L’admirable méthode inaugurée par M. Muybridge, et qui consiste à employer la photographie instantanée pour l’analyse des mouvements de l’homme ou des animaux, laissait encore au physiologiste une tâche difficile : il fallait comparer les unes aux autres des images successives dont chacune représente une attitude différente, et classer ces images en série d’après la position dans le temps et dans l’espace qui correspond à chacune d’elles.
Admettons que rien n’ait été négligé dans l’expérience : que, d’une part, des points de repère que la photographie devra reproduire aient été disposés sur le chemin parcouru par l’animal, de manière à permettre d’estimer à tout instant la position qu’il occupe dans l’espace et que, d’autre part, l’instant auquel chaque image a été prise soit déterminé, comme il arrive pour des photographies faites à des intervalles égaux. Toutes ces précautions prises, il faut encore, pour tirer des figures le sens qu’elles renferment, les superposer, par la pensée ou effectivement, les unes aux autres, de manière à couvrir une bande de papier correspondant au chemin parcouru, par une serie d’images imbriquées dont chacune exprime la position que le corps et les membres occupaient dans l’espace à chacun des instants considérés.
De telles représentations donnent naissance à des figures semblables à celles dont les frères Weber ont introduit l’usage pour expliquer théoriquement la marche de l’homme. On voit que dans leurs ouvrages une série dc silhouettes d’hommes, teintées de hachures d’intensités décroissantes et imbriquées de manière à représenter les déplacements successifs des jambes, des bras, du tronc et de la tête aux différentes phases d’un pas.
Ce mode de représentation est le plus saisissant qu’on ait encore trouvé jusqu’ici ; il a été adopté dans la plupart des traités classiques. Or il m’a paru, et l’expérience vient de confirmer cette prévision, qu’on pouvait demander à la photographie des figures de ce genre, c’est-à-dire réunir sur une même plaque une série d’images successives représentant les différentes positions qu’un être vivant, cheminant à une allure quelconque, a occupées dans l’espace à une série d’instants connus.
Supposons, en effet, qu’un appareil photographique soit braqué sur le chemin que parcourt un marcheur et que nous prenions une première image en un temps très court. Si la plaque conservait sa sensibilité, nous pourrions, au bout d’un instant, prendre une autre image qui montrerait le marcheur dans une autre attitude et dans un autre lieu de l’espace ; cette deuxième image, comparée à la première, indiquerait exactement tous les déplacements qui s’étaient effectués à ce second instant. En multipliant ainsi les images à des intervalles très courts, on obtiendrait, avec une authenticité parfaite, la succession des phases de la locomotion.
Or, pour conserver à la glace photographique la sensibilité nécessaire pour des impressions successives, il faut qu’au devant de l’appareil règne une obscurité absolue et que l’homme ou l’animal qui passe se détache en blanc sur un fond noir.
Mais les corps les plus noirs, quand ils sont fortement éclairés. réfléchissent encore beaucoup de rayons actiniques ; j’ai recouru, pour avoir un champ d’un noir absolu, au moyen indiqué par M. Chevreul ; mon écran est une cavité dont les parois sont noires. Un homme, entièrement vêtu de blanc et vivement éclairé par le soleil, marche, court ou saute pendant que l’appareil photographique, muni d’un obturateur à rotation plus ou moins rapide, prend son image à des intervalles plus ou moins rapprochés.
Cette même méthode peut s’appliquer à l’étude des différents types de locomotion : un cheval blanc, un oiseau blanc donneront de la même façon la série de leurs altitudes.
La fenêtre dont est percé le disque de mon obturateur tournant, peut être à volonté élargie ou resserrée, de manière à régler la durée de la pose suivant l’intensité de la lumière ou suivant la vitesse de rotation du disque. Avec une fenêtre resserrée et une rotation lente, on a des images très espacées les unes des autres, Une rotation rapide donne des Images plus rapprochées, mais dont le temps de pose pourrait être insuffisant si la fenêtre n’était pas élargie.
Enfin, un obturateur à volet, placé en avant de l’autre, sert à régler le commencement et la fin de l’expérience.
Les épreuves et les clichés que j’ai obtenus et dont un spécimen se trouve reproduit ci-dessus, ont été exécutés à la station physiologique du parc des Princes, où je travaille avec l’aide de M. G. Demeny.
Étienne-Jules Marey