’un au-dessus de l’autre, la ligne qui joint le centre de gravité des raies homologues de l’aluminium et de l’indium passe à peu près au centre de gravité β des raies correspondantes du métal inconnu.

Appliquant ensuite l’observation qu’il avait faite que, dans les groupes homologues, l’écartement des raies extrêmes est à peu près proportionnel aux poids moléculaires des atomes qui vibrent, M. Lecoq de Boisbaudran a pu, connaissant, comme on vient de le voir, le centre de gravité du système de raies du métal cherché, calculer approximativement la position des deux raies extrêmes et très probablement uniques de ce système. Restait, pour résoudre le problème, à chercher dans les minéraux divers celui qui, par un traitement approprié, lui donnerait un chlorure fournissant le système de raies dont il venait de déterminer ainsi les positions correspondant à peu près à 404 et 417 de son échelle des longueurs d’onde (Voy. fig. 29 et fig. 30).

Nous donnons ici (fig. 30) le spectre du gallium et ceux des métaux Al, Tn, Tl de sa famille, ainsi que (fig. 29) quelques-unes des raies principales de divers autres métaux destinées à montrer la position relative des raies du nouvel élément sur l’échelle micrométrique du spectroscope.

Les considérations chimiques et spectroscopiques firent penser à M. Lecoq de Boisbaudran que les minerais de zinc (blendes, calamines, etc.) seraient les plus favorables pour cette recherche. Le métal inconnu devait se rapprocher, en effet, de l’indium qui, lui-même, a beaucoup d’analogie avec le zinc. Après des recherches infructueuses, dues à ce que l’auteur n’avait d’abord opéré que sur de trop minimes quantités, en août 1875, M. Lecoq vit enfin apparaître en leur place les deux raies brillantes attendues depuis si longtemps, faibles mais éloquents indices de l’existence de ce nouveau métal encore presque inconnu, mais qu’il était sûr désormais de pouvoir nous faire connaître, et dont la découverte confirmait d’une façon si éclatante ses importantes théories spectrales.

III

J’ai dit plus haut que, pendant que cet esprit éminemment français, je veux dire exact et clair, cherchait patiemment à démêler, dans la lecture des spectres lumineux, les lois encore obscures qui régissent les vibrations atomiques, et arrivait ainsi à prévoir l’existence probable de plusieurs corps nouveaux dont le gallium ne sera, pensons-nous, qu’une première confirmation, un autre savant d’une grande hauteur de vues, à la fois physicien, chimiste et mathématicien distingué, M. Mendeleeff, cherchant de son côté à grouper les faits si nombreux de la chimie moderne, arrivait à celle remarquable conclusion que l’on peut non-seulement arriver, grâce à eux, à prévoir l’existence d’un grand nombre de corps encore inconnus, mais décrire même d’avance leurs propriétés physiques et chimiques principales, et présumer même dans quelles conditions et par quelles méthodes devra se faire leur découverte. Dans son ouvrage ayant pour titre : Les bases de la chimie (Petersburg, 1869-71), dont quatre volumes consacrés à la chimie inorganique ont seuls encore paru, M. Mendeleeff expose ses idées sur les fonctions chimiques périodiques, fonctions qui dépendent uniquement, d’après lui, du poids des atomes, et, dans un grand Mémoire publié aux Annalen der Chenue und Pharmacie (Supp., Bd VIII, p. 133 et 168), il développe sa théorie et décrit les éléments encore inconnus qu’elle lui fait prévoir. M. Mendeleeff semble vouloir aller en tout au fond des choses ; il emprunte les noms de ses corps futurs an tronc maternel de nos langues européennes. Les préfixes sanscrits eka (un), dwi (deux), tri (trois), tschatur (quatre), etc … , mis en ayant du nom des éléments déjà connus d’une famille naturelle, servent à former les noms nouveaux. Ekacésium, Dwicésium, Ec et De, sont les deux corps, à poids atomiques plus grands que celui du césium qui manquent encore à la famille : lithium, potassium, césium, rubidium. Ekabore est le corps intermédiaire qui doit venir se placer entre le bore et l’ytrium, etc.

Parmi les corps qu’il a prévus à cette époque (1869-71) (et ils sont au nombre de 30 sur le tableau déjà cité), M. Mendeleeff annonce et décrit un corps, l’ekaaluminium, dont les propriétés principales coïncident si exactement avec celles du gallium de M. Lecoq de Boisbaudran que, dès la première note de ce savant, M. Mendeleeff observait que le métal nouveau n’était antre que l’ékaaluminium de sa série naturelle : aluminium, ékaaluminium, indium, thallium. Pour que le lecteur puisse en juger, je vais rapprocher parallèlement la description théorique anticipée de l’auteur russe des propriétés du gallium reconnues pal’ le chimiste français. Ce sera du même coup faire connaître les traits principaux de l’histoire du nouveau métal.

