La découverte faite par Émile Brugsch bey, le 6 juillet 1881, dans le caveau d’un roi de la vingtième dynastie, est de la plus haute importance pour la botanique à cause du grand nombre d’espèces de plantes employées dans les sacrifices, les repas funéraires et dans les couronnes qui ornaient l’illustre mort. Parmi ces plantes il y en a plusieurs qu’on ne savait pas appartenir à l’ancienne Égypte. J’ai commencé l’étude des restes de ces plantes qui ont été retrouvées sur la poitrine des rois d’Égypte les plus célèbres ; elles sont d’une valeur inestimable pour la science. Chargé par M. Maspero de mettre en ordre ces vestiges pour le musée Égyptologique de Boulaq, je les ai classés selon les personnages haut placés, sur lesquels on les avait trouvés, Ramsès II, à Amenhotep 1er et à Aahmes 1er.
Les couronnes de Ramsès Il avaient été renouvelées vers la fin de la vingtième dynastie (1100 ou 1200 av. J-C.) ou à l’époque de la vingt et unième (1000 av. J.-C.). Suivant les inscriptions authentiques des cercueils, lesquelles ont été traduites par M. Maspero, un roi de cette époque avait fait faire un nouveau cercueil pour le grand Ramsès, celui dans lequel son corps avait été déposé d’abord ayant été accidentellement détruit. Dans ce nouveau cercueil se trouvaient plusieurs mètres de couronnes qui m’ont été remises par M. Maspero. Je les ai toutes examinées et me suis rendu compte de leur composition.
Les couronnes de Ramsès II sont formées de feuilles de mimusops schimperi, Hochst., pliées ou partagées en deux et piquées ensemble de manière à servir de fermoirs à des sépales et des pétales de Nymphœa cœrulea, Savi, et de Nymmphœa lotus, Hoock, le tout étant enfilé sur de petites bandes de feuilles de palmier dattier. En dehors des couronnes il y avait dans le cercueil qui entourait le corps, attachées parmi les bandes enroulées autour de la momie, des fleurs entières de Nymphœa cœrulea avec des tiges de dix-huit ou vingt pouces de longueur. Les nénufars dispersés ainsi séparément sur la momie étaient tous de l’espèce à fleurs bleues. L’examen de ces fleurs entières et des sépales et des pétales trouvés dans les couronnes, aussi bien des espèces à fleurs blanches que de celles à fleurs bleues, ne laisse aucun doute quant à leur identité avec les plantes que l’on trouve communément aujourd’hui dans les fossés de la basse Égypte, où elles fleurissent de juillet en novembre.
Le Nymphœa cœrulea, Savi, qui figure sur tous les monuments anciens de l’Égypte et dans les sacrifices peints sur les murs des temples, est souvent reconnaissable par la couleur bleue de ses pétales. Dans le temple de Ramsès Il, à Abydos, la couleur de ces pétales est parfaitement bien conservée, et en outre une feuille est toujours jointe à chaque grappe de fleurs, démontrant clairement par son-bord entier (non dentelé) que l’espèce représentée est bien celle du N. cœrulea et non celle du N. lotus. Malgré un cas cité par Unger, où, à Beni Hassan, la fleur blanche peut être reconnue, je n’ai pas rencontré sur les monuments anciens le N. lotus dont les sépales et les pétales se présentent en abondance dans les couronnes trouvées aux cercueils de Ramsès Il et d’Amenhotep Ier. Quant à l’espèce à laquelle il faut attribuer le vieux nom de Lotus, j’ai pu constater les faits suivants : sur les monuments anciens aucun document ne peut être attribué au Nelumbium ; ni les fruits, ni les feuilles, si faciles à reconnaître, ne s’y trouvent. De plus, on n’a rencontré des restes de Nelumbium, ni dans les cercueils, ni dans les sacrifices ou repas funéraires déposés dans les caveaux des Pharaons. Le nom de Lotus n’a été attribué au Nelumbium qu’à une époque beaucoup plus tardive. Cette plante ne se trouve pas parmi les plantes sauvages de l’Afrique. Elle appartient évidemment à l’Asie et n’a peut-être pas été introduite en Égypte avant l’invasion des Perses. Au temps de Radamès elle était probablement cultivée partout en Égypte, car nous la trouvons souvent, dans les mosaïques, les sculptures de cette époque, avec des papyrus et les animaux qui vivent dans le Nil.
