Dans son livre sur le monde primitif de la Suisse, dont M. Isaac Demolle vient de publier une bonne traduction française, le professeur Heer trace un tableau animé de la géologie de la Suisse. Le sol de la Suisse, avec l’énorme soulèvement de ses montagnes déchiquetées et creusées de vallées profondes, présente des conditions particulières pour l’étude de la croûte terrestre. Scheuchtzer et Saussure ont commencé cette étude dans les Alpes, il y a cent ans. En 1867, MM. Studer et Escher de la Linth ont fait paraître une carte géologique de la Suisse déjà assez détaillée, accompagnée d’une description qui nous fait connaître la constitution du sol de la Suisse dans ses traits essentiels et qui résume les observations dont cette contrée a été l’objet depuis un siècle de la pari des naturalistes les plus éminents. Depuis l’achèvement de la carte topographique du général Dufour, à l’échelle du cent-millième, une commission nommée au sein de la Société helvétique des sciences naturelles s’occupe de la construction d’une carte géologique à même échelle, avec étude plus approfondie des détails, Plusieurs feuilles de ce grand et magnifique ouvrage se trouvent sous nos yeux et plusieurs autres sont prêtes à être livrées au public. Citons notamment la carte des Grisons de Theobald, celle du pays de Bâle de M. Albert Muller, celle du canton de Lucerne par le professeur Kaufmann. La commission géologique de la Suisse se compose de MM. Desor, Studer, Favre, Mayer, Mérian. La publication de la carte et de la description se fait aux frais de la Confédération. Comparées au budget attribué au même objet dans d’autres pays, ces dépenses nous étonnent par leur extrême modicité. Point de traitement pour le comité de direction ; tous les frais se bornent à la publication des cartes et des mémoires descriptifs, avec une indemnité pour le remboursement des frais de voyage des géologues. Malgré cela, la description géologique de la Suisse se range parmi les œuvres les plus parfaites, supérieure en tout cas aux travaux réservés à des corporations privilégiées, à l’exclusion des hommes qui ont fait du même objet une étude spéciale. Le nouveau livre de M. Heer résume l’ensemble des résultats acquis et des connaissances actuelles sur la géologie de la Suisse.
Toutes les formations reconnues sur l’ensemble de la surface terrestre n’existent pas en Suisse. Parmi les dépôts stratifiés de ce pays, les plus anciens qui apparaissent avec un caractère bien net datent de l’époque carbonifère. Ce sont les couches de grès anthracifères, avec empreintes végétales d’Erbignon et d’Outre-Rhône, sur le pied méridional de la Dent de Morcles, puis celles du Titlis dans l’Engelberg, et celles observées sur les flancs du Toedi, à une grande hauteur. M. Heer décrit ces gisements avec des détails étendus. Il les compare avec ceux des autres pays. Il tire de la nature de leurs fossiles, animaux et plantes, des inductions sur les conditions d’existence, sur l’aspect de la contrée, sur les événements survenus à l’époque de la formation de ces dépôts. On y a trouvé à Erbignon un insecte semblable à nos blattes, à côté des empreintes de fougères, de cycadées, de calamites. L’étude de cette végétation et de la flore des houillères montre l’analogie des dépôts houillers avec ceux de nos tourbières actuelles. Si les tourbières se développent surtout sous l’influence de climats à température peu élevée, nous connaissons de ces dépôts en voie de formation avec quinze pieds d’épaisseur dans le sud des États-Unis, sous la latitude d’Alger. Après le tableau de la Suisse à l’époque houillère, M. Heer décrit sous de vives couleurs la suite des événements qui ont amené à se former la série des couches dont se compose le sol, montrant tour à tour la formation du sel dans le trias, le lias et son histoire, la mer jurassique, l’époque crétacée et la formation éocène, l’origine des ardoisières de Glaris au commencement des temps tertiaires, puis la molasse, les couches à charbons feuilletés d’Utznach, enfin l’époque glaciaire et le diluvium.