EkaaluminiumGallium
Propriétés hypothétiques d’après D. Mendeleeff Propriétés reconnues par M. Lecoq de Boisbaudran
Son poids atomique sera : El = 68. Le poids atomique du gallium n’a pas encore été déterminé.
Son oxyde aura la formule : El2O3. Son oxyde a pour formule : Ga2O3.
Le chlorure d’ekaaluminium sera ElCl2, il sera plus volatil que ZnCl2. Le chlorure de gallium a pour formule Ga2Cl6 = 2GaCl3. Des évaporations réitérées en présence d’un granit excès d’eau régale ne paraissent pas volatiliser ce chlorure.
Le sulfure El2S3 ou l’oxysulfure El2O2S sera précipité par l’hydrogène sulfuré, et sera insoluble dans le sulfure d’ammonium. Ses sels sont précipités par l’acide sulfhydrique eu présence d’acétate d’ammoniaque et d’acide acétique libre. Ils le sont aussi par le sulfhydrate d’ammoniaque dont un excès ne parait pas redissoudre notablement le sulfure formé, Le gallium paraît formel’ un oxychlorure.
Le métal s’obtiendra aisément par réduction. Le métal s’obtient aisément par la réduction du sulfate de gallium en solution ammoniacale ou potassique soumise à l’électrolyse.
Sa densité sera 5,9 [6]. Densité du gallium, 4,7.
Il sera presque fixe et fusible à une température assez basse. Il est fixe même au rouge vif et ne s’oxyde pas à l’air ; il fond à 29,5°C.
Chauffé au rouge, il décomposera l’eau. Il ne s’oxyde pas par l’eau froide ou bouillante ; mais bien en présence de HCl avec un vif dégagement d’hydrogène. (On n’a pas encore essayé sur le gallium l’action de l’eau au rouge.)
L’oxyde d’ekaaluminium aura pour poids spécifique environ 5,5. Il doit être soluble dans les acides énergiques. L’oxyde Ga2O3 est soluble dans les acides.
Cet oxyde doit former un hydrate amorphe, insoluble dans l’eau, se dissolvant dans les acides et les alcalis. L’oxyde de gallium, insoluble et gélatineux, est précipité de ses sels par une faible quantité d’ammoniaque ; il est soluble dans l’ammoniaque en excès, dans le carbonate d’ammoniaque et dans les acides.
L’oxyde d’ekaaluminium formera des sels neutres et des sels basiques El2(OHX)6, mais pas de sels acides. On connaît des sels neutres de gallium, pas de sels acides (pour le moment).
L’alun ElK(SO4)2, 12 H2O sera plus soluble que le sel correspondant d’aluminium et moins cristallisable. Le gallium donne un alun soluble dans l’eau froide. Si l’on chauffe, ce sel est décomposé et la liqueur se trouble fortement. L’alun de gallium cristallise facilement en cubes et octaèdres.
Les propriétés basiques de El203 étant plus prononcées que celles de Al203 et moins que celles de ZnO, il faut s’attendre à ce que cette base sera précipitée par le carbonate de baryte. Les sels sont facilement précipités à froid par le carbonate de baryte.
La volatilité ainsi que les autres propriétés de l’ekaaluminium présentant la moyenne entre celles de l’aluminium et de l’indium, il est probable que le métal en question sera découvert par l’analyse spectrale, comme l’ont été l’indium et le thallium. Le gallium a été découvert par l’analyse spectrale.

On le voit, les propriétés supposées du métal hypothétique l’ekaaluminium de M. Mendeleeff, et celles qui ont été observées pour le gallium par M. Lecoq de Boisbaudran, ont une telle analogie (malgré quelques petites différences ou desideratum relatifs surtout aux données physiques), qu’on ne saurait aujourd’hui hésiter à prendre en très sérieuse considération la théorie qui a fuit d’avance prédire et décrire si minutieusement par le chimiste russe un certain nombre d’éléments encore inconnus, parmi lesquels vient se ranger si heureusement le nouveau métal. Quelque mal connues, et encore obscures en quelques points que soient les idées de M. Mendeleeff, je vais tâcher de les exposer aussi nettement que possible.

IV

L’hypothèse que les propriétés physiques et chimiques des corps dérivent en totalité ou en partie du poids de leurs atomes a depuis longtemps déjà préoccupé les esprits les plus divers. Prout, Gladstone, Pettenkoffer, Leussen, Odling et surtout Josiah Cooke et Dumas, avant Mendeleeff, s’étaient demandé s’il existait des rapports simples entre les poids des atomes des corps d’une même famille naturelle ou de familles différentes, et dans quelles relations ces poids pouvaient être avec les propriétés des éléments. M. Dumas [7], dans un important mémoire sur Les équivalents des corps simples, résume ses idées à ce sujet de la façon suivante :

« Lorsqu’on range dans une même série les équivalents des radicaux d’une même famille, soit de la chimie minérale, soit de la chimie organique, le premier terme détermine le caractère chimique de tous les corps qui en font partie. Le type du fluor reparaît dans le chlore, le brome, l’iode ; celui de l’oxygène dans le soufre, le sélénium, le tellure ; celui de l’azote dans le phosphore, l’arsenic, l’antimoine ; celui du titane dans l’étain ; celui du molybdène dans le tungstène … Comme si, en appelant a le premier terme de la progression et d sa raison on pouvait dire que, dans tout l’équivalent a + nd, c’est a qui donne le caractère chimique fondamental et qui fixe le genre tandis que nd détermine seulement le rang dans la progression et précise l’espèce. »