Hérodote (lib. II, cap. XCII) est l’écrivain le plus ancien qui cite le Lotus d’Égypte, de façon à indiquer sûrement qu’il parle du Nelumbium et non d’une espèce de Nymphœa ; après lui, Théophraste (Hist. Plant., lib. IV) et Strabon font de même, tandis que Pline (lib. XIII) fait clairement allusion à un Nymphœa en comparant le fruit à la capsule d’un pavot.
Le Mimusops était évidemment pour les Égyptiens anciens un arbre sacré. On trouve souvent dans les caveaux les fruits, ou les noyaux de fruits qui avaient été mangés dans les repas funéraires ; les feuilles se trouvent, comme les spécimens du musée de Leyde l’attestent, non seulement dans les couronnes de l’ancien empire, mais aussi dans celles d’époques plus récentes, même jusque dans celles de l’époque gréco-romaine.
Le fruit du Mimusops trouvé dans les caveaux d’Égypte ressemble exactement - sauf un peu plus d’ampleur du noyau - à celui du Mimusops kummel, Bruce, espèce qu’on trouve partout en Abyssinie et dans la région du haut Nil, quoique nulle part en Égypte on ne la rencontre à l’état sauvage. Les feuilles, dont les couronnes en question sont composées, devaient appartenir à la même espèce que les fruits trouvés dans les tombeaux. Néanmoins, en les comparant aux spécimens nombreux du Mimusops kummel, je n’ai pas trouvé l’identité parfaite à laquelle on devait s’attendre, d’après la ressemblance des fruits. Dans l’Afrique centrale et en Abyssinie il existe une espèce voisine dont les feuilles ressemblent beaucoup plus à celles qu’on a trouvées dans les couronnes. Un pétiole plus long et surtout plus mince, plus faible et un limbe plus aigu, moins abruptement acuminé, caractérisent ces feuilles. Quant au fruit du Mimusops schimperi, je n’ai pas eu l’occasion de l’étudier. De plus, les deux espèces ne sont pas suffisamment établies comme espèces distinctes. Cependant un caractère anatomique me vint en aide. M. Westermaier, de Berlin, affirme que les feuilles du Mimusops schimperi et du M. elengi, L., ont une double couche de cellules épidermiques, caractère distinctif qu’elles ont en commun avec les feuilles trouvées dans les tombeaux anciens. Les feuilles du Mimusops kummel, au contraire, n’ont qu’une simple couche de cellules épidermiques. Si ce caractère distinctif est constant dans les deux espèces africaines, il y a une double raison pour nommer le Mimusops, ancien M. schimperi, Le fruit du M. elengi est très différent de celui qu’on trouve dans les tombes. Il est probable que celte espèce, dont nous trouvons si souvent les fruits et les feuilles dans les lombes des anciens Égyptiens, est le Persea des vieux auteurs, que les botanistes modernes ont par erreur compte parmi les Balanites et les Diospyros mespiliformis. Jusqu’ici ce dernier n’a pas été trouvé dans les tombeaux anciens ni représenté sur les monuments. Diodore (lib. I, p. 34) nous a transmis une tradition précieuse concernant le Persea, Il raconte qu’il fut introduit en Égypte par les premiers colons venus de l’Éthiopie, ce qui implique clairement que les anciens auteurs le regardaient comme ayant été apporté des régions du haut Nil, et non comme appartenant à la flore indigène. Les Balanites se trouvent pourtant à l’état sauvage dans les vallées de la Thébaïde orientale, sur les bords de la mer Rouge, et sont généralement répandus dans la Nubie. Il est vrai que le fruit a été trouvé dans les repas funéraires des tombes, mais celui du Mimusops y a été trouvé bien plus fréquemment, et, à l’appui de mon hypothèse, les feuilles épaisses des Balanites font toujours défaut dans les couronnes.
