Physiologie comparée
Cours de M. Pouchet
(Muséum d’histoire naturelle de Rouen)
Les générations spontanées [1].
Deux opinions sont en présence au sujet des animaux et des plantes qui apparaissent partout où une substance organique se décompose.
Quelques savants pensent que l’atmosphère charrie tous les promoteurs de cette incommensurable fécondité qui se manifeste au milieu de toutes les matières abandonnées il la fermentation ou à la putréfaction.
D’autres, pour la plupart physiologistes, croient que l’air ne recèle nullement dans les proportions convenables les œufs et les semences qu’il faudrait qu’il contint pour cela, et que les plantes ou les infusoires qui surgissent partout où une substance organique s’altère, s’y développent par génération spontanée.
Ceux qui soutiennent la première de ces opinions sont vulgairement appelés panspermistes ; les partisans de la seconde, hétérogénistes.
Les naturalistes se sont servis de trois moyens pour arriver il ’la connaissance de la vérité : de la micrographie, des expériences chimiques et des expériences physiologiques.
I. - Micrographie atmosphérique, ou les faits démontrés.
Nous n’en sommes plus i l’époque de Bonnet et de Spallanzani, dont on nous reproduit sans cesse les idées. Grâce à nos instruments qui amplifient quinze cents fois le diamètre des objets, ou qui coupent un millimètre en dix mille parties : la micrographie atmosphérique a acquis un grand degré de certitude, et elle a anéanti toutes ces frivoles hypothèses qui avaient tant de crédit durant le siècle dernier, et prêtaient une si grande animation au style épistolaire de nos devanciers. On peut facilement dresser le catalogue des corpuscules de l’air, à l’aide de cinq moyens, soit en observant simplement la poussière, l’eau ou la neige, soit en employant l’aéroscope ou l’examen des organes respiratoires des animaux.
En opérant sur la poussière au repos, que l’on rencontre dans les solitaires détours de nos vieux monuments, on peut recueillir le dépôt de corpuscules de plusieurs millions de mètres cubes-d’air, et retrouver tout ce qui, depuis un certain nombre de siècles, en a altéré la pureté.
La neige, en tombant à gros flocons, recueille aussi, avec une grande perfection, tous les détritus de l’air. Tant qu’il gèle, la blancheur de celle-ci n’en est nullement altérée ; mais quand la neige fond, les corpuscules, en se rassemblant à la surface de celle-ci, y forment une couche épaisse et d’un noir sale. Dans 500 grammes de neige fondue à vaisseaux clos, j’ai rencontré jusqu’à 57 milligrammes de ces corpuscules.
L’aéroscope, qui rassemble sur une lame de verre les moindres corpuscules qui flottent dans l’atmosphère, et il l’aide duquel on étire, si on le veut, un décimètre cube d’air sur plusieurs lieues de longueur, a amplement contribué à élucider la micrographie atmosphérique, En employant cet instrument, le docteur Eiselt a découvert dans l’air le pus d’une ophtalmie contagieuse qui sévissait dans un hôpital de Prague.
Enfin, en faisant passer des courants d’eau distillée dans les plus fines divisions de l’appareil respiratoire des animaux, on y recueille aussi une foule de corpuscules que l’air y apporte à chaque inspiration. On en rencontre même jusque dans la profondeur des os pneumatiques des .oiseaux ; et ces corpuscules s’engouffrent si abondamment dans ceux-ci, qu’en les y recueillant, leur examen traduit ostensiblement les mœurs de chacune des espèces. Chez les oiseaux qui n’habitent que les forêts, on ne trouve que des parcelles végétales. Chez ceux qui vivent tantôt dans celles-ci et tantôt dans nos villes, on découvre un mélange de tout. ce qui appartient à la civilisation et aux campagnes : telles sont nos corneilles. Un paon, habitant une somptueuse demeure, avait ses os remplis de filaments de laine et de soie des plus belles couleurs, qui n’étaient que des vestiges des travaux ou des riches vêtements des châtelaines dont il embellissait la basse-cour.
Quel que soit le procédé dont on se serve pour étudier les corpuscules de l’air, on reconnaît que ceux-ci se composent essentiellement des débris du sol, de nos habitations, de nos vêtements et de notre nourriture. Aussi, plus on expérimente près des grandes villes, plus on reconnaît que l’atmosphère est surchargée de corpuscules, En pleine mer et sur les hautes montagnes de l’Europe, nous avons reconnu que ceux-ci étaient d’une grande rareté. Il en est de même dans la profondeur des cavernes.