Dans le mémoire d’où nous extrayons ces lignes, M. Dumas explique clairement sa pensée en comparant entre eux les poids des équivalents des corps des diverses familles naturelles, et cherche s’il existe des rapports qui unissent entre eux les membres de ces diverses familles elles-mêmes, Nous allons reproduire ici quelques-uns de ces rapprochements en les présentant sous une forme un peu différente de celle de M. Dumas et qui nous a paru apte à rendre plus ’palpables ces rapprochements.

Soit la famille naturelle O, S, Se, Te … , Os. Il existe les rapports suivants entre les poids atomiques de ces corps :

Tous ces poids atomiques sont des multiples du poids 16 = 8 X 2 de l’oxygène, ou, comme dit M. Dumas, ils sont égaux à cet équivalent a augmenté de nd, la raison d étant ici égale à 8 et n étant un nombre entier très simple.

Mais, chose bien remarquable, il existe une classe de corps métalliques dont les poids atomiques sont, terme pour terme, en relation très simple avec les précédents dont ils ne diffèrent que par une quantité constante. Dans la famille naturelle Mg, Ca, Sr, Ba.,., Pb, on a en effet :

De même nous aurons pour la classe naturelle Az, Ph, As, Sb :

et, chose remarquable, comme dans le cas précédent, la famille naturelle des corps : Fl, Cl, Dr, I va reproduire les nombres de la famille Az, Ph, As, Sb par soustraction d’un terme constant - 9/2 et en reproduisant pour ainsi dire, point par point, les irrégularités légères des nombres de la progression précédente, Nous aurons donc :

Le terme -9/2 disparaît, et le léger modificateur 1/2 s’ajoute ou se retranche des nombres théoriques 9 X n dans le même sens que pour les termes correspondants de la famille de l’azote.

L’exemple de ces quatre familles naturelles comparées deux à deux semble donc montrer que non-seulement les poids atomiques sont liés entre eux dans les groupes naturels par des rapports relativement simples qui en font des multiples les uns des autres avec addition d’un terme constant, mais encore que ces mêmes. successions de rapports peuvent se retrouver répétées dans une autre famille naturelle qui ne paraîtrait pas avoir d’analogies chimiques avec la première ; seulement le terme constant à ajouter peut varier, comme si les mêmes rapports se reproduisaient par périodes dans la série des poids atomiques, avec additions successives d’une quantité fixe dans la même période, variable en passant d’une période à la suivante.

Ces observations frappèrent sans doute M. Mendeleeff, Il en ressortit peu à peu pour lui la conviction que les propriétés des corps sont des fonctions périodiques de leurs poids atomiques. Il énonça cette idée sous la forme suivante [8] :

« Les propriétés des corps simples, la constitution de leurs combinaisons, ainsi que les propriétés de ces dernières, sont des [onctions périodiques dérivant des poids atomiques périodiques des éléments. »

Pour M. Mendeleef, non-seulement dans une même famille les propriétés des corps simples varient d’une manière régulière comme les poids atomiques eux-mêmes et constituent de véritables fonctions de ces poids, non-seulement entre les poids atomiques des corps de deux familles naturelles, en apparence très éloignées, on peut retrouver les mêmes rapports reproduits avec addition d’un nombre ou facteur presque constant, mais encore entre les divers corps occupant le même rang n dans chaque famille naturelle, existent des rapports qui se reproduisent périodiquement pour la série des corps de rang n + 1, n + 2 … , et les atomes de même rang, toujours semblablement modifiés en passant d’une famille à l’autre, forment ainsi un certain nombre de périodes parallèles successives que l’auteur porte au nombre de douze. Dans la Première série périodique :

Li, Gl, Bo, C, Az, O, Fl,

les corps changent successivement de propriétés en raison de l’augmentation de leurs poids atomiques et suivant des règles que démontre une fois pour toutes l’expérience ; dans les périodes suivantes, les mêmes variations se reproduisent dans une nouvelle série d’éléments qui repasse régulièrement par les diverses phases de la première période.

Pour former ces Séries périodiques, Mendeleef met d’abord de côté l’hydrogène H = 1, qui forme comme le seul représentant connu de la Première série ; puis il range dans une première série périodique complète les sept corps ayant le plus petit poids atomique. Ce sont :

Li = 7 ; Gl=9,4 ; Bo=11 ; C = 12 ; Az = 14 ; O = 16 ; Fl=19.

Il appelle ce rang horizontal le rang typique ; la différence moyenne des poids atomiques des corps qui le composent à ceux de même rang de la série périodique suivante est de 16 environ. Cette différence sera de 24 à 28 dans le passage de toute autre période à la période suivante.