A plusieurs reprises, le monde de la Suisse a complètement changé d’aspect, disparaissant sous les eaux pendant la période carbonifère, pendant celle du lias au jura brun, pendant celle de la craie moyenne et celle de la molasse grise, pour se relever à l’époque de la formation du trias à celle du lias inférieur, pendant l’époque de la formation du jura blanc et des couches wealdiennes, dans l’intervalle du dépôt de la craie supérieure à celui des couches aquilaniennes de l’époque miocène. C’est seulement pendant l’époque pliocène que la contrée a pris son relief actuel à la suite du dernier relèvement du jura et des Alpes. Repartie également sur Ioule la surface terrestre aux temps primitifs, la température commença à diminuer de l’équateur aux pôles dès le commencement de l’époque miocène, formant des zones de chaleur inégale, attestée par l’existence de faunes et de flores différentes. M. Heer entre dans de longs développements sur le climat, les plantes et les animaux de cette dernière époque. J’ai visité, il y a quelques semaines, au Polytechnichum de Zurich, la magnifique collection d’empreintes végétales des dépôts d’Œningen, dont l’éminent professeur a fait une étude approfondie pour en déduire les variations de climat des figes tertiaires. Le temps et l’espace dont nous disposons ne nous permettent pas aujourd’hui d’examiner cette étude en détail, et nous devons nous borner à quelques considérations sur l’aspect de la Suisse à l’époque glaciaire.
L’existence de blocs erratiques, la présence de débris de roches accumulés sur un terrain de nature différente, loin de leur lieu d’origine et dans une position où ils n’ont pu être entraînés par les eaux courantes, attestent le séjour, le passage de glaciers retirés maintenant à une plus grande hauteur dans les montagnes ou complètement disparus. Les anciens glaciers des Alpes se sont étendus dans la vallée du Rhin jusqu’à la rive septentrionale du lac de Constance, dans la vallée de la Linth jusqu’au lac de Zurich, dans lu vallée de la Reuss jusqu’à Lucerne et dans le canton d’Argovie, dans la vallée de l’Aar jusqu’au nord de Thoune et à Berthoud, où il fut arrêté par le glacier du Rhône, le plus grand des glaciers alpins. Le glacier du Rhône a déposé dans le canton de Neuchâtel un bloc de granit fin, appelé la Pierre-à-Bot, haut de quarante pieds sur vingt de large et cinquante de long, tandis qu’un autre de ses blocs erratiques, le Bloc Monstre, sur la hauteur de Montet, près de Devent, mesure 161 000 pieds cubes. Le glacier du Rhin a laissé des blocs originaires des sommets des Crisons, sur les collines des bords du lac de Constance, dans le Wurtemberg et même sur les hauteurs de Hohentweil, dans le Höhgau. Sur le versant sud des Alpes, le glacier de la vallée d’Aoste s’est avancé du côté de l’Italie jusqu’à Ivrée, et un autre courant de glace a atteint Peschiera, à l’extrémité du lac de Garde, aux rives riantes où fleurit l’oranger. A la même époque, il y a eu de grands glaciers dans les Pyrénées, eu Auvergne et dans les Vosges, dont nous reconnaissons des traces certaines sous forme de blocs erratiques, de moraines, de roches polies.