Après les débris diversi-colores des étoffes de nos vêtements, ce qui abonde le plus dans l’air, c’est la fécule normale ou panifiée des diverses espèces de céréales dont se nourrit l’homme, et c’est elle que quelques savants ont confondue avec des œufs atmosphériques. Ce qu’il y a même d’extrêmement notable dans ce fait, c’est que fréquemment la fécule qui flotte dans l’air y a contracté une teinte d’un beau bleu, analogue à celle que lui donne l’iode.
Lorsque nous annonçâmes ce fait pour la première fois, on le récusa. Mais nous avons montré que telle était l’abondance de la fécule dans l’air, que chacune des mouches qui y voltigent en recueille assez sur ses ailes, dans nos cités, pour qu’on y en trouve parfois vingt il trente grains.
Nous avons découvert de la fécule, non-seulement dans les dépôts récents de l’atmosphère, mais encore dans la poussière de nos monuments gothiques, noircie par cinq ou six siècles d’ancienneté. Nous en avons même rencontré dans les hypogées de la Thébaïde, où elle datait peut-être de l’époque des Pharaons !
Parmi les corpuscules de l’air de nos villes, il faut aussi ranger la fumée. On y en rencontre d’abondantes parcelles, parmi lesquelles un œil exercé distingue même la fumée de nos foyers, provenant de la combustion du bois, de celle de nos usines, où l’on emploie le charbon de terre.
Il n’y a qu’une chose qui manque essentiellement dans l’air, ce sont les œufs et les semences que les panspermistes disent y abonder. Si cela était vrai, comme pour subvenir à la fécondité qui s’observe partout , chaque centimètre cubique doit en contenir beaucoup, on pourrait les montrer, ce que l’on ne fait jamais. La poussière au repos recueillie dans un monument ancien offrant parfois le dépôt de plusieurs millions de mètres cubiques d’air, devrait en recéler énormément, et cependant le micrographe le plus exercé n’y en voit pas un seul.
On a dit qu’en faisant passer de l’air à travers du coton, on en recueillait facilement les œufs et les spores. Ceux-ci, avec nos excellents microscopes, comme nous vous le faisons voir chaque jour, peuvent s’apercevoir de la grosseur d’un grain de vesce, et même plus ; aussi peut-on les montrer partout où il y en a. Jamais encore on ne l’a fait, et l’on s’est borné à ne discourir que sur les corps reproducteurs invisibles des vibrions et des monades.
Une expérience dont l’appareil est sous vos yeux démontre jusqu’à l’évidence que la panspermie n’est qu’une hypothèse salis valeur. Je prends une décoction susceptible de donner des millions de paramécies au bout de cinq ou six jours ; et, comme pendant ce temps on n’observe pas de scissiparité, pas de ponte, il faut par conséquent, d’après les errements des panspermistes, que chacun de ces microzoaires provienne d’un œuf aérien. Le liquide est confiné dans un décimètre cube d’air. Pour l’intelligence de l’expérience, disons que ce liquide présente seulement un million de paramécies.
Au moment où je commence cette expérience, je fais passer à travers un globule de coton un décimètre cube du même air. Il est évident que, si la panspermie est vraie, je devrai rencontrer dans ce globule de coton environ un million d’œufs de paramécies, et cependant l’observation microscopique n’en fait pas découvrir un seul.
Je fais plus, je continue encore l’expérience. Puis, après avoir fait traverser ce globule de coton par 100 décimètres cubes d’air, qui devraient le remplir de 100 millions d’œufs, je l’examine de nouveau au microscope, et je n’en rencontre pas plus que précédemment !
L’illustre Richard Owen a calculé qu’il existait parfois plus de 500 millions d’animalcules dans une seule goutte d’eau. Aussi, si la dissémination aérienne était ’réelle, ’ l’atmosphère serait encombrée des prétendus germes des panspermistes, et absolument imperméable pour nous. Il y a tant et tant d’espèces végétales et animales qui se développent sur les corps en putréfaction, qu’on a calculé, et ce calcul n’est pas exagéré, que, pour subvenir à l’incommensurable fécondité qu’on prête à l’air, il faudrait que chacun de ses millimètres cubiques tint constamment 6 milliards 250 millions d’œufs ou spores en disponibilité,
Ce sont des suppositions effrayantes. Les hétérogénistes n’ont jamais poussé si loin leur témérité.