La Seconde série périodique se compose des sept corps ayant les plus petits poids atomiques, après ceux : du rang typique, rangés comme précédemment suivant l’ordre croissant de leurs poids atomiques. Ce sont :

Na=39 ; Mg=24 ; Al= 27,3 ; Si=28 ; P=31 ; S= 32 ; Cl=35,5,

et ainsi de suite en rangeant tous les corps suivant leurs poids atomiques croissants et par périodes successives.

Mais on observe tout de suite quo les corps ainsi classés par périodes horizontales successives, d’après cette règle purement empirique de l’augmentation do leurs poids atomiques, viennent aussi se ranger dans le sens vertical en familles naturelles. Ainsi (voyez le tableau ci-dessus) l’on a les groupes verticaux :

1. H, Li, Na, K . 2. Gl, Mg, Ca . 4. C, Si, Ti .

qui forment évidemment des ta tes de ligne de familles naturelles. Mendeleeff va donc trouver ici un nouvel indice qui lui permettra de classer les éléments. Entre Ca = 40 et Ti = 48 doit exister un élément inconnu, non-seulement parce que la différence 48 - 40 de ces deux poids atomiques est plus que supérieure au double de la moyenne des différences constatées entre les corps successifs qui forment cette IVe Série périodique, mais encore et surtout parce que le titane, analogue du silicium et du carbone, doit, dans le classement naturel, tomber dans le Groupe 4e qui comprend ces deux derniers corps. Mendeleeff réservera donc dans le tableau de sa classification la troisième place dans le Groupe 3e . C’est celle d’un élément inconnu dont nous apprendrons tout à l’heure à calculer le poids atomique et les propriétés. De même aussi à la suite du manganèse Mn = 55 se trouvent par ordre croissant de poids atomiques Fe = 56, Co = 59, Ni = 59 qui doivent former un Groupe 8 en dehors des sept groupes primitivement admis, car dans les corps suivants :

Cu= 63 ; Zn = 65 ….. As =75 ; Se = 78 …..

pour que le zinc se place dans le Groupe 2 :

Gl, Mg, Ca, Zn, Sr, Cd, Ba, Hg ….

pour que l’arsenic corresponde au phosphore (Groupe 5) et le sélénium au soufre (Groupe 6), il faut placer dans un Groupe 8 les éléments (d’ailleurs à poids atomiques très rapprochés) : Fe, Co, Ni, etc.

D’après les considérations et les règles très simples que nous venons d’exposer, M. Mendeleeff forme le tableau suivant :

Il serait trop long de développer ici les nombreuses observations que fait naître ce tableau. On remarquera que son auteur a classé quelques corps d’après des poids atomiques correspondant à des types d’oxydes ou de chlorures non généralement admis. Ainsi l’indium In a été classé parmi les métaux donnant des oxydes R2O3, et non RO ; or, la chaleur spécifique de l’oxyde d’indium est venue appuyer ce point de vue théorique [9]. Le césium fait partie du type Hü2 ; sa chaleur spécifique et la composition de quelques-uns de ses sels confirment cette proposition. Le thorium avec l’équivalent 232 correspond à l’oxyde ThO2 ; or MM. Chydenius et Delafontaine avaient proposé le même changement. Les équivalents de l’erbium, de l’ytrium et du didyme adoptés par M. Mendeleef correspondent aux oxydes R2O3, et M. Clève a accepté ces formules [10]. Le poids atomique de l’uranium est doublé dans le tableau ci-dessus ; MM. Roscoë et Hamelsberg se sont depuis ralliés à celle manière de voir.

Si nous examinons maintenant avec soin le classement des éléments ainsi obtenu en suivant les règles exposées plus haut, nous l’oyons d’abord que les corps simples ainsi placés suivant l’ordre croissant de leurs poids atomiques viennent horizontalement se ranger suivant des séries naturelles à types régulièrement variables qui se reproduisent à chaque période. Ainsi pour la Première Période complète composée de

Li, Gl, Bo, C, Az, O, Fl.

nous avons pour les combinaisons oxygénées correspondantes :

Li2O Gl202 Bo2O3 C2O4 Az2O5 O Fl
(S2O6) (Cl2O7)

L’oxygène s’ajoute donc régulièrement atome par atome, en passant d’un élément au suivant. De même pour les combinaisons de ces corps avec l’hydrogène, nous aurons les combinaisons régulièrement décroissantes en H :

  •  ; - ; — ; CH4 ; AzH3 ; OH2 ; FlH.