Dans le Jura, la limite des blocs erratiques venus de la vallée du Rhône forme un arc remarquable, dont la plus grande hauteur correspond au milieu du lac Léman. Cette ligne passe sur le Chasseron à 1000 mètres au-dessus du fond de la vallée, à 800 mètres au-dessus de Neuchatel à Chaumart, à 700 mètres au Chasseral, à 200 mètres près d’Orvin, pour s’abaisser au niveau de la plaine, près de Soleure, comme à Gex dans la partie occidentale de l’arc. Dans la vallée du Rhin, sur la rire gauche du fleure, on peut voir la marche suivie par les blocs erratiques jusque dans la plaine, d’après les débris répandus le long de leur route, comme par exemple pour le granite de Ponteljestobel, au-dessus de Trons, épars sur le sol depuis Sargans jusqu’à Rorschach et au Gaster, dans la vallée de Wallenstadt. Jamais cette variété de roche, qu’on n’a rencontrée nulle part ailleurs dans le domaine des Alpes, n’apparaît sur l’autre rive du Rhin, Selon Guyot, lors de la plus grande extension du glacier du Rhône, la moraine terminale de ce glacier allait jusqu’à Arwangen et à Zofingen. La moraine de droite s’étendait le long des montagnes de Fribourg et était composée surtout de grès vert provenant des flancs de la Dent de Morcles. La moraine de gauche partait du mont Blanc et longeait les Alpes granitiques à travers le val de Trient, dans le bassin du Rhône, nettement marquée du côté de la Savoie jusqu’à Genève. Plusieurs moraines médianes formées à la rencontre des affluents du glacier primitif apportèrent, celles venant du Valais supérieur du granit blanc, celles du mont Rose de la serpentine et de I’euphotide, celles des vallées d’Hérens et de Bagne d’énormes masses de granite talqueux, celles du val Ferret les blocs gigantesques de Montbey. Au débouché de la vallée du Rhône, les moraines intermédiaires suivent une direction rayonnante, et l’on remarque dans la moraine terminale, sur le prolongement de ces rayons, près de Guggisberg, des grès gris provenant de la Dent de Morcles ; entre Schwarzenburg et Könitz, des granites du haut Valais ; à l’ouest de Berne et de Berthoud des roches du mont Rose, à Seebach les granites talqueux du val d’Hérens, à Aarwangen les granites du mont Blanc. Tous ces blocs n’ont pu être déposés ainsi par un courant d’eau : leur disposition ressemble complètement à celle des matériaux charriés sous nos yeux par les glaciers encore en activité. D’autres traînées de blocs disposés plus en amont, mais encore dans le bassin du Léman, sans s’étendre autant vers le Nord, indiquent un moindre développement du grand glacier. La moraine latérale se compose encore de blocs du mont Blanc, qui ont dû passer par Martigny, tandis que celle de droite présente des grès gris mêlés de roches du Valais supérieur, répandus sur le Jorat, autour de Lausanne et Morges, suivant une direction différente de la moraine plus ancienne de ce côté, Ce qui est caractéristique, c’est que les traînées de blocs extérieures renferment surtout des débris des hauts sommets, tandis que d’autres traînées plus rapprochées du fond de la vallée du Rhône offrent des débris originaires de localités plus basses. Sans aucun doute, les blocs et les moraines de la première série proviennent d’une époque où les champs de glace ont laissé à découvert seulement les sommets les plus élevés et ont atteint une altitude supérieure à celle de l’époque de la formation des moraines composées de débris des montagnes plus basses.