Selon Théophraste, le Persea avait un bois noir, et il compare ses fleurs à celles du pommier. Je ne connais pas suffisamment le bois du Mimusops ; mais, quant aux fleurs, il faut admettre qu’aucun auteur ancien n’a jamais fait une comparaison moins susceptible de méprise ; tandis que les fleurs des Balanites n’ont rien de commun avec celles du pommier. Pline (lib. XlII, p. 9) ne parle pas du Persea, mais du Persica, et la seule chose qui puisse nous surprendre, c’est qu’il en parle comme d’une plante indigène de l’Égypte. Il mentionne aussi la particularité de la variété Égyptienne du pêcher, laquelle consiste dans son feuillage persistant. Même à présent, au milieu de l’hiver, nous voyons les pêchers fleurir, tandis qu’ils gardent encore leurs feuilles. Le même auteur (lib. XV, p. 13) fait ressortir expressément la différence entre le Persica et le Persea. Sur les monuments Égyptiens nous voyons souvent un arbre représenté en forme de diagramme, quoique les feuilles distiques, elliptiques et pointues soient manifestes. Cet arbre, consacré à Hathor ou à Isis, et souvent dessiné à côté de ces divinités, représente probablement le Mimusops en question. Le fruit du Mimusops kummel de l’Afrique centrale ressemble comme aspect et comme goût à celui de la rose sauvage ; il est possible aussi qu’on puisse obtenir par la culture un fruit encore plus agréable au goût. En effet, les fruits des spécimens de cette espèce trouvés en Abyssinie paraissent beaucoup plus pulpeux.
Les couronnes trouvées à Deir-el-Bahari sont toutes faites d’après le même modèle. Les feuilles sont pliées au milieu dans le sens de la longueur [1], puis pliées encore une fois dans le sens contraire sur une bande, large d’environ un sixième de pouce, d’une feuille de palmier dattier. Dans le pli de chaque feuille, des fleurs séparées, ou des parties de fleurs (sépales et pétales), sont insérées de façon à être fixées dans la feuille comme dans une pince. Les feuilles sont ensuite traversées par une bande d’une feuille de palmier plus étroite que la bande centrale, et fermement fixées côte à côte, dans la même direction, sur de longues rangées. Ces couronnes sont disposées en demi-cercles sur la poitrine de la momie, de la même manière que les colliers d’aujourd’hui. Elles sont très minces et se prêtent ainsi à être employées en grand nombre ; quelquefois on les rencontre par couches superposées, remplissant l’espace qui existe entre la momie .et le couvercle du cercueil.
Il est probable que c’est à cette espèce de couronnes que Pline fait allusion (lib. XXI, p. 2) en parlant de « ce qu’on nomme couronnes Égyptiennes », couronnes dont Plutarque et Athénée vantent la beauté. Malheureusement ces couronnes, qui auraient pu être enlevées entières de la momie en ouvrant le cercueil, ont été rompues et réduites en poudre à différents endroits. En les mettant dans de l’eau bouillante ou froide, selon les espèces, les feuilles retrouveront leur flexibilité primitive, spécialement les Nymphœa cœrulea, et, avec les précautions nécessaires on réussira à les étendre et à les sécher de nouveau. La fragilité de ces objets est seulement due à l’état d’extrême sécheresse auquel ils sont arrivés pendant les trente ou trente-cinq siècles qu’ils ont passés dans les tombes. En même temps c’est là une des raisons de leur conservation remarquable.