Nous voyons aussi à l’inspection attentive de ces séries horizontales qu’entre les rangs pairs comparés entre eux et les rangs impairs comparés aussi entre eux, il y a plus d’analogie qu’entre les rangs pairs et impairs. Laissant de côté la Période IIe ou typique, nous pouvons observer en effet : 1° que tous les métalloïdes sont placés dans les rangs impairs ; 2° que de deux en deux rangs les corps se correspondent mieux qu’en passant d’un rang à l’autre. Ainsi Ca, Sr, Ba des rangs pairs du Groupe 2 sont plus analogues entre eux que Mg et Ca ; Ca et Zn ; Zn et Sr. De même Ph, As, Sb du Groupe 5 sont plus rapprochés que Az de Ph, Ph de Va, Va de As, etc. ; 3° enfin les éléments de rangs pairs n’ont pas la propriété de donner (du moins facilement) de combinaisons avec l’hydrogène ni de radicaux organométalliques, etc. Ces différences profondes entre les rangs pairs et impairs ont fait admettre à M. Mendeleeff deux séries de périodes : une Petite Période comprenant toutes les séries horizontales de rangs impairs et composée de 7 Groupes seulement, et une Grande Période composée des rangs pairs (la période typique toujours exceptée) et comprenant S Groupes, les représentants du se groupe n’ayant d’ailleurs jamais de correspondants dans la Petite Période [11], d’où les noms de Grande et Petite Période. Ainsi chaque Groupe vertical comprend en réalité deux familles naturelles rapprochées, mais distinctes, dont les termes appartiennent à la série des périodes paires d’un côté, impaires de l’autre, et ont été rangées à droite et à gauche dans chacun des groupes verticaux du Tableau général.

Munis de cette remarquable classification qui rapproche comme on le voit les corps non point deux à deux et suivant une série linéaire, mais dans tous les sens à la fois suivant des analogies et des différences qui se répètent périodiquement à droite et à gauche et de haut en bas, nous allons avec M. Mendeleeff pouvoir déduire les poids atomiques et les propriétés d’un élément connu ou inconnu de ceux des éléments analogiquement groupés autour de lui.

Soit le sélénium Se. Son poids atomique 78 le place dans la Période Ve entre As = 75 et Br=80. Ces deux éléments lui servent de satellites à droite et à gauche. Au-dessus et au-dessous de lui sont venus se placer régulièrement, d’après leurs poids atomiques, le soufre et le tellure qui forment avec le sélénium la famille naturelle de droite, ou des corps des périodes impaires du Groupe 6e. Or, la moyenne arithmétique des quatre éléments ainsi choisis, et que M. Mendeleeff appelle atomanalogues, va donner pour le sélénium, ou semblablement pour tout autre corps, son poids atomique. - Représentons par XSe le poids atomique du sélénium, nous aurons

De même aurons-nous pour le strontium, par exemple, dont les quatre atomanalogues sont Rb, Yt, Ca, et Ba

Et pour le vanadium

cette règle va nous permettre de retrouver les poids atomiques des corps inconnus. Dans la famille naturelle du Groupe 4, entre Si et Sn existe une lacune. Le poids atomique x du corps inconnu est tel qu’en appliquant la règle précédente à l’arsenic, on a :

Tel est le poids atomique du premier corps inconnu de la famille du silicium, l’ekasilicium.

Le poids atomique de celui-ci étant ainsi calculé, nous allons pouvoir trouver maintenant celui du corps voisin inconnu du Groupe 3 que M. Mendeleeff a nommé ekaaluminium ; premier métal inconnu du groupe de l’aluminium [12]. Nous aurons en effet :

M. Mendeleeff va plus loin, et de la position des éléments dans son tableau de classement il cherche à déduire leurs propriétés physiques ou chimiques. Placé dans la Période V entre l’arsenic dont l’hydrure est AsH3, l’oxyde As2O5 [13] et le brome dont l’hydrure est BrH et l’oxyde Br2O7, le sélénium formera une hydrure de type intermédiaire entre RH3 et RH, soit SeH2, un oxyde intermédiaire entre R2O5 et R2O7, soit Se2O6 De plus et par sa position dans la famille naturelle S, Se, Te, etc., le sélénium aura des propriétés chimiques et physiques analogues et pour ainsi dire moyennes entre celles du soufre et du tellure. Enfin, relativement au chrome et au manganèse, le sélénium sera dans les rapports plus éloignés de l’arsenic vis-à-vis du vanadium et du chrome, du brome vis-à-vis du manganèse et du fer. Ces règles s’appliquent aussi bien aux corps connus qu’aux inconnus et nous allons voir, par quelques exemples, comment les applique le savant professeur de Petersburg.

« Je me propose, dit M. Mendeleeff, de décrire quelques propriétés des éléments inconnus pour établir et expliquer la loi des rapports périodiques qui existent entre les éléments placés d’après leurs poids atomiques … Par ces considérations on pourra facilement découvrir des corps inconnus, car leurs propriétés chimiques peuvent être prévues d’avance. »