Si tant d’expériences accablantes, tant de recherches inutiles, ne démontraient l’inanité de la panspermie, je pourrais me borner à en appeler à votre raison,
Lorsque des physiologistes de la valeur de de Baër, Hensche, Burdach, Ehrenberg, Mantegazza, R. Wagner, R. Leuckart, Joly, Schaffhausen et Wyman, viennent affirmer n’avoir jamais pu découvrir d’œufs ou de spores dans l’air, qui doit-on croire, ou de ces savants qui sont tous là dans leur domaine, ou d’un habile chimiste qui, presque seul, prétend que l’atmosphère en est bourrée ?
Mis en demeure de nous montrer leurs trop fameux germes, les panspermistes ont eu de continuelles défaillances. Ce serait cependant facile, si leur doctrine avait quelque fondement.
On trouve de tout dans l’air, de tout ce qui nous environne, de tout ce qui est employé pour nos besoins et pour nos plaisirs, De tout enfin, excepté de ces introuvables œufs dont on nous parle sans cesse, et que l’on ne nous montre jamais, jamais !
II.- Les expériences chimiques, ou les voies anciennes
Plusieurs savants, dans l’intention de démontrer que l’air était rempli de ce qu’ils appelaient des germes, tourmentaient diversement, soit celui-ci, soit les liqueurs fermentescibles employées dans leurs expériences.
Spallanzani faisait bouillir celles-ci jusqu’à trois quarts d’heure avant de sceller hermétiquement ses ballons.
Le savant jésuite Needham, très partisan des générations spontanées, lui reprochait avec raison de torturer toutes ses substances, et de paralyser les phénomènes biologiques. C’est encore là qu’en sont aujourd’hui les chimistes.
Schultze ne laissait pénétrer l’air dans ses fioles à médecine qu’en le lavant dans de l’acide sulfurique concentré.
Nous avons prouvé que cette expérience n’était pas sérieuse, et que bien conduite, elle fournissait toujours des proto-organismes.
Schwann calcinait ce même air lorsqu’il rentrait dans ses ballons.
Cette expérience fut acclamée par les chimistes comme l’ultimatum de la science. Mais c’était en lui prêtant une portée que ne lui avait pas donnée le célèbre Allemand. En effet, Schwann ayant reconnu que certaines substances se putréfiaient dans l’air calciné, ne pouvait rationnellement admettre que, pour les unes, la température rouge brûlait les germes, tandis qu’elle les laissait intacts pour les autres.
Déjà Ingenhousz avait recueilli des organismes dans de l’air deux fois’ calciné. L’illustre Mantegazza, qui le premier, dans ces dernières années, a répété l’expérience fameuse, a obtenu un semblable résultat ; il en a été de même de MM. Joly et Musset, auxquels on doit de beaux travaux sur les générations spontanées ; et M. Wymann, professeur de physiologie à l’université de Cambridge, a également vu se développer des proto-organismes dans un liquide qui avait subi deux heures d’ébullition. à la pression de deux atmosphères et demie, et qui n’était en contact qu’avec de l’air calciné.
Ainsi donc, il ne peut y avoir de doutes : l’expérience tant vantée de Schwann doit être rayée de la science.
Schrœder tamisait l’air à travers du coton. Mais son expérience n’était pas plus exacte. Parfois les substances s’altéraient.
Enfin vient le tour de M. Pasteur. Ce chimiste, dans les expériences auxquelles il semble plus particulièrement s’arrêter aujourd’hui, prend des ballons dans lesquels il introduit un liquide altérable et de l’air atmosphérique,
Les uns, après un certain temps, se remplissent d’organismes, tandis que les autres n’en présentent nullement. Ce savant en infère que là l’air contient des œufs ou des semences en suspension, tandis que dans l’endroit voisin il en est absolument vierge.
La panspermie générale n’était pas tenable ; la panspermie limitée que vient d’inventer l’habile chimiste ne l’est pas davantage.
Vos expériences, pourrait-on lui dire, nous font rétrograder d’un siècle ; elles ne sont qu’une réminiscence de celles de l’école de Pavie ; et, après tant d’années, nous sommes forcé de leur adresser les mêmes objections que leur faisait le collaborateur de Buffon.