Plusieurs géologues déduisent de la présence de ces deux : séries de moraines l’existence d’une double époque glaciaire, tandis que d’autres considèrent simplement les moraines de la seconde série comme les traces d’une étape, d’un moment d’arrêt des grands glaciers pendant leur mouvement de retraite. Comme preuve de l’existence de deux périodes glaciaires, M. Heer cite une observation du professeur Morlot sur le ravin de la Drance, près de Thonon. On doit voir dans ce ravin une couche de débris de calcaire alpin avec stries glaciaires, au-dessus de laquelle gisent sur une épaisseur de 50 mètres des cailloux roulés stratifiés, recouverts eux-mêmes de blocs erratiques striés. Le dépôt de cailloux roulés intercalé entre deux formations glaciaires devrait son origine à des eaux courantes qui l’auraient formé dans l’intervalle plus ou moins long de deux séjours du glacier au même lieu. D’un autre côté, M. Heer affirme la découverte à Wetzikon, dans la Suisse orientale, sous une couche de charbon feuilleté, peu étendue il est vrai, de pierres alpines offrant tous les caractères du transport par les glaciers. Un autre naturaliste, M. Deicke, prétend avoir vu aussi des pierres erratiques au-dessous et au-dessus d’un gisement de charbon feuilleté, à Mörchweil, puis près de Saint-Gall, dans une tranchée pratiquée pour une nouvelle route, un dépôt d’alluvions fluviatiles stratifié, compris entre deux couches renfermant des blocs erratiques. Par conséquent, les glaciers doivent avoir envahi la Suisse à deux : reprises différentes, entre lesquelles les tourbes feuilletées de Wetzikon se sont formées. En Angleterre, Lyell croit reconnaître aussi les preuves de la submersion sous les eaux de la mer de la majeure partie de ce pays dans l’intervalle de deux grandes invasions des glaciers descendus des montagnes du pays de Galles et de l’Écosse. En Norvège, il y a enfin des roches moutonnées recouvertes de débris stratifiés (Osars), probablement déposés sous l’eau et sur lesquelles reposent des blocs erratiques. Peut-être ces blocs erratiques de la Norvège ont-ils été déposés par des glaces flottantes, et les débris erratiques signalés sous les alluvions stratifiées de Saint-Gall et sous les charbons du Wetsikon peuvent provenir de courants d’eau violents. En tous cas, les tourbes de Dürnten et d’Utznach, dans le canton de Zurich, reposent sur la molasse ou sur des débris de nagelfluhe, provenant des montagnes voisines sans vestiges glaciaires intermédiaires. Dans le puissant dépôt d’alluvions fluviatiles sur lesquelles reposent les moraines des Vosges en Alsace et en Lorraine, on ne trouve non plus nulle part des traces nettement marquées de formations glaciaires antérieures.
Recouverts de dépôts de cailloux roulés entremêlés de sable, de 3 à 10 mètres d’épaisseur, les amas de charbon d’Utznach, de Dürnten, de Wetzikon sont traversés aussi par des bandes d’argile. L’amas le plus épais, situé sur le territoire de Dürnten, à l’Oberberg, atteignait une hauteur de 4 mètres par places ; mais ailleurs il se réduisait à moins d’un mètre. Son exploitation remonte à l’année 1854. Une argile d’un gris blanc ou jaune compose le fond et renferme des coquilles de mollusques, d’Anodonta, de Valvata obtusa, de Valvata depressa, de Pisidium obliquum, espèces encore vivantes en Suisse, les valvates notamment dans les ruisseaux qui traversent les tourbières. Cette couche argileuse consiste en glaise mêlée de sable fin, parfois aussi de cailloux : siliceux ou de grès pareils à ceux de la nagelfluhe des montagnes voisines. Au point de leur plus grande épaisseur, les charbons sont traversés par six bandes terreuses de teinte foncée. Le charbon pur atteint un mètre d’épaisseur en moyenne, Beaucoup de cônes et de morceaux de bois de sapin se trouvent dans la couche inférieure. Les couches supérieures consistent en amas de mousses compactes comprimées sous forme de bancs mélangés de roseaux et de racines. Les roseaux gisent à la base de ces couches, mais les cônes de sapins y manquent. Plus rares également dans les couches supérieures, les troncs d’arbres gisent dans toutes les directions. On distingue encore leurs racines, leur écorce, leur corps ligneux avec les cercles annuels souvent au nombre de cent. Toutefois les troncs sont tellement aplatis que le petit diamètre est au grand comme un est à quatre ou même à huit. Une substance d’un brun noir entoure ces troncs comme dans la tourbe : elle provient sans doute de la putréfaction des plantes herbacées. Par la nature comme par la disposition des matériaux les charbons de Dürnten et des localités voisines ressemblent aux tourbières. Par leur gisement en couches horizontales immédiatement au-dessus des tètes de couches redressées de la molasse à Utznach, ou bien au milieu de cailloux roulés à Mörchweill, près de Saint-Gall, ces charbons dont la formation a pris un temps considérable se rapportent au début de l’extension des grands glaciers. Dans les dépôts de cailloux roulés au-dessous comme au-dessus des amas charbonneux de Mörchweill les pierres striées manquent. Quant aux tourbes de Wetzikon, les seules sous lesquelles M. Heer signale des matériaux striés, pourquoi le savant botaniste néglige-t-il de nous en donner une coupe susceptible de faciliter la recherche de ces vestiges glaciaires qui de son propre aveu manquent sous les dépôts de Dürnten et d’Utznach, dont son livre renferme des coupes ?