Je n’ai encore examiné que partiellement les couronnes des autres rois de ce caveau. Cependant, à juger de leur apparence générale, aussi bien que des fleurs et des feuilles dont elles sont composées, et qui indiquent une différente saison [2] de l’année, on les attribuerait à juste titre à une époque différente de celle pendant laquelle les couronnes de Ramsès Il ont été renouvelées. Si elles datent réellement du temps où les corps des rois de la dix huitième dynastie ont été déposés d’abord dans le caveau, nous avons affaire ici à des spécimens âgés de quatre ou de cinq siècles de plus que les couronnes de Ramsès II. En tout cas, ces objets sont au moins du même temps que la guerre de Troie, sinon plus anciens de plusieurs siècles.
Les couronnes d’Amenhotep Ier (trouvé intact dans son cercueil pendant la vingtième dynastie et qui, selon Brugsch, avait précédé Ramsès II de trois siècles) étaient plus variées. Dans le nombre il s’en trouvait quelques-unes composées, comme celles de Ramsès II, de feuilles de Mimusops et de sépales et de pétales des deux espèces de Nymphœa ; d’autres, au contraire, étaient formées de feuilles de Salix safsaf, Forsk., lesquelles servent de fermoirs aux petites boules de fleurs d’Acacia nilotica, Del., à des parties de fleurs de Carthamus tinctorius, L., ou à des pétales séparés d’Alcea ficifolia, Cav.
Personne n’a pu reconnaître ni le Salix, ni l’Alcea, parmi les centaines d’espèces de plantes égyptiennes énumérées par Pline ou dans les écrits des autres anciens auteurs, tandis que l’on rencontre l’Acacia et le Carthamus sous les noms d’Acanthos et Cnicus, Quant au premier, Pline (lib. XIII, p. 19) mentionne l’emploi de son bois dans la construction de bateaux, de sa gomme, de sa casse dans le tannage ; il parle même des épines trouvées sur les feuilles ; en un mot, il indique les traits distinctifs de l’espèce et ajoute que les feuilles sont employées dans les couronnes. Plusieurs des anciens auteurs parlent de cet arbre. Quant au Cnicus ou knekas (Pline, 1. XXI, p. 53), il n’est reconnaissable qu’à son caractère épineux et à sa graine grande et blanche qui donne une espèce d’huile. De plus, il est indiqué comme existant à l’état sauvage et l’état cultivé, ce qui est exact. Les fleurs de Carthamus trouvées dans les couronnes d’Amenhotep 1er ont gardé leur couleur rouge et ressemblent à celles de l’espèce qu’on cultive partout en Égypte aujourd’hui. La couleur a changé, comme dans les spécimens d’herbiers récents, de rouge en rouge brun ou orangé. Quand on met ces plantes dans de l’eau, la matière colorante est rapidement sécrétée, et nous voyons ces fleurs de quelque trente ou trente-cinq siècles prêter une teinte intense au liquide des doles qui les contiennent [3]. Pour la première fois, les quatre plantes que je viens de nommer ont été trouvées toutes dans une tombe égyptienne. Les feuilles de Salix safsaf, qui forment la plus grande partie des couronnes d’Amenhotep 1er et d’Aahmes 1er, ne diffèrent en rien de celles d’aujourd’hui et cette espèce est commune en Égypte. Elles sont jeunes, c’est-à-dire petites et pâles, et indiquent ainsi une saison avancée de l’année. A cet égard, elles diffèrent des pétales bleus et blancs de Nymphœa trouvés dans le même cercueil - non pas dans les mêmes couronnes que le Salix - mais bien dans celles faites de feuilles de Mimusops. Ces dernières ressemblent beaucoup aux couronnes trouvées sur la momie de Ramsès II. Au moment de déplacer les rois des dix-huitième et dix-neuvième dynasties pour les transporter d’un caveau à un autre et finalement à la retraite de Deir-el-Bahari, où un nouveau cercueil fut fait pour Ramsès Il, on a peut-être renouvelé une partie des couronnes des autres rois. Peut-être aussi a-t-on ajouté quelques nouvelles couronnes aux anciennes en vérifiant l’état des momies (sous la vingtième ou vingt et unième dynastie). Cela expliquerait la présence dans le même cercueil de fleurs appartenant à des saisons différentes de l’année.