Aussi, en paraphrasant une apostrophe célèbre de l’un de nos orateurs, je puis également m’écrier : « Je vous connais, monsieur Pasteur, il y a cent ans, vous vous nommiez l’abbé Spallanzani, et moi, je suis votre Needham ! »
Votre argumentation date encore d’une époque plus reculée, c’est de la dialectique du XIIe siècle. Jamais la scolastique n’a poussé plus loin la témérité de la parole et sa nébuleuse logique.
Nous allons le prouver.
Êtes-vous forcé de reconnaitre que l’expérience de Schwann est fausse ? Renversant toutes les notions de la physiologie, vous admettez, malgré l’autorité des Bulliard, des Schwann, des Milne Edwards, des Cl. Bernard et des H. Hoffmann, que des œufs et des semences résistent une dizaine de minutes à l’ébullition ! Vos partisans vont même plus loin. Depuis l’expérience de J. Wyman, on les voit oser dire qu’une ébullition de huit heures et la température du rouge blanc ne suffisent pas pour tuer d’invisibles œufs ou d’impalpables semences ! Sommes-nous au XIX siècle ?
Ailleurs, troublé par la fécondité des appareils des hétérogénistes, vous l’expliquez triomphalement à l’Académie ou dans vos leçons, en prétendant que c’est le mercure qui peuple leurs ballons, et, .. ils ne l’emploient seulement pas, à l’instar de J. Wyrnan ; ou ils le font chauffer comme Mantegazza, Joly et Musset, ce qui revient au même ! …
L’oscillation que le savant directeur de l’École normale observe dans ses ballons, tient tout simplement à ce que ’son mode expérimental, absolument chimique, torture les facteurs de l’opération ; et que, comme il emploie une liqueur faiblement putrescible, parfois celle-ci ne fermente pas.
Mais, au contraire, les hétérogénistes, en réunissant tous les éléments biologiques favorables, et en employant des substances plus altérables, obtiennent constamment des animaux ou des plantes dans leurs appareils.
Un décimètre cube d’air pris dans les villes, sur les montagnes, au milieu de la mer ou dans la profondeur des grolles, clans leurs mains est toujours fécond.
Si M. Pasteur rapportait du Montanvert des ballons stériles, MM. Joly, Musset et nous, en nous élevant beaucoup plus haut dans les Pyrénées, et jusque sur les glaciers de la Maladetta, nous en redescendions avec des ballons remplis d’animalcules. Les pics de l’Aragon, plus sauvages et plus altiers que le mont Blanc des dames, venaient lui donner un splendide démenti.
L’étude de la micrographie atmosphérique nous a prouvé qu’il n’existait ni œufs, ni spores dans l’air. L’expérience qui suit confirme cette assertion,et démontre que les expériences d’ensemencement sont absolument illusoires. Dans celles-ci, on sème l’inconnu et l’on récolte le produit du hasard.
Je lis, à cet effet, des expériences sur des proportions colossales, afin de paralyser toutes les objections. J’employai une machine il vapeur de la force de 8 chevaux, et dont le puissant ventilateur, à l’aide de ses 1500 tours par minute, en moins de six heures, remplirait d’air toute la vaste nef de Notre-Dame de Paris. Dans des bocaux d’un litre et de deux litres de contenance, on prépara diverses macérations. Ces bocaux furent ensuite placés dans le large conduit que l’air parcourt pour se rendre à un haut fourneau ; et le ventilateur fut mis en marche avec une vitesse modérée, afin de permettre aux germes organiques de s’arrêter plus facilement à la surface des liquides, qu’on avait, dans ce but, hérissée d’aspérités, en faisant saillir de place en place quelques tiges des végétaux en macération. La vitesse du ventilateur fut réduite, à cet effet, à 500 tours pal’ minute. Les bocaux restèrent exposés à son courant pendant deux heures ; et l’on calcula que, durant ce temps, un volume de 6 millions de litres d’air environ les avait frappés.
Il est évident que, si l’air est le réceptacle des germes, et que si c’est lui qui les disperse, les vases qui ont été labourés par 6 millions de mètres cubes de ce fluide doivent contenir 6 millions de fois plus d’animalcules que ceux qui n’ont été en contact qu’avec une atmosphère d’un litre d’air ; l’expérience prouva, au contraire, qu’il y avait autant d’animalcules dans les uns que dans les autres. Il nous semble qu’un fait semblable suffit seul pour constater que l’hétérogénie, dans cette circonstance, est l’unique source de toute vitalité.
L’observation démontre elle-même qu’il n’existe point d’œufs ni de spores dans l’air, attendant partout l’occasion de sc développer.
On connait une suite de petites plantes qui n’apparaissent que sur les insectes morts ou malades. Chacun d’eux a la sienne. Et parfois même, si l’animal subit des métamorphoses, une espèce particulière est affectée il la larve, une autre à la chrysalide, et une troisième ne s’observe que sur l’individu parfait. Tel est le cas de l’lsaria Sphingum et de l’Isaria Aranearum. Y a-t-il donc toujours dans l’atmosphère quelques semences attendant le cadavre d’un papillon ou d’une araignée ?
Un frêle champignon, de 10 à 15 centimètres de longueur, le Cordyceps Robertii, ne s’est jamais rencontré que sur l’intervalle des deux derniers anneaux d’une chenille exotique. L’air, dans ses espaces infinis, recèle-t-il donc d’inutiles masses de spores pour n’en ensemencer qu’à de si rares époques un lambeau de peau qui n’a pas plus d’un millimètre carré ? N’est-il pas plus rationnel de croire que celui-ci n’est que le produit d’une altération de tissu ?
On connaît une bien singulière plante, semblable à un bouchon de cheveux, le Racodium cel/are, qui n’a jamais été rencontré que dans les celliers, sur nos vieilles futailles. Où donc étaient ses semences avant l’invention de celles-ci, lorsque nos pères mettaient leur vin dans des amphores ?
Les levures ne sont que des spores qui produisent presque autant de végétaux divers qu’il y a de fermentations. Ces semences ont-elles donc été façonnées à l’époque de la création, dans la prévision du moment où le Groenlandais on le Patagon inventeront une boisson, ou celui où le chimiste va découvrir un produit nouveau dans le silence de son laboratoire ?
Un végétal particulier envahit certains sels de baryte, c’est l’Hygrocrocis barytica. On ne le connait que dans ceux-ci. Ses semences ont-elles donc traversé les siècles et les cataclysmes, en flottant dans l’air, pour attendre l’époque à laquelle Scheele, vers 1774, nous faisait connaître ces remarquables corps.
N’est-il pas plus simple, comme. la raison l’indique, de croire qu’en suivant des lois immuables, de nouveaux corps se développent avec les nouvelles combinaisons . que forme la nature ou l’homme.
Enserrés de toutes parts, les adversaires de l’hétérogénie n’échappent qu’en inventant des prodiges.
Ainsi, vous le voyez, messieurs, la panspermie succombe en présence même des expériences que ses fauteurs invoquaient comme sou palladium ; et elle succombe également par le simple fait de l’observation et de l’accablante raison.
III. - Les expériences physiologiques, ou les voies nouvelles
C’était avec beaucoup de raison que Needham reprochait aux ad versai l’es des générations spontanées de n’offrir que des expériences dans lesquelles. ils torturaient tous les corps.
A vcc cette perfection expérimentale, qui est une des conquêtes de notre siècle, on devait s’attendre à voir enfin les recherches scientifiques sortir de leurs anciens errements. Le XIXe siècle ne pouvait en rester au XVIIe.
Aux expériences chimiques les hétérogénistes ont substitué les expériences physiologiques.
A ce qui entrave la genèse spontanée, tout ce qui la favorise.
Aux nébuleuses supputations sur l’invisible, des faits ostensibles.
Aux œufs inapercevables, les œufs tangibles.
Aux monades et aux vibrions, dont on ignore l’essence, les microzoaires ciliés qui sont parfaitement connus.
Voici ce qu’ont fait les savants qui, tels que Pineau, Mantogaza, Joly et Musset, se sont, ainsi que nous, occupés tout dernièrement de cette grande question !
Une des expériences physiologiques les plus propres il démontrer l’absence des œufs atmosphériques et la genèse spontanée est celle qui suit :
On prend une éprouvette et on la remplit d’une macération filtrée propre à engendrer de gros microzoaires ciliés.
On prend ensuite une large cuvette de cristal, à fond très-plan, et l’on verse dedans une égale quantité de la même macération qui remplit l’éprouvette. Celle-ci est ensuite platée au milieu de la cuvette.
Au bout de quatre ou cinq jours, pal’ une température de 20 degrés en moyenne, l’éprouvette présente une membrane proligère et est remplie de microzoaires ciliés. La cuvette, au contraire, n’offre qu’une membrane proligère à peine apparente, arachnoïde, et ne contient aucun microzoaire cilié.
Si les œufs tombaient de l’atmosphère, comme le prétendent les panspermistes, il n’y aurait pas de raison au monde qui pût faire que, dans la même portion d’air, l’éprouvette en soit constamment remplie et la cuvelle jamais. Celle-ci même, à cause de sa surface bien autrement étendue, devrait en récolter infiniment plus.
Si dans l’éprouvette il y a des microzoaires ciliés, cela tient à ce que, dans l’étroite surface qu’ouvre le liquide, les cadavres des monadaires et des vibrioniens ont pu former une membrane proligère assez compacte pour devenir un stroma ovigère.
Si, au contraire, dans la cuvette il n’y en a jamais un seul, cela tient à ce que la surface du liquide étant énormément plus considérable, ces mêmes cadavres ne forment qu’une membrane excessivement mince, arachnoïde, et qui ne s’élève point à la puissance d’un stroma proligère.
Quand on est assez zoologiste pour fouiller une semblable expérience, on reconnaît qu’il n’a pu y avoir là ni scissiparité, ni reproduction sexuelle, ni génération alternante.
La membrane proligère est si bien l’indispensable producteur des animalcules ciliés, que si l’on emploie un liquide propice à leur existence, en ayant soin de l’enlever, jamais il ne s’en forme un seul.
Ainsi, je remplis une haute éprouvette de cristal avec une liqueur fermentescible. Quand, au bout de quatre ou cinq jours, sa membrane proligère, étant bien formée, produit des myriades de paramécies, je soutire dans une autre éprouvette une partie du liquide à l’aide d’un robinet, et je l’abandonne.
Comme il ne se forme pas dans celle-ci de membrane proligère assez épaisse pour arriver il la puissance d’un stroma, jamais vous n’y rencontrez de microzoaires ciliés ; tandis qu’ils continuent à pulluler dans la première éprouvette.
L’expérience de Treviranus suffirait à elle seule pour démontrer l’inanité de la panspermie, Ce grand physiologiste prenait trois verres : l’un était l’empli d’une liqueur fermentescible, un autre d’une autre liqueur, et le troisième d’un mélange à parties égales de chacune de celles-ci.
A près un certain nombre de jours, cc dernier était rempli d’organismes absolument différents de ceux des deux autres verres.
Voici, sous vos yeux, cotie expérience : il s’est produit dans un verre des organismes blancs, dans un autre des protophytes verts, et dans le mélange des organismes d’un beau bleu d’indigo, que je n’ai encore jamais vus.
Y avait-il donc en suspension dans l’atmosphère, je vous le demande, des semences en prévision du moment ’où nous allions produire un mélange d’urine et d’eau de sarrasin ?
Enfin, une expérience capitale, décisive, que personne n’a niée, renverse à elle seule, anéantit toutes les expériences il vaisseaux clos, Je plonge un flacon dans une cuve de moût de bière en ébullition depuis cinq heures, et quand sous ce liquide bouillonnant il a été l’empli, on le bouche hermétiquement et on le retire.
Au bout d’un petit nombre de jours, ce flacon se remplit de levures diverses.
Aucun des savants de l’école physiologique n’admettrait cependant que les spores de levure ont pu résister à cinq heures d’ébullition. S’il se forme de ces végétaux. il est là impossible qu’ils proviennent d’une autre origine que de la génération spontanée !
Mais, ce qui domine toute la question, ce qui lui a donné une évidence désormais inattaquable, c’est l’observation directe de l’embryogénie des grands infusoires.
C’est au docteur Pineau qu’est due la gloire d’avoir le premier parfaitement vu et décrit l’apparition des microzoaires ciliés.
Nicolet, Joly, Musset et Schaffhausen ont aussi parfaitement étudié ce phénomène ; et nous-même. nous en avons décrit toutes les phases, depuis le moment où les premiers granules se groupent pour former dans la membrane proligère des espèces de nébuleuses qui se transforment en autant d’œufs qu’animent bientôt la gyration et le punctum saliens, jusqu’à celui où l’observateur les voit éclore sous ses yeux !
Nous avons déjà fait suivre à divers zoologistes toutes les phases de l’embryogénie des microzoaires ; le doute n’est plus permis.
Aussi les hétérogénistes peuvent-ils s’écrier que toutes les expériences chimiques du monde, fussent-elles accumulées à la hauteur de cet amphithéâtre, jamais ne saperont une parcelle de ce qu’ont vu et revu des hommes de la valeur de MM. Pineau, Joly, Nicolet, Schaffhausen et Musset !
- G. Pennelier.