Parmi les restes de plantes découverts, soit dans les couches charbonneuses, soit dans les bandes d’argile intermédiaires, M. Heer indique vingt-quatre espèces dont huit arbres et un arbrisseau. Citons notamment le sapin commun (Pinus abies), le pin sylvestre (pinus sylvestris), le pin des montagnes (Pinus montana), le mélèze (Pinus larix), l’if (Taxus baccata), le bouleau blanc (Betula alba), le chêne (Quercus robur), l’érable faux-platane (Acer pseudo-platanus), le noisetier (Corylus avellana). Au nombre des plantes herbacées se trouvent surtout le trèfle d’eau (Minyanthes trifoliata) er le roseau commun (Phragmites communis), accompagnés de framboisiers (Rubus ideus), de myrtilles ponctuées (Vaccinum vitis Idea), de Scirpus lacustris, de sphaignes (Sphagnum cymbifulium) et autres mousses des marais du groupe des hypnacées déterminées par M. Schimper, le directeur du musée d’histoire naturelle de Strasbourg. Toutes ces espèces communes à la flore de nos marais tourbeux actuels vivent encore aujourd’hui en Suisse, sauf un nénuphar classé dans un genre nouveau (Holopleura), par M. Caspary. Le sapin est représenté par de beaux cônes à la hase des dépôts de Dürnten, de Wetzikon, de Mörchweil. A Utznach et à Dürnten on trouve des troncs de pins de la grosseur d’un homme, près de troncs de bouleau à écorce blanche d’une grosseur considérable aussi. A Mörchweil on a recueilli un gland de chêne entouré de sa cupule avec deux variétés de noisettes, l’une courte, l’autre allongée comme celles de nos jours. Quant à la faune des charbons, elle a présenté à Dürnten deux belles molaires d’éléphant antique (Elephas antiquus), un squelette presque complet de rhinocéros (Rhinoceros etruscus Falc.), puis à Utzuach un crâne complet d’aurochs (Bos primigenius Boj .) et une partie de machoires de l’ours des cavernes (Ursus spelœus), Outre les mollusques que nous avons déjà signalés, le charbon de Dürnten renferme en grand nombre des élytres d’insectes brillant d’un éclat métallique bleu ou vert comme des taches brillantes sur le fond noir, provenant de deux espèces identiques avec le Donacia discolor et le Donacia sericra qui vivent dans les marais et sur les bords des lacs de la Suisse.