Le Salix safsaf, qui pousse à l’état sauvage sur les bords du Nil en Nubie, n’est en Égypte même qu’un Fugitif riverain comme beaucoup d’autres plantes dont le vrai séjour est dans le Midi. Loin du fleuve, il n’existe qu’étiolé et chétif, surtout près de sources ou de canaux. Je le considère comme un spécimen de la flore sauvage que l’agriculture a fait disparaître. L’Alcea ficifolia, Cav, ne se trouve maintenant en Égypte que dans les jardins arabes du Caire et d’autres villes - c’est-a-dire des jardins qui datent du temps qui a précédé l’horticulture européenne, introduite par Barillet en 1869. Dans ces jardins, il pousse presque comme les mauvaises herbes. Je l’ai trouvé aussi à l’état sauvage en Syrie et dans le Liban. Boissier, dans sa Flora orientalis, ne l’a pas clairement défini ; il en présente une ou deux autres formes comme des espèces distinctes, quoiqu’en réalité, il n’en soit pas ainsi. Les pétales de l’Alcea contenus dans les couronnes d’Amenhotep 1er appartiennent sans aucun doute à l’espèce qui vient d’être nommée. Leur forme, la distribution des veines et spécialement la callosité velue de la surface intérieure de l’onglet de pétale, leur grandeur même, tout confirme l’identité des espèces. De plus, on voit dans les pétales des couronnes anciennes des traces d’une teinte pourpre qui correspond à la teinte cramoisie de la plante en vie. Les anciens estimaient probablement celle plante autant pour sa beauté que pour ses propriétés médicinales.
J’ai examiné une tête de fleur d’Acacia nilotica provenant d’une des couronnes, et j’ai trouvé que les fleurs correspondent, jusque dans les détails les plus minutieux, aux fleurs fraîches dont je connais suffisamment les caractères distinctifs. Les proportions du pédoncule, la position de la bractée annulaire, la forme des bractéoles, le calice, les pétales et les étamines de chaque fleur, rien ne présente la moindre différence. Cet arbre, planté ou toléré par les hommes partout en Égypte, ne se trouve nulle part complètement à l’état sauvage, excepté sur les bords du Nil blanc entre 11 et 12° latitude nord, où on en trouve de grandes forêts riveraines.
Les couronnes trouvées dans le cercueil d’Aahmes 1er, le grand fondateur de la dix-huitième dynastie (selon Brugsch, 1700 avant J.-C.), sont les plus variées et frappent les yeux par les couleurs brillantes qu’elles ont conservées. Elles sont composées, en partie, des feuilles du saule égyptien (Salix safsaf), de fleurs séparées de Delphinium orientale, Gay, de Sesbania œgyptiaca, Pers., de pétales d’Aleca ficifolia ou de têtes de fleurs d’Acacia nilotica, et en partie de feuilles de mimusops, qui servent de fermoirs aux pétales des deux espèces de Nymphœa, comme dans les couronnes de Ramsès II et d’Amenhotep ler. Le Delphinium et le Sesbania n’avaient pas encore été authentiquement reconnus dans l’ancienne Égypte. Les couleurs de leurs fleurs sont admirablement conservées, le violet foncé du premier est surtout frappant ; mais les spécimens placés dans une fiole d’alcool ont perdu leur couleur, comme le feraient des fleurs fraîches de notre temps. Le Delphinium orientale est distribué maintenant sur une grande partie de la région de la Méditerranée. Les localités les plus proches de l’Égypte où il a été trouvé sont l’Algérie et la Syrie septentrionale près de Raldoun. Il est possible qu’il se trouve encore dans quelques parties de l’Égypte et qu’il ait été cultivé par les anciens égyptiens comme une plante ornementale. Dans le cas où nous pourrions prouver que quelques-unes des couronnes d’Aahmes 1er et d’Amenhotep 1er ont été déplacées au temps de la vingtième dynastie, en même temps que celles de Ramsès II, on aurait raison de supposer que celte plante et l’Alea ficifolia auraient été introduites en Égypte à l’époque de la conquête de la Syrie. Une analyse minutieuse de ces fleurs et la comparaison de ces fleurs avec celles de différentes localités nous montrent clairement qu’elles sont bien les espèces mentionnées. Si j’avais pu me procurer un plus grand nombre des fleurs de l’époque actuelle, je suis sûr que j’en aurais trouvé de parfaitement semblables aux anciennes. Je puis signaler en peu de mots les différences que j’ai pu découvrir entre les fleurs anciennes et les fleurs récentes de l’Algérie, du Caucase, de la Phrygie et de la Lycie, lesquelles m’ont été fournies par la bienveillance de M. E. Boissier. D’abord il y a deux étroites bractéoles linéaires qui dépassent le pédoncule dans le sens de la longueur, et qui se trouvent réfléchies ; l’ovaire est moins pubescent, et les sépales plus étroits et moins aigus. Quant à la bractée, le pédoncule gonflé, la forme, le nombre et la disposition des étamines, le stigmate et spécialement les pétales simples, j’ai vu des fleurs récentes dans lesquelles ces organes sont absolument identiques. On verra que les traits de caractère dans lesquels elles diffèrent ne sont que d’une valeur individuelle. De plus, les espèces en question, communément cultivées à présent, comprennent un nombre considérable de formes. Ainsi il y a des variétés dans lesquelles le pétale simple n’a que trois lobes, tandis que dans d’autres, le lobe intermédiaire est encore divisé. On rencontre les deux cas dans les fleurs anciennes. Ces fleurs sont si bien conservées que sous l’influence de l’eau bouillante, l’éperon du sépale postérieur peut facilement être séparé de celui du pétale qui y fait insertion. Les détails nombreux du pétale, son système veineux compliqué, les glandes colorées des bords, l’onglet à deux plis latéraux, tout est analogue aux spécimens récents. La couleur des anciennes fleurs est plutôt un violet foncé bleuâtre qu’un violet rougeâtre, comme celui des plantes de nos jours.
J’ai soigneusement analysé aussi les fleurs de Sesbania œqyptiaca trouvées dans les couronnes d’Aahmes 1er. Elles appartiennent à la forme type de l’arbuste qui pousse encore en Égypte sur les bords des champs cultivés et des routes, quoiqu’il ne pousse pas en réalité spontanément, plus bas que le Soudan. Les fleurs sont si bien conservées que nul moindre détail n’a échappé à mon examen. Soumises à l’action de l’eau bouillante, elles différaient à peine des fleurs prises dans mon herbier. Une circonstance montre combien ces couronnes funéraires ont été faites à la hâte. La fleur arrachée de son pédicelle et pincée avec les ongles des doigts ne garde toujours qu’une partie du calice coupé au milieu.
Dans les fouilles de Deir-el-Bahari, on a découvert ; pour la première fois, d’autres objets que des couronnes. Ainsi dans le cercueil du prêtre Nibsoni, de la vingtième dynastie, des feuilles de Citrulius vulgaris étaient dispersées entre le corps de la momie et les parois du cercueil, et des fleurs de Nymphœa cœrulea fixées au-dessous des bandes extérieures de la même momie. Le musée égyptologique de Berlin possédait déjà des graines de ce Citrullus dans la collection de Passalacqua, quoique l’époque à laquelle la collection appartient soit inconnue. Le Citrullus vulgaris pousse à l’état sauvage dans la plus grande partie de l’Afrique centrale [4] ; son fruit est plus petit que celui de l’espèce cultivée et d’un goût moins agréable, quoiqu’il lui ressemble en toute autre chose. J’ai trouvé parmi les restes en morceaux une seule feuille entière qui m’a permis d’étudier pleinement son caractère spécifique. Placée dans de l’eau froide, cette feuille a recouvré sa flexibilité primitive, de sorte qu’elle a pu être étendue à plat et séchée de nouveau ; la chlorophylle était parfaitement conservée, et, ce qui est curieux, elle fut absorbée par l’eau à un tel degré, que l’eau du verre dans lequel la feuille et les parties de feuilles avaient été placées devint d’une couleur vert intense. Le problème à résoudre était de savoir si les feuilles étaient celles du melon d’eau ou celles de la coloquinte, espèce répandue sur toute la région déserte, et qui ne diffère du premier, dont le jeune fruit est garni de poils longs, que par la complète nudité et la nature spongieuse de son fruit amer à écorce dure, et par ses graines. Les feuilles du melon d’eau ressemblent souvent beaucoup à celles de la coloquinte, spécialement celles de la variété appelée en Égypte Gjurma (Gyurma), et qui porte un fruit de même dimension que celui de la coloquinte, quoiqu’il soit toujours sucré. Néanmoins, les grandes feuilles à contour allongé et à lobes moins nombreux sont rares dans la coloquinte, et on ne les trouve qu’à des endroits bien arrosés par la pluie. Il y a dans les feuilles trouvées sur la momie de Nibsoni une association de traits distinctifs qui nous permet de les comparer aux variétés du melon d’eau cultivées, plutôt qu’à la coloquinte sauvage. L’emploi des deux espèces est également admissible dans un cercueil de l’ancienne Égypte. Une plante alimentaire peut servir comme objet de sacrifice, aussi bien qu’une plante médicinale. Le fait qu’Il y au musée de Berlin des graines de melon d’eau provenant d’une tombe ancienne sert pourtant à appuyer ma première supposition. Les feuilles trouvées sur Nibsoni sont longues d’environ 0m,0762, de forme pennatiséquée, et ont des lobes obtus. Si elles étaient distinctement velues, il n’y aurait plus de doute, elles appartiendraient au melon d’eau. Il y a pourtant, comme je l’ai déjà dit, une variété largement répandue en Égypte, qui n’a pas les poils longs et nombreux attachés aux tubercules, dont les feuilles sont couvertes, mais seulement des soies courtes, ce qui est le cas aussi de la coloquinte.
Cette variété du melon d’eau, que j’ai nommée Coloquintoïde, est le Gyurma des Égyptiens, et on le trouve cultivé dans les terres sèches négligées de la haute Égypte. C’était probablement la condition primitive de l’espèce, avant qu’elle eût atteint son état de perfectionnement actuel. Les feuilles du Gyurma sont quelquefois velues, comme celles du melon d’eau, quelquefois pourvues seulement de soies courtes et décidues comme celles de la coloquinte. Les feuilles du cercueil de Nibsoni ne présentent que la dernière particularité. Il est possible qu’elles aient perdu une grande partie de ces poils décidus pendant la longue période de temps écoulé. J’ai trouvé pourtant un trait distinctif que le Gyurma a en commun avec les feuilles en question. Il y a sur le pétiole, et spécialement sur la surface inférieure de la feuille de milieu, parmi les tubercules ronds dont elle est fournie, d’autres tubercules ou callosités d’une forme linéaire allongée et rangés en lignes qui correspondent aux veines secondaires. Sur les feuilles du cercueil aussi bien que sur celles du Gyurma, les tubercules allongés sont beaucoup plus proéminents qu’ils ne le sont dans la coloquinte. De plus, les spécimens nombreux de la coloquinte que j’ai examinés ont tous des feuilles plus amplement fournies de tubercules ronds que les feuilles du melon d’eau, du Gyurma et les feuilles anciennes.
Le caveau secret de Deir-el-Bahari contenait aussi, en dehors des cercueils de tant de rois illustres, de nombreux sacrifices funéraires qui y avaient été déposés par les derniers rois de la vingt et unième dynastie qui tous employaient ce caveau collectif si bien caché à tous les regards. Dans ces sacrifices j’ai pu reconnaitre des dattes, des raisins et des pommes de grenade. Il y avait aussi un panier rempli de lichen (Parmelia furfuracca, Ach.) qui se vend aujourd’hui dans les bazars de drogues de toutes les villes de l’Égypte. On l’appelle maintenant Chèba (Sheba), et on l’emploie pour relever le goût du pain arabe et pour le faire lever. Il est très recherché aussi dans la médecine. La présence d’un lichen d’origine exclusivement grecque, employé avec le Parmelia perfupacea et qui se rencontre parmi les drogues modernes, met hors de doute son caractère de produit commercial. Le Rumalina grœca, Muell., Arg., qui existe, dans le caveau, mélangé avec le Parmelia, n’a été trouvé que dans les Iles de l’archipel Grec et les commerçants arabes regardent ces pays comme la source de leurs drogues. Il n’y a aucune localité en Égypte, où le Parmelia furfuracea pourrait pousser, de sorte que l’on ne peut expliquer sa présence dans les sacrifices de la vingt et unième dynastie (1000 av. J.-C.) qu’en le supposant importé de l’Abyssinie ou de la Grèce. Dans le dernier cas, la trou vaille de Deir- el- Bahari prouverait l’existence de relations commerciales avec la Grèce au temps de la guerre de Troie environ. Avec le Parmelia (qui est peut-être le Sphagnos de Pline), il y avait aussi des fragments de Usneaplicata [5], Hoffmg, et la paille d’une espèce de graminées (Gymnanthelis lonigera, Anders.) de Nubie, qui est aujourd’hui employée par les indigènes comme un remède contre les affections de poitrine et d’estomac. En examinant les fragments de cette plante, j’ai réussi à trouver quelques rares épis de fleur bien conservés que j’ai étudiés avec soin et jugés appartenir aux espèces nommées. En arabe, cette plante s’appelle Mahareb. L’odeur même de cette herbe s’est dans une certaine mesure conservée dans le mélange du sacrifice. La sécrétion odoriférante est de la même nature que celle de l’espèce voisine, Schœnanthus andropoqon des Indes. A côté des lichens et des graminées, ce sacrifice contenait : les boutons velus de quelque composée, probablement d’un Artemisia avec des feuilles pennatiséquées ; des vrilles de quelque cucurbitacée, des graines de coriandre, et de nombreuses baies et graines du genièvre oriental (Juniperus phœnecia). Ayant ici affaire à des plantes sortant des régions opposées de l’Afrique, ou de l’Europe et de l’Asie, il n’était pas facile de se prononcer sur les cucurbitacées et les composés mentionnées. La coriandre est une plante qui a été cultivée de bonne heure en Égypte ; elle a déjà été nommée par Pline comme un des meilleurs produits de ce pays. Les baies et les graines du genièvre (cette dernière en liberté, à cause de la décomposition de la baie) n’ont pu venir que de la Syrie ou des iles de la Grèce. Je les ai soigneusement comparées aux espèces voisines, y compris le Juniperus excelsa (qui a des baies plus grandes et jusqu’à six graines beaucoup plus épaisses) et il est hors de doute qu’elles appartiennent au Juniperus phœnicea, L. Kunth avait précédemment déterminé cette espèce dans la collection Passalacqua.
Parmi les fragments des sacrifices et des repas dispersés sur le plancher du caveau de Deir-el-Bahari, quand il fut inspecté pour la première fois par Brugsch bey (quelques-uns de ces objets avaient déjà été dérangés par des brigands arabes), il y avait un tubercule de Cyperus esculentus, L., dont quelques spécimens de l’ancienne Égypte sont aussi conservés au musée de Berlin. Cette plante est commune à l’état sauvage et généralement cultivée dans le pays.
En finissant cette énumération, il me reste à mentionner un paquet d’herbes appelées Halfa par les Égyptiens (non le Halfa de Tripoli et d’Algérie), Septochloa bipinnata, Hochst., syn, : Eragrostis cynosuroïdes, Retz. Ce paquet faisait probablement partie d’un sacrifice qui représentait les productions du sol noir et fertile de la vallée du Nil et dont ces herbes formaient un échantillon complet.
SCUWEINFURTH.