« Dans le Groupe 3, nous avons l’ekabore Eb = 40. Son oxyde sera Eb2O3 intermédiaire par ses fonctions chimiques entre CaO et TiO2. Dans ses sels EbX3 (X radical monatomique), l’équivalent du métal sera à peu près égal à 15 ou 44/3, autrement dit intermédiaire entre celui du magnésium 12 et du calcium 20. Comparé à l’oxyde Al2O3 l’oxyde d’ékabore sera dans les mêmes relations que CaO vis-à-vis de MgO ou que TiO2 vis-à-vis de SiO2. Ce sera une base plus énergique que Al2O3 ; elle pourra former des sels Eb2 (SO4)3 moins solubles que Al2 (SO4)3 et ainsi de suite. L’oxyde sera insoluble dans les alcalis à l’exception de AzH3 et de ses sels pour lesquels je ne saurais affirmer. Le carbonate sera un sel insoluble dans l’eau, basique ; il sera précipité par KHO ; K2CO3 ; PO4Na2H ; etc. — Ce corps formera des aluns. Peu de ses sels seront bien cristallisables. On connaîtra peu de doubles sels. Le EbCl3 sera volatil. Eb2O6 s’il se forme, le sera moins ou presque pas. L’eau décomposera plus facilement EbCl3 que MgCl2. Son volume atomique sera à peu près égal à 78, intermédiaire entre ceux de CaCl2 = 49 et de TiCl4 = 109. La densité de EbCl3 = 2,0. L’oxyde à fonctions basiques ne neutralisera pas les acides forts, tels que ClH, AzO3H, SO4H2. La réaction de l’oxyde dissous dans l’eau sera alcaline. La densité de cet oxyde sera de 2,5 : ; son volume égal à 39. La densité de l’ékabore métallique doit être à peu près de 3,0. Ce sera, comme on le voit, un corps léger, difficilement volatil, cassant ; il ne décomposera l’eau qu’à une haute température. »

Plus loin, après avoir classé l’ékaaluminium et l’ekasilicium et décrit leurs principaux caractères [14], M. Mendeleeff montre dans quels sens doivent été tentées les recherches pour découvrir ces nouveaux corps.

« L’ékasilicium, dit-il, pourra se produire en faisant agir le sodium sur EsO2 ou EsK2Fl6. Ce sera un métal foncé qui, réduit en poudre, s’oxydera pour donner EsO2. Sa densité égale 4,4. M. Koxscharoff a décrit sous le nom d’ilmenorutile un corps analogue au rutile ayant une densité de 4,8 tandis que le rutile a pour densité 4,2. L’ilmenorutile correspond à l’oxyde EsO2. Nous aurons pour ce corps les atomanalogies suivantes :

ES : Ti : : Zn : Ca : : As : Va,

d’où nous pouvons voir que les fonctions basiques de EsO2 seront plus faibles que celles de TiO2 et SuO2, mais plus prononcées que celles de SiO2. De ces combinaisons aux acides l’oxyde sera plus facilement précipité que des solutions alcalines. Ces sels seront isomorphes avec ceux de Si, Ti, Zr, Sn (et par conséquent c’est à côté de ces corps qu’il faudra le rechercher dans les roches naturelles) … Le EsCl4 sera gazeux vers 100°, car SiCl4 bout à 57° et SnCl4 à 115° ; grâce à cette propriété on pourra le séparer de TiCl4 qui bout à 136°. »

« On trouvera l’ekasilicium dans les minéraux peu connus titanifères. Je pense même qu’il est en général mêlé au titane, car en calculant les analyses des chlorures obtenus par H. Rose, I. Pierre et Demoly nous arrivons pour le poids atomique du titane calculé d’après les expériences de ces auteurs aux nombres suivants :

Poids atomique du titane < Moyenne
H. Rose 48,08 48,48 48,26
I. Pierre 50,34 49,35 50
Démoly 57,3 55,9 56,8

Mes essais toutefois ne m’ont pas donné avec le chlorure de titane de corps volatil avant 135°. »

J’ai cité ces exemples pour montrer comment M. Mendeleeff fait dériver les propriétés physiques et chimiques principales des corps inconnus, de celles de leurs atomanologues et des rapports qui existent dans les groupes voisins entre les corps semblablement placés. On li : vu plus haut comment. appliquant les mêmes règles à l’ekaaluminium, il avait, sauf quelques légères erreurs relatives aux propriétés physiques, décrit le gallium plusieurs années avant sa découverte.

Certes, on ne saurait aujourd’hui ne pas prendre en très sérieuse considération une telle théorie. J’observe d’ailleurs qu’elle dérive d’une très remarquable classification qui respecte à la fois les groupements des corps simples en familles naturelles généralement admises, et qui en même temps, par un enchevêtrement très ingénieux de deux classements simultanés, rapproche les corps, dans chaque période, suivant l’ordre croissant de leurs atomicités. Quant à la loi périodique elle-même, à la division en Grande et Petite Périodes, à la nécessité de l’existence de certains éléments encore inconnus, aux petites erreurs que peut comporter le poids de l’atome calculé d’après la règle de Mendeleeff, aux règles qui servent ft déduire les propriétés des corps simples de celles de leurs atomanalogues, tous ces corollaires importants de l’idée principale peuvent présenter des desideratum et des obscurités, mais la conception de l’auteur russe n’en reste pas moins un puissant moyen de prévision et de recherches. S’il existe (et l’expérience démontre tous les jours qu’il en est ainsi) de nombreux corps simples que nous ne connaissons pas encore aujourd’hui, les esprits les moins enclins aux théories spéculatives admettront bien, je le pense, qu’il vaut mieux, pour nous guider dans ces recherches vers l’inconnu, la théorie même incomplète de M. Mendeleeff que l’absence de tout fil conducteur. La découverte du gallium et la presque identité de ses propriétés avec celles qui avaient été prévues d’avance, est venue d’ailleurs donner une importante sanction aux idées de l’auteur russe, aussi bien qu’à celles du savant français.

VI

Nous avons dit plus haut que le gallium avait été trouvé pour la première fois dans une blende de Pierrefitte dans les Pyrénées. Il a été recherché surtout dans les minerais de zinc. D’après ses analogies chimiques il devrait se trouver plus spécialement à côté de l’aluminium, ou dans les blendes riches en indium comme celles de Freiberg.

C’est un métal blanc, plus brillant que le mercure, d’une densité de 4,7 à 15°, fusible à 29°5, se liquéfiant dès qu’on le prend entre les doigts, et subissant aisément la surfusion. Ses gouttelettes ressemblent alors entièrement à celles du mercure, mais elles s’aplatissent sous la pression et adhèrent au verre en formant un miroir. Solidifié vers 10 ou 15°, le gallium se coupe au couteau et possède une certaine malléabilité.

Comme l’aluminium il ne s’oxyde pas à l’air ; chauffé au rouge il se ternit à peine, à la façon de l’indium, d’une très mince pellicule d’oxyde. Il ne paraît pas décomposer l’eau même à chaud. Comme l’aluminium il n’est point attaqué à froid par l’acide nitrique ; à chaud ce corps l’oxyde avec formation de vapeurs rutilantes. Comme l’aluminium le gallium se dissout vivement à froid dans l’eau acidulée par HCl. L’étincelle éclatant à la surface de la solution chlorhydrique donne une belle flamme violet-clair. Nous avons plus haut décrit ses raies spectrales (voy. fig. 28 et fig. 30).

Le chlorure elle sulfate précipités par l’ammoniaque donnent un oxyde blanc gélatineux, analogue à l’alumine, un peu soluble dans l’ammoniaque, bien soluble dans la potasse, insoluble dans l’acide acétique qui, même à froid, le précipite de son sulfate et de son chlorure.

Les sels de gallium à acides minéraux ne sont pas précipités par l’hydrogène sulfuré, sauf en présence d’acétate d’ammoniaque et d’acide acétique libre.

Ils précipitent par te sulfhydrate d’ammoniaque qui ne redissout pas le précipité. Ils sont aussi précipités à froid par le carbonate barytique.

Le sulfate de gallium s’unit au sulfate d’ammoniaque pour former un alun cristallisant en cubes et octaèdres. Ce sel est isomorphe avec l’alun ammoniacal ordinaire, car il continue à croître dans la solution de ce sel. Chose curieuse, la solution de cet alun se trouble fortement et précipite, quand on le chauffe, sans doute en donnant un sulfate basique. La formation de l’alun gallique fixe définitivement la formule Ga2O3 de l’oxyde de gallium.

Les minéraux qui jusqu’ici ont été trouvés les plus riches en gallium sont les blendes noires de Bensherg, les blendes jaunes des Asturies, et les brunes de Pierrefitte. Beaucoup d’autres minerais de zinc tels que : la blende rubanée et celle en bâtons de la Vieille-Montague, les blendes jaunes de Mendesse (Gard), les blendes brunes de Suède, les noires de Schwarzenberg (Silésie), les calamines du Gard et de Sardaigne, le zinc de la Vieille-Montagne, les tuthies de Corphalie, et les galènes de Pierrefitte ne contiennent pas ou presque pas du nouveau métal.

L’extraction du gallium est pénible. La blende pulvérisée est d’abord attaquée par l’eau régale, puis la solution presque neutralisée par du zinc. En décantant alors et faisant bouillir la liqueur avec un grand excès de zinc métallique on obtient un précipité de sous-sels qui, dissous dans l’acide chlorhydrique, est additionné d’acétate d’ammoniaque et précipité par l’hydrogène sulfuré. Le sulfure mêlé de zinc est dissous par HCl et la solution précipitée par le carbonate sodique. Le gallium se concentre dans les dépôts. L’oxyde de gallium est alors dissous dans l’acide sulfurique et dans la potasse, et celle solution soumise à l’action d’un courant voltaïque de 6 à 7 couples de Bunsen ordinaires montés en tension. Le métal se précipite bientôt sur l’électrode négative formée de platine. Il y adhère, tout en coulant à sa surface à la façon d’un amalgame de sodium assez liquide. Une fois solidifié à froid, on peut le détacher aisément.

430 kilogrammes des minerais les plus riches ont donné un peu moins de 1 demi-gramme de gallium ! Leur traitement poursuivi à Cognac par M. Lecoq de Boisbaudran dans son laboratoire, c’est-à-dire dans sa maison, a été une opération pénible, dangereuse même, pour la santé heureusement robuste de notre savant. Dix ans et plus de réflexions et de calculs, deux années de travail assidu et de dur labeur, une foi inébranlable dans ses idées, une persévérance à toute épreuve, voilà ce qu’ont coûté à M. Lecoq de Boisbaudran les 10 premiers centigrammes de gallium que nous avons eu le vif plaisir de voir devant nos yeux, à l’École de médecine de Paris, se déposer sur le platine de l’électrode négative. Ce n’est donc point facilement, comme le dit M. Mendeleeff, que l’ekaaluminium hypothétique est devenue pour tous le gallium réel. Certes les bonnes théories sont des instruments précieux et presque nécessaires, mais autre chose est de prévoir l’existence d’un nouveau corps, autre chose de le fabriquer ou de l’extraire net et brillant de ce tohu-bohu des mille matériaux du globe. Ce que nous touchons de nos mains, voyons de nos yeux, soumettons à nos réactifs, ceci nous appartient, c’est notre bien. Là dessus nous vivons, nous fabriquons, nous philosophons même quelquefois avec succès, car nous parlons d’un fait acquis, d’une réalité. Quant aux idées spéculatives, elles sont comme l’ombre du réel, qui ne prendra corps et consistance que lorsqu’un esprit à la fois élevé dans ses conceptions personnelles, exact dans ses méthodes, patient et tenace au travail, aura su dégager des mille hypothèses encore possibles le fait palpable et matériel. Alors seulement la découverte sera faite et la théorie mieux fondée.

Nous devons donc voir dans la découverte du gallium autre chose que la confirmation des vues si remarquables de MM. Lecoq de Boisbaudran et Mendeleeff, Nous connaissions déjà ce nouveau métal par des on dit. Du haut d’un sommet élevé un hardi explorateur disait avoir aperçu une terre inconnue située entre celles de l’aluminium et de l’indium. La plupart d’entre nous doutaient et auraient douté longtemps encore des affirmations du célèbre explorateur russe. M. Lecoq de Boisbaudran est entré en hardi voyageur dans le pays inconnu ; il en est le vrai conquérant. C’est son domaine.

A. Gautier

[1J’extrais tous les nombres relatifs aux spectres du bel ouvrage sur les Spectres lumineux, par M. Lecoq de Boisbaudran (Gauthier-Villars, éditeur. Paris, 1874).

[2L’existence de ces spectres particuliers aux corps composés a été démontrée du reste par M. A. Mitschertich et par M. Diacon. Ces auteurs ont examiné les lumières émises par les diverses molécules composées placées dans des conditions telles qu’elles ne puissent être dédoublées (Voy. Poggend., Ann. 1864, p. 459 et Ann. chim, phys. (4), t. IV, p. 5 et 23).

[3Lecoq de Boisbaudran, Compt, rend. Acad. sciences, 1871, p. 943.

[4M. Lecoq de Boisbaudran a certainement fait, comme nous, la curieuse observation que je signale ici. Toutefois, elle parait souffrir un grand nombre d’exceptions dues à cette cause perturbatrice plus haut signalée que, dans un même groupe, certaines raie, ne deviennent. visibles qu’à des températures déterminées. C’est ainsi que, dans les groupes correspondants du chlorure de calcium, observé dans le gaz chargé de HCl et dans l’étincelle d’induction, on a :

λ dans le gaz λ dans l’étincelle
626,5 626,5
622,0
620,2 620,2
619,1
618,1 618,1

les deux raies λ = 622,0 et λ = 619,1 données par l’étincelle d’induction manquent dans le spectre de CaCl2 examiné dans le gaz, et dans ce dernier la loi du groupe particulier que nous citons ici ne pourrait, par une exception apparente, être vérifiée en tenant compte des deux raies extrêmes λ = 626,5 et λ = 618,1.

[5Car les longueurs d’ondes sont inverses des poids atomiques, et par conséquent les raies cherchées de At doivent être plus réfrangibles que celles de In.

[6Mendeleeff avait admis pour densité de l’ekaaluminium la moyenne entre les densités du cuivre, de l’arsenic de l’aluminium et de l’indium ; en réalité la densité a été trouvée de 4,7, c’est-à-dire la moyenne entre celles de l’aluminium et de l’indium, métaux placés au-dessus et au-dessous de l’ekaaluminium dans son Groupe 3 (voy. plus loin le Tableau).

[7Ann. de chim, et de phys. (3), t. LV, p. 209.

[8Voyez sur les théories de Mendeleef les ouvrages cités et le Journal de la Société chimique russe, t, I, p. 60.

[9Bull. acad, Petersburg ; t. VIII, p. 45.

[10Berichle deutsch, chem, Gesel., t. VIII , p. 129.

[11Les représentants du se groupe ont d’ailleurs dans chaque période paire de grandes analogies de propriétés et des équivalents très rapprochés, ils ne sauraient être séparés.

[12C’est le corps répondant au gallium de M, Lecoq de Boisbaudrau.

[13M. Mendeleeff ne considère jamais pour son classement que les combinaisons des corps entièrement saturés ou arrivées, comme il dit, à leur stade de combinaisons.

[14Voir au paragraphe III les propriétés de l’ékaaluminium.

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