Aux yeux de M. Heer les charbons feuilletés sont contemporains des alluvions anciennes du Rhin composées de gravier et do sable sur lesquelles reposent le lehm formé lors de la grande extension des glaciers de la Suisse et des glaciers des Vosges maintenant disparus. Les moraines terminales des Vosges reposent sur l’ancien dépôt de cailloux roulés au même niveau que le lehm. Or, ce lehm renferme des ossements humains découverts déjà sur deux points différents à Eguisheim en Alsace, par M. Faudel et par M. Ami Boué dans le pays de Bade à Lahr [1]. Ainsi l’homme vivait dans nos contrées pendant l’époque glaciaire avec le mammouth, l’aurochs et le renne. Pour expliquer le grand développement des glaciers à cette époque, il suffit d’un climat plus humide arec d’abondantes précipitations de pluie et de neige sans abaissement considérable de la température. Ne voyons-nous pas encore de nos jours les glaciers de la Nouvelle-Zélande descendre au milieu d’une riche végétation de fougères arborescentes à une faible hauteur au-dessus de la mer sur les versants des montagnes exposés aux vents humides du nord-ouest, tandis que sur le versant opposé plus sec ils s’arrêtent à un niveau bien supérieur ? D’ailleurs Ia flore des charbons feuilletés de Dürnten, la présence des chênes, des ifs à côté de gros troncs de pins indique dans ces lieux, selon M. Heer, une température moyenne de 6 à 9 degrés centigrades : « l’Albis, l’Uetli, le Zurichberg et en général toutes les chaînes de collines dominant les glaciers étaient probablement couvertes de forêts comme le sont de nos jours les pentes qui entourent le glacier de la Bernina …. Pendant l’époque glaciaire les places dépourvues de glace et de neige étaient couvertes de la même végétation que les Alpes actuelles. » M. Morlot a recueilli dans les débris glaciaires de Thonon et dans une formation semmblable à celle des charbons feuilletés, près du Signal de Bongy, des cônes de sapin avec une espèce de mousse, l’Hypnum diluvii, proche parente de l’Hypnum sarmentosum, qui croit maintenant en Laponie et dans les Sudettes. Lorsque le glacier du Rhône descendait jusqu’au lac de Genève il y avait donc des forêts dans le voisinage.
Quelques considérations encore ayant de terminer. Après le tableau de la Suisse aux différentes époques de son histoire, M. Heer nous fait jeter un regard en arrière afin de bien nous rendre compte des transformations et du développement de la nature, insistant sur les changements du monde vivant et du climat qui ont suivi les révolutions accomplies à la surface du sol. Tous les phénomènes en action ou les causes actuelles en d’autres termes ne suffisent pas pour expliquer tant de transformations. Comment rattacher notamment le soulèvement des Alpes à des oscillations lentes du sol en présence des montagnes du Glarnitsch par exemple qui reposent sur des roches nummulitiques relativement plus jeunes. Des dislocations violentes ont ouvert la plupart des vallées élargies et creusées ensuite par les eaux à une plus grande profondeur. Autrefois l’activité des agents physiques peut avoir été différente de ce qu’elle est aujourd’hui, et ainsi les mesures prises pour base d’après les phénomènes actuels peuvent être fausses. Pour ce qui touche aux climats des premiers âges de la terre, la comparaison des fossiles animaux et végétaux indique la même température pour les régions polaires et nos pays maintenant tempérés jusqu’à l’époque des formations crétacées. La description de la flore miocène donne lieu à des inductions ingénieuses sur la diminution de chaleur qui commence à se manifester pendant cette formation en s’accentuant de plus en plus des pôles à l’équateur. M. Heer a fait une étude approfondie de la végétation de l’époque miocène et ses beaux travaux sur les plantes fossiles de la zone polaire lui assurent une grande autorité parmi les paléontologistes. Pour lui l’origine des espèces est une énigme. Tous les faits connus se prononcent contre l’hypothèse de la transmutation des espèces, d’une transformation lente, continue, due à la sélection naturelle. Il n’y a pas eu une transition lente des anciennes espèces à celles d’aujourd’hui. « Nous voyons que les couches qui séparent deux périodes peuvent bien avoir quelques espèces communes, mais nous ne remarquons aucune forme qui attesterait une fusion quelconque entre les espèces …. Nous constatons dans la nature beaucoup moins une tendance à la fusion des espèces qu’une force à conserver les caractères spécifiques …. Plus nous avançons dans la connaissance de la nature, plus aussi est profonde notre conviction que la croyance en un créateur tout-puissant et en une sagesse divine qui a créé le ciel et la terre selon un plan éternel et préconçu, peut seule résoudre les énigmes de la nature comme celle de la vie humaine. » Telles sont les conclusions de M. Heer formulées à la fin du livre sur le monde primitif de la Suisse. Quant à la traduction française de M. Demolle, elle se distingue par sa fidélité et par son élégance.
Charles